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C'eft lui qui fait que les années

Nous durent moins que les journées ;
C'est lui qui nous fait rajeunir,

Et qui bannit de nos pensées
Le regret des chofes paffées,
Et la crainte de l'avenir.

Buvons, MAYNARD, à pleine taffe:
L'âge infenfiblement fe paffe,
Et nous mene à nos derniers jours:
On a beau faire des prieres,
Les ans non plus que les rivieres,
Jamais ne rebrouffent leurs cours.

Le printems vêtu de verdure, Chaffera bien-tôt la froidure; La mer a fon flux & reflux: Mais fi-tôt que notre jeuneffe Quitte la place à la vieillesse, Le tems ne la ramene plus.

Les lois de la Mort font fatales Auffi-bien aux maisons royales, Qu'aux taudis couverts de rofeaux: Tous nos jours font fujets aux Parques Ceux des Bergers & des Monarques Sont coupez des mêmes cifeaux.

Leurs rigueurs par qui tout s'efface,

RACAN

RACAN.

Raviffent en bien peu d'espace
Ce qu'on a de mieux établi ;
Et bientôt nous meneront boire
Au delà de la rive noire,

Dans les eaux du Fleuve d'oubli.

SUR LES OEUVRES DE M. DE BALZAC.

Aux Mufes.

INGRATES Filles de mémoire,

Je crois que vous n'ignorez pas
Que j'ai préferé vos appas
Aux appas même de la gloire ;
Et que parmi ces vanitez,
Ces faveurs & ces dignitez,
Où le foin des autres aspire,
Je ne demande à mon bonheur
Que d'avoir part à cet honneur,
Sur qui le tems n'a point d'empire.

Enflé de cette belle audace,
A peine fçavois-je marcher,
Que j'ofai vous aller chercher

Au plus haut fommet du Parnaffe :
Apollon m'ouvrit les trésors;

Et vous me jurâtes dès-lors
Par vos fciences immortelles,

Que mes écrits verroient le jour,

Et

Et tant qu'on parleroit d'amour
Vivroient en la bouche des belles.

Toutefois, après ces careffes
Que je veux partout publier,
BALZAC Vous a fait oublier
Mes fervices & vos promefles
Lui feut difpofe par fes mains
De cet honneur dont les humains
Après la mort efperent vivre;
Et quoique vous m'ayez juré,
Je n'en ferois point affûré,
Si je ne l'avois dans fon livre.

Son éloquence eft celle-même
Qui fait & défait les Etats,
Brave l'orgueil des Potentats,
Et foule aux pieds leur diadême :
On y voit ces conceptions,
Qui donnent à nos paffions
Des peuples entiers pour complices;
Celles qui les font foulever,
Et celles qui leur font trouver
En la mort même des délices.

C'est elle qui dans les tempêtes

Du populaire mutiné, Retient par l'oreille enchaîné Ce cruel Typhon à cent têtes ; Tome 11,

RACAN

RACAN,

C'est par fes effets différens
Qu'on voit arracher les Tyrans
D'entre les bras de la Fortune,
Ou qu'ils fçavent s'y maintenir;
Et qu'ils ont le pouvoir d'unir
Toutes nos volontez en une.

Bel Efprit, par qui tous les hommes Sont visiblement devancez

La honte des fiécles paffez,

Et l'honneur du fiécle où nous sommes ;

Dieu d'éloquence & de fçavoir,

Dont les écrits fe feront voir
Triomphans de la Destinée;
Te fçaurois-je rien immoler,
Qui puiffe jamais égaler
La gloire que tu m'as donnée?

En vain dans le marbre & le jaspe
Les Rois penfent s'éternifer;
En vain ils en font épuifer
L'une & l'autre rive d'Hydafpe:
En vain leur pouvoir fans pareil
Eleve jufques au Soleil
Leur ambitieufe folie;
Tous ces fuperbes bâtimens
Ne font qu'autant de monumens
Où leur gloire eft enfevelie,

Ces Héros, jadis vénérables,

Par les âges nous sont ravis;

Les Dieux même qu'ils ont fervis

N'ont plus de noms que

dans nos fables:

Ni les Temples, ni les autels

Ne font point honneurs immortels;

A peine en voit-on les images:

Quoiqu'efpere la vanité,

Il n'eft point d'autre éternité,
Que de vivre dans tes Ouvrages.

Par eux feuls la rigueur des Parques
Se rend fenfible à la pitié;

Par eux feuls de notre amitié

Se gravent à jamais les marques;
Et dans les fiécles à venir,

la Mort même doit finir,

Notre mémoire révérée

Partout où le Soleil luira,

A l'Univers égalera

Son étendue & fa durée.

POUR M. LE DUC DE BELLEGARDE,

PAIR ET GRAND ECUYER DE FRANCE.

AMOUR, à qui je dois les chanfons immortelles,

Qui par toute la Terre ont volé fur tes aîles,

RACAN.

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