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Tous ces Poëmes furent effacez par le Roman de la Rofe, que l'on regarde encore aujourd'hui comme le meilleur de tous les ouvrages de Poëfie qui ont été faits avant le régne de François I. Il fut commencé par Guillaume de Loris, ainfi nommé du Bourg de Loris en Gâtinois, où il étoit né, & continué par Jean de Meun, ainfi dit parce qu'il étoit de la petite ville de Meun fur la Loire, à quatre lieuës d'Orleans, & furnommé Clopinel, c'està-dire, en langage de ce tems-là, le Roiteux, parce qu'il boitoit effectivement. Tout eft vivant dans leur ouvrage; tout y a une figure & une voix. Il est d'ailleurs varié d'une infinité d'épifodes & de difgreffions agréables. Leurs Auteurs fément partout fur leur route une fatyre très forte des mœurs de leur tems. Toutes les conditions font paffées en revûë, fans épargner aucunes Puiffances, foit SécuLieres ou Eccléfiaftiques. Ils peignent aufli les femmes avec les couleurs les plus noires, & rien ne leur échappe de ce qui peut infpirer de l'averfion. & du mépris pour elles. Nous avons peu d'Ecrivains qui les ayent plus maltraitées. Toutes à ce Tribunal font inégales, bizarres, injuftes & perfides. Cependant la vûë de ces Auteurs, & cette, vûë ne peut être trop blâmée, a été de réduire en art la plus naturelle & la plus dangereufe de toutes. les paffions,

Ci eft le Roman de la Rofe,

Ou tout l'art d'amour est enclose.

Cette paffion eft reprefentée prefque partout avec des charmes dont il eft bien difficile de fe défendre, & le gros de l'ouvrage eft employé à prefcrire des régles pour y réuffir. De-là vient que la plupart

que

des perfonnes vertueufes s'éleverent contre, & avec raifon. Elles foutenoient qu'il tendoit directement à corrompre les mœurs & ; d'ailleurs if étoit rempli de fatyres atroces contre les perfonnes qui méritent le plus de refpect. Les Religieux qui s'y voyoient maltraitez en cent endroits, n'obmettoient rien pour le décrier. Les Prédicateurs l'anathématifoient dans toutes les Chaires; & plus d'un fiécle après, le célébre Gerfon, Chancelier de 1 Univerfité de Paris, fit exprès un Traité Latin pour le combattre. D'un autre côté cet ouvrage eut un grand nombre de partifans qui le préconifoient; & Jean de Monftreuil, Prevôr de Lille, se fâcha serieufement contre ceux qui le blâmoient : c'est ce qu'on voit dans quelques-unes de fes Lettres Latines, imprimées dans la grande Collection des Peres Martenne & Durand.

A entendre ces Apologiftes du Roman de la Rofe, c'étoit un ouvrage incomparable, très-propre à corriger les hommes de leurs ridicules & de leurs vices. Leurs Auteurs, felon eux, avoient joint à la connoiffance du cœur humain, celle de toutes les Sciences. On prétendoit que leur ouvrage n'étoit qu'un tiffu d'allégories qui cachoient de grands myfteres, & des véritez où il n'étoit pas permis à tout le monde d'entrer. Que n'y voyoit-on pas ? Et que ne prétendit point y découvrir en particulier Jean Molinet, qui prit la peine de moralifer ce Roman, & qui en fit par ce moyen un ouvrage très-ennuyant & fort ridicule? Mais on doit convenir de bonne foi que tous ces Apologiftes ont prêté à nos deux Auteurs des intentions qu'ils n'avoient jamais euës: Que Guillaume de Loris & Jean de Meun ont prétendu faire un ouvrage de

galanterie, & que lorfqu'ils employent les mots de Verger, de Jardin, de Rofier, & de Rofe, ils fe fervent de termes honnêtes, pour exprimer des chofes qui ne le font pas.

