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Emploi de

a achetées à un prix modique; parce que le substantif, étoffes, est pris dans un sens indéterminé. Ces mots,qu'il a achetées à un prix modique, ne renfermant qu'une idée accessoire, qui n'est pas nécessairement liée à la première, ne peuvent servir à donner à ce substantif une signification déterminée. Mais on dira avec l'ar ticle ce marchand s'est défait avantageusement des belles étoffes qu'il avoit achetées à un prix modique. Le substantif, étoffes, est employé ici dans un sens déterminé, que ces mots, qu'il avoit achetées à un prix modique, servent à lui donner, parce qu'ils renferment une idée nécessairement liée à la première.

La régle, que je viens d'exposer, est sûre, et ne souffre que deux exceptions:

1. Quant à l'adjectif qui précéde son substantif, lorsqu'ils forment tous deux un sens indivisibles. Il faut alors mettre l'article: Cet homme a des belles-lettres; l'article. C'est-à-dire, de la littérature; il voit des beaux esprits, des grands Seigneurs; c'està-dire, des gens de lettres, des gens de qualité.

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2. Quant aux adverbes de quantité pas et point, lorsque, sans influer sur le nom substantif qu'ils précédent, ils tombent sur un autre mot. On doit alors employer l'article, comme l'a fait Racine dans ce vers de sa tragédie de Bajazet:

Je ne vous ferai point des reproches frivoles. ~ c'est Roxane qui parle à Bajazet, à qui elle

fait des reproches dans toute cette scène.
Elle ne veut donc pas dire qu'elle ne lui
fera point de reproches; mais qu'elle ne
lui fera point de ces reproches qui ne se-
roient que frivoles. Ainsi l'adverbe point
n'influe pas sur le substantif reproches :
il ne tombe que sur le verbe ferai. La
même remarque doit avoir lieu sur ce vers
du même poëte, dans sa tragédie de Phèdre:
Madame, je n'ai point des sentimens si bas.
c'est-à-dire, de ces sentimens qui seroient
si bas.

Bien, mis pour beaucoup, n'est pas précisément un adverbe qui renferme une idée de quantité: mais il signifie seulement en abondance, largement. Ainsi il doit être suivi de l'article: Cet homme a beaucoup de vertu, et bien de la vertu; beaucoup de courage, et bien du courage.

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Il y a encore une observation bien essentielle à faire sur cette régle, qui veut qu'on n'emploie pas l'article avant un nom précédé de son adjectif. Elle ne souffre à cet égard aucune difficulté, quand ce nom est au pluriel. Mais doit-elle être observée, quand ce nom est au singulier? C'est ce que les grammairiens n'ont pas dit.

Restaut, observateur de cette régle, n'emploie pas l'article: il dit dans sa grammaire, pag. 465 et 466 de bon pain et de bonne eau suffisent pour la nourriture du corps humain. Les gens de guerre sont souvent réduits à de mauvais pain et à de

Remarque essentielle.

mauvaise viande. Pour bien écrire, il faut de bon papier et de bonne encre.

L'abbé Girard au contraire, violateur de cette régle, fait usage de l'article: il dit, dans ses principes de la langue françoise, tom. 2, pag. 22 j'ai fait ce matin de la bonne besogne. Venons à une autorité bien plus respectable, et la seule capable de fixer notre incertitude.

L'Académie française, dans son dictionnaire, édit. de Paris 1762, dit au mot papier: du grand papier; du petit papier; et au mot viande, elle dit de bonne viande; de belle viande. Pourquoi le premier nom est-il précédé de l'article particulé du? et pourquoi le second n'est-il précédé que de la particule de? Diroiton que c'est à cause de la différence du genre, différence qui, comme cela arrive quelquefois, pourroit ici changer la régle établie ? Mais la même Académie, dans le même ouvrage, après avoir employé l'article avant un nom masculin, le supprime avant un autre nom de ce genre: après avoir dit, du petit papier; elle dit au mot sang cela fait faire de mauvais sang. Ne sommes-nous donc pas en droit de conclure que cette régle ne regarde point les noms qui sont au singulier, et qu'on peut indifféremment employer, ou ne pas employer l'article avant ces noms ? Wailly, qui m'a cité dans la nouvelle remarque édition de sa grammaire (1786), touche de VVailly- légèrement cette question, pag. 123; et

Observa

tion sur une

il tranche la difficulté, en disant qu'il faut regarder du grand papier, comme une faute d'impression. Mais dans ce même dictionnaire, même édit. de Paris 1762, nous lisons au mot écrire On dit figurément et familierement écrire de bonne encre, de la bonne encre à quelqu'un, pour dire, lui écrire fortement sur quelque chose. Nous lisons au mot encre on dit figurément et familièrement, écrire de bonne encre, de la bonne encre à quelqu'un pour dire, en termes forts et pressans, et même menaçans. Faudra-t-il aussi regarder cet exemple, rapporté en deux endroits différens, comme une faute d'impression? J'en citerai ici un autre où un substantif singulier, sans adjectif, est mis avec l'article et sans l'article. La même Académie dit au mot faire il ne faut faire de peine, de la peine à personne.

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l'article,

Quoiqu'on emploie principalement l'ar- Autre ticle, pour déterminer la signification des emplci de noms communs, soit, comme je l'ai dit ailleurs, qu'on veuille par ces noms exprimer toute une espéce de choses, soit qu'on ne veuille désigner qu'une ou plusieurs parties de cette espéce, on le met cependant quelquefois avant les noms propres d'hommes. Mais faut-il alors mettre ces noms au singulier, ou au pluriel? Pour résoudre cette question, j'adopterai bien volontiers la distinction que fait l'abbé Girard. En voici le sens, avec les exemples qu'il cite.

Si ces substantifs ne servent, précisé.

:

ment, qu'à distinguer les personnes par leur nom, ils doivent être mis au singulier. On dira donc les deux Corneille se sont distingués dans la république des lettres : il est peu de magistrats aussi anciens dans la robe, que les Nicolaï et les Lamoignon: c'est ainsi que se sont conduits les plus grands capitaines, tels que les Scipion, les Turenne, et les Maurice. Mais si par ces noms de personne, on veut exprimer une qualité, on doit alors les mettre au pluriel. On dira donc ces deux princes ont été les Alexandres de leur siècle : ils sont tous braves comme des Césars.

:

L'article accompagne encore les adjectifs placés avant ou après un nom propre. Henri le grand; le grand Henri Louis le grand; le grand Louis. Mais il est bon d'observer, après Duclos, que, dans ces cas, l'adjectif mis avec l'article avant le nom propre, ne sert qu'à qualifier cette personne dont on parle placé après, il sert à la distinguer de celles qui portent le même nom. Ainsi, le riche Luculle, veut dire seulement, Luculle qui est riche, sans marquer qu'il y a plus d'un Luculle. Au contraire, Luculle le riche, marque qu'il y a plusieurs Luculte, dont celui-ci est distingué par ses richesses, étant comme le riche d'entre les Luculle.

Si un substantif est accompagné de plusieurs adjectifs, qui expriment des qualités opposées, il faut, avant chaque adjectif, répéter l'article, soit simple, soit

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