Page images
PDF
EPUB

De mes habits en effet il pilla
Tous les plus beaux, & puis s'en habilla
Si juftement, qu'à le voir ainfi être,

Vous l'euffiez pris en plein jour pour fon

Maître.

Finalement, de ma chambre il s'en vá
Droit à l'étable, où deux chevaux trouva;
Laiffe le pire, & fur le meilleur monte
Pique & s'enfuit. Pour abreger le conte,
Soyez certain qu'au fortir dudit lieu,
N'oublia rien fors à me dire adieu.

Ainfi s'en va chatouilleux de la
2

gorge,
Ledit Valet, monté comme un Saint George;
Et vous laiffa Monfieur dormir fon faoul,
Qui au réveil n'eût fçû trouver un foul.
Ce Monfieur-là, SIRE, c'étoit moi-même,
Qui, fans mentir, fus au matin bien blefie,
Quand je me vis fans honnête vêture,
Et fort fâché de me voir fans monture:
Mais pour l'argent que vous m'aviez donné,
Je ne fus point de le perdre étonné;
Car votre argent, très-débonnaire Prince,
Sans point de faute eft fujet à la pince. 3

1 Fors, c'eft-à-dire, excepté, finon.

2 Pour dire burlefquement un homme, qui cherche la corde.

3 M. Camus, Evêque du Bellay, difoit que l'argent en

Tome I.

B.

MAROT.

MAROT.

Mais néantmoins ce que je vous en mande,
N'eft pour vous faire ou Requête, ou demande;
Je ne veux point tant de gens
reffembler,

Qui n'ont fouci autre

que d'affembler..

Tant qu'ils vivront, ils demanderont eux;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m'arrêter :-

Je ne dis
pas, fi vous voulez rien prêter,
Que ne le prenne: il n'est point de prêteur,
S'il veut prêter, qui ne faffe un debteur. 2
Et fçavez-vous, SIRE, comment je paye?
Nul ne le fçait, fi premier ne l'effaye.
Vous me devrez, fi je puis, du retour;
Et vous ferai encores un bon tour,
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle;
Je vous ferai une belle cédule,
A vous payer (fans ufure il s'entend}
Quand on verra tout le monde content.;
Ou fi voulez, à payer ce fera,
Quand votre gloire & renom ceffera.
Avifez donc, fi vous avez defir

"

De rien prêter, vous me ferez plaifir:

tre dans le coffre des Rois, comme la vérité entre dans leur oreille, un pour cent.

1 Affembler pour amaffer.

2 Debteur pour débiteur.

3 Cette façon de parler n'eft plus en ufage que parmi le bas peuple.

MAROT.

I

Car depuis peu j'ai bâti à Clément,
Là où j'ai fait un grand déboursement ;
Et à Marot, qui eft un peu plus loin:
Tout tombera, qui n'en aura le foin.
Voilà le point principal de ma lettre.
Vous le fçavez, il n'y faut plus rien mettre :
Rien mettre, hélas ! certes & fi ferai,
Et ce faifant, mon ftile j'enflerai,

Difant, ô Roi amoureux des neuf Muses,
Roi, en qui font leurs fciences infufes,
Roi, plus que Mars d'honneur environné,
Roi, le plus Roi, qui fut onc couronné;
Dieu tout-puiffant te doint, 2 pour t'étrêner,
Les
quatre coins du monde à gouverner;
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour 3 autant que fur tous en es digne. 4

Ce mot, pour déboursé, dépense, n'eft plus ufité. 2 Celui-ci ne peut trouver place que dans le ftile burlefque.

Cy deffous git Monfieur l'Abbé,

Qui ne fçavoit ni A, ni B:

Dieu nous en doint bien-tôt un autre,

Qui fçache au moins fa Patenôtre. Menage.

3 Pour autant que (c'est-à-dire, parce que) feroit barbare aujourd'hui.

4 Digne ne rime pas exactemement avec machine: mais cette petite négligence (fi c'en étoit une du tems de Marot) eft bien excutable dans un Poëte à qui l'on ne peut guére en reprocher de femblables.

1

MAROT.

A un de fes Amis, touchant l'Epitre précédente.

PUISQUE le Roi a defir de me faire
En mon befoin quelque gracieux prêt,
J'en fuis content; car j'en ai bien affaire,
Et de figner ne fus oncques fi prêt :
Pourquoi vous pri' fçavoir de combien c'est
Qu'il veut cédule, afin qu'il se contente.
Je la ferai tant fûre, fi Dieu plaît,
Qu'il n'y perdra que l'argent & l'attente.

SAINT-GELAIS.

M

ELIN DE SAINT-GELAIS, origi

GELAIS.

naire de Poitou, & natif d'An- SAINTgoulême, étoit fils naturel du Poëte Octavien de Saint-Gelais, Sieur de Lanfac. Il fut fort eftimé à la Cour des Rois François I. & Henri II. Son pere, qui prit grand foin de fon éducation, lui fit apprendre la Philofophie, le Droit, la Théologie & les Mathématiques, ce qui le diftingua beaucoup des autres Poëtes de fon tems. Il excelloit dans l'Epigramme, & on ne fçavoit auquel de lui ou de Marot on devoit en adjuger le prix. La jaloufie que Saint-Gelais conçut des applaudiffemens que l'on donnoità la Mufe naiffante de Ronfard, le fit retourner aux Vers Latins qu'il avoit abandonnés. Il étoit Abbé de Recluz, Aumônier & Bibliothequaire du Roi, & mourut à Paris fous le régne

« PreviousContinue »