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pressions, à la vivacité des images, à la noblesse et à la grandeur des sentimens. Il émeut les esprits avec une adresse-merveilleuse, agite l'âme avec violence, la transporte, l'enléve à elle-même. Majestueux, abondant et magnifique, dit Ciceron (1), il réunit tout ce que l'art oratoire a de plus fort et de plus véhément. C'est cette espéce d'éloquence qui a enlevé les suffrages, qui s'est rendue maîtresse des délibérations publiques, qui a étonné le monde par le bruit et la rapidité de sa course; qui, après avoir excité l'applaudissement et l'admiration des hommes, les laisse dans le désespoir d'atteindre à cette haute perfection où elle s'est élevée. En un mot, c'est elle qui régne souverainement sur les esprits et sur les cœurs; qui tantôt brise tout ce qui ose lui résister, tantôt s'insinue dans l'âme des auditeurs par des charmes secrets, et tantôt y établit de nouvelles opinions, ou déracine celles qui paroissent les mieux affermies.

Quintilien compare ce genre d'éloquence à un fleuve impétueux, qui entraîne tout, jusqu'aux pierres et aux rochers rompt ses ponts et ses digues, ne connoît d'autres rives que celles qu'il se fait luimême, s'enfle et s'irrite de plus en plus dans son cours. Aussi l'Orateur, dit-il (2), y emploie les couleurs les plus fortes et les plus vives. Tantô. il évoque les morts; tan

(1) De Orat., N.o 97.

(2) De Inst., L. 12, c. 19.

tôt il personnifie la patrie, pour gémir sur les attentats d'un citoyen rebelle. Il éléve son discours par la hardiesse des hyperboles, apostrophe les Dieux, prête de l'âme et du sentiment aux êtres inanimés, excite la colère et toutes sortes d'autres mouvemens.

Les Orateurs de l'antiquité qui ont le plus excellé dans ce genre d'éloquence, sont Démosthène et Cicéron: parmi nous, ce sont Bourdaloue, Bossuet et Massillon. Le Sermon de ce dernier sur le petit nombre des élus, est plein de morceaux sublimes. Voici le plus frappant. L'Orateur l'a imité d'un discours prononcé par le grand St.-Chrysostome, dans l'église de Constantinople.

« Je suppose que ce soit ici notre der» nière heure à tous; que les cieux vont s'ouvrir sur nos têtes; que le temps est » passé, et que l'éternité commence; que » Jésus-Christ va paroître, pour nous ju> ger selon nos œuvres, et que nous sommes "tous ici, pour attendre de lui l'arrêt » de la vie ou de la mort éternelle. Je vous » le demande, frappé de terreur comme » Yous ne séparant point mon sort du » vôtre, et me mettant dans la même situa>>tion où nous devons tous paroître un » jour devant Dieu notre juge: si Jésus» Christ, dis-je, parois oit dès à présent, » pour faire la terrible séparation des jus»tes et des pécheurs; croyez-vous que le » plus grand nombre fut sauvé? Croyezvous que le nombre des justes fut au moins égal à celui des pécheurs? Croyez

vous que, s'il faisoit maintenant la dis» cussion des œuvres du grand nombre qui » est dans cette Eglise, il trouvât seule»ment dix justes parmi nous ? En trouve>> roit-il un seul »?

Ce morceau, dit Voltaire (1), est un des plus beaux traits d'éloquence qu'on puisse lire chez les Nations anciennes et modernes; et le reste du discours n'est pas indigne de cet endroit si saillant. Il ajoute qu'à peine Massillon eut prononcé ces dernières pároles, qu'un transport de saisissement s'empara de tout l'auditoire : presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire. Le murmure d'acclamation et de surprise fut si fort, qu'il troubla l'Orateur; et ce trouble ne servit qu'à augmenter le pathétique de ce morceau.

Aucun de ces trois genres ne se trouve ordinairement seul dans une pièce d'éloquence. Tous les trois y sont réunis, et s'y soutiennent l'un par l'autre. L'Orateur devant instruire, plaire et toucher, est obligé de les entreméler, parce que chacun de ces trois genres a un rapport plus marqué à chacun de ces trois devoirs. Dans les endroits du discours où il veut instruire, il doit s'exprimer d'une manière simple : dans les endroits où il veut plaire, il doit répandre les plus belles fleurs de l'élocution: dans les endroits où il veut toucher, il doit parler fortement au cœur, élever l'âme par le sublime des

(1) Mélang. tom. I.

Tome I.

P

pensées et des sentimens. Le genre simple est donc plus particulièrement propre à la preuve, quoiqu'il soit quelquefois pathétique et touchant. Le genre fleuri est plus particulièrement propre à plaire, quoiqu'il pénétre aussi quelquefois jusqu'au cœur. Mais le propre du genre sublime est toujours d'émouvoir vivement et de persuader: c'est le triomphe de l'éloquence; c'est le talent suprême de l'Orateur.

De plus grands détails sur l'art de bien écrire, me paroîtroient ici superflus : ils ne serviroient qu'à fatiguer la mémoire et l'esprit des jeunes gens, sans les instruire peut-être davantage. Il leur suffit d'en bien savoir les principes généraux, et de lire nos bons Ecrivains, que je ferai connoître, en exposant les régles des divers genres de littérature. Avant de traiter cette seconde Partie de mon Ouvrage, je vais faire quelques remarques sur le style épistolaire. Il est assez important aux jeunes gens de ne pas ignorer, en entrant dans le monde, la manière de bien écrire une lettre, et le cérémonial qu'on y doit observer.

T.

OBSERVATIONS

GÉNÉRALES

Sur l'Art d'écrire les Lettres.

L y a deux espéces de lettres; les unes qu'on appelle philosophiques, parce que fon peut y discourir sur toutes sortes de matières; y traiter de la morale, de l'homme, des passions, de la politique, de la littérature, en un mot de tous les arts, de toutes les sciences, et de tous les objets qui y ont quelque rapport. Les autres appelées familières, ne sont autre chose qu'une conversation écrit entre des personnes absentes. Il n'est question ici que de celles de cette dernière espéce.

par

Lettres

Tout ce qu'on peut dire sur le style familières. propre aux lettres familières, est renfermé dans ce précepte si connu et si souvent recommandé; qu'on doit écrire comme l'on parle. Mais il faut supposer qu'on parle bien; et peut-être même est - on obligé de parler un peu mieux dans une lettre que dans la conversation, parce qu'on a le temps de choisir ses idées et ses expressions, et de leur donner un tour plus agréable. Cependant rien n'y doit paroître recherché en aucune manière. Le style simple et facile est le seul, qui puisse être mis en usage. Dans les lettres de sentiment, il doit être pathétique, mais en pénétrant dans l'àme

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