La prévention étoit toujours pour le Roman de la Rofe, & duroit depuis cent vingt ans, lorfque Martin Franc, qui fut Secretaire de Felix V. & de Nicolas V. Papes, offenfé du mal que l'on dit des femmes dans cet ouvrage, entreprit de venger contre lui le beau Sexe outragé. C'eft le but principal de fon Poëme extrêmement prolixe, qu'il intitula le Champion des Dames. Il y introduit un des plus mortels ennemis du Sexe, lui met dans la bouche tout ce qu'on peut objecter aux femmes de plus fort & de plus infultant, & fe charge d'y répondre. Ily a beaucoup de difgreffions dans ce Poëme; mais on y voit que l'Auteur ne manquoit pas de génie, & qu'il connoiffoit le naïf & le plaifant. Il avoit aufli quelque talent pour conter, & n'attrapoit pas mal le caractere fimple & ferré que demande ce genre d'écrire. Le pathétique même & le fublime ne lui étoient pas abfolument inconnus, & l'on en trouve des traces en plus d'un endroit de fon Poëme. Son zéle pour les Dames l'emporte fi loin, qu'il ne met aucune égalité entre les deux Sexes, & qu'il ne craint pas même de foutenir que les hommes font en tout inférieurs aux femmes. Quoiqu'il fût Ecclefiaftique,. il fe montre partout grand partifan du mariage. On connoît encore de lui un Traité mêlé de Profe & de Vers, qu'il intitula, l'Etrif, c'est-à-dire, le dé bat de Fortune & de Vertu où il a pour but de faire voir l'antipathie prefque infurmontable qu'elles ont l'une pour l'autre, & combien il est difficile de les concilier.

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Avant Martin Franc, & depuis le Roman de la Rofe jufqu'au Champion des Dames, on avoit vû en France plufieurs Poëtes qui s'étoient fait quelque réputation, mais dont les écrits font prefque inconnus aujourd'hui, ou ne font confervez que manufcrits dans les Bibliotheques. Ce fut auffi dans le même intervale, & en particulier vers ou fous le régne de Charles V. furnommé le Sage, que l'on vit naître le Chant Royal, la Ballade, le Lai, le Virelai, le Triolet, le Rondeau, & toutes les autres Pieces, dont le principal agrément consiste dans le refrein.

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Le Vaudeville, qui fait partie de ces petites Piéces, eft plus ancien que les autres, s'il eft vrai, comme quelques Sçavans le penfent, qu'il fut connu dès le tems de Charlemagne. Ce qu'on fçait de plus certain, c'eft qu'il fut renouvellé long tems après au terroir de Vire, petite Ville de Normandie fur la Riviere du même nom. I Il eft affez vrai femblable qu'on l'appella d'abord Vaudevire, ce qui marquoit fon origine, & que par corruption on a dit depuis Vaudeville. Quelques Auteurs attri buent ce genre de Poëfie, ou cette forte de Chanfon en Vers, à Olivier Baffelin. Si ce fait eft dou on fçait au moins que dès le régne de Philippe I. ces Chanfons étoient en vogue. Ives de Chartres en parle dans une de fes Lettres. Le Vaudeville eut d'abord pour objet de cenfurer les vices; & ce motif pouvoit n'être pas repréhensible: mais on n'en demeura pas là; on s'imagina fauffement qu'on ne pouvoit bien peindre de certains vices,

teux,

Ellais fur l'Hiftoite des Belles-Lettres.

à moins qu'on ne défiguât les vicieux, & la licence alla fi loin, que pour la réprimer, Ives de Chartres fe crut obligé de réclamer l'autorité du Saint Siége par une Lettre que ce Prélat écrivit au Pape Urbain II. Mais il eft probable que fes efforts n'eurent pas grand fuccès.

Le Chant Royal, né fous Charles V. ne fut en honneur que du tems de Henri II. c'étoit un Poëme compofé de cinq couplets & d'un envoi; le tout fur trois, quatre, ou cinq rimes.

La Ballade, moins longue que le Chant Royal, n'avoit que trois couplets, & un Envoi qui étoit comme l'abregé de la Ballade: on les nonime ainsi parce qu'on l'adreffoit au Prince des Jeux Floraux, ou à celui du Puy à Rouen, pour fe le rendre favorable dans la diftribution des Prix. On crut donner plus d'agrément à ces fortes de Poëmes, en répétant un même Vers à la fin des couplets & de l'Envoi; & ce Vers répété, toujours plaifant & ingénieux, s'appella Refrain. On ne fçait pas bien quels furent les premiers Auteurs de la Ballade. Froiffard contribua beaucoup à la mettre en vogue, le Pa radis d'Amour, le Temple d'Honneur, la Fleur de la Marguerite, & quelques autres Pieces semblables de ce Poëte font connues des Curieux. Un Prieur de Sainte Genevieve de Paris, dont nous ignorons le nom, a donné des régles pour ce genre de Poëfie, dans un Traité fort court qui a pour titre: Art de dictier Ballades & Rondels. Cet écrit a été imprimé autrefois en caracteres gothiques.

Le Lai, le Virelai, & le Triolet, ont la même origine que la Ballade. Le premier étoit la Poëfie Lyrique de nos vieux Poëtes: il rouloit fur des fujets, tantôt triftes, tantôt gais; & l'on en vit de Tome I.

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