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je pourrois en dire, en donneroit une bien moins juste idée que les exemples. Voici sur quel ton Bourdaloue commence la seconde partie de son Oraison funèbre du grand Conde (a) :

« Il n'y a point d'astre qui ne souffre » quelque éclipse; et le plus brillant de tous, qui est le soleil, est celui qui en » souffre de plus grandes et de plus sensi»bles. Mais deux choses en ceci sont bien » remarquables: l'une que le soleil, quoi» qu'éclipsé, ne perd rien du fond de ses » lumières, et que malgré sa défaillance, >> il ne laisse pas de conserver la rectitude

de son mouvement: l'autre qu'au mo>>ment qu'il s'éclipse, c'est alors que tout » l'univers est plus attentif à l'observer et » à le contempler, et qu'on en étudie plus >> curieusement les variations et le sys» téme symbole admirable des états où >> Dieu a permis que se soit trouvé notre >> Prince, et où je me suis engagé à vous » le représenter. C'est un astre qui a eu ses » éclipses: en vain entreprendrois-je de » vous les cacher, puisqu'elles ont été » aussi éclatantes que sa lumière même; » et peut-être serois-je prévaricateur, si » je n'en profitois pas, pour en faire au» jourd'hui le sujet de votre instruction ».

L'exemple suivant est tiré de l'Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche (b),

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(b) Voyez le mot Autriche, ibid.

LETTRES. 281 Reine de France, par Bossuet. Les vraies beautés du style sublime, s'y montrent dans tout leur éclat.

«Tu céderas ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger (a), riche des dépouilles , de la chrétienneté. Tu disois en ton cœur avare: je tiens la mer sous mes lois, et les nations sont ma proie. La › légèreté de tes vaisseaux te donnoit de la confiance: mais tu te verras attaquée dans tes murailles, comme un oiseau ravissant qu'on iroit chercher parmi ses =>rochers et dans son nid, où il partage son

butin à ses petits. Tu rends déjà tes esclaves. Louis a brisé les fers dont tu "accablois ses sujets, qui sont nés pour » être libres sous son glorieux Empire. Tes > maisons ne sont plus qu'un amas de » pierres. Dans ta brutale fureur tu te » tournes contre toi-même, et tu nesais » comment assouvir ta rage impuissante. » Mais nous verrons la fin de tes briganda-, "ges. Les pilotes étonnés s'écrient par » avance: Qui est semblable à Tyr (b)? » Et toutefois elle s'est tue au milieu de la » mer; et la navigation va être assurée par » les armes de Louis ».

Jean-Baptiste Rousseau fournit une foule d'exemples de style sublime. En voici un pris au hazard dans son Ode sur l'aveuglement des hommes.

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(b) Voyez ce mot, ibid.

Tome I.

M 2

Prosopo

pee.

L'homme en sa propre force a mis sa confiance:
Ivre de ses grandeurs et de son opulence,
L'éclat de sa fortune enfle sa vanité,

Mais ô moment terrible! ô jour épouvantable!
Où la mort saisira ce fortuné coupable,
Tout chargé des liens de son iniquité.

Que deviendront alors, répondez, grands du monde,
Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde,
Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson?
Sujets, amis, parens, tout deviendra stérile;
Et dans ce jour fatal l'homme à l'homme inutile
Ne paîra point à Dieu le prix de sa rançon...
D'avides étrangers, transportés d'allégresse,
Engloutissent déjà toute cette richesse,

Ces terres, ces palais de vos noms ennoblis,
Et que vous reste-t-il en ces momens suprêmes?
Un sépulcre funèbre, où vos noms, où vous-mêmes
Dans l'éternelle nuit serez ensevelis.

Les figures touchantes ou propres aux passions, celles qui conviennent plus particulièrement au style sublime, sont la prosopopée, l'apostrophe, l'exclamation, l'épihoneème, la dubitation, l'interrogation, l'imprecation, la déprécation, la reticence et la suspension.

La Prosopopée; une des plus vives, des plus magnifiques et des plus brillantes figures de l'éloquence et de la poésie, fait parler tous les étres, soit animés, soit insensibles, soit réels, soit imaginaires; les morts mêmes. Tel est cet endroit du poëme de la Religion par Raçine le fils:

La voix de l'univers à ce Dien me rappelle.
La terre le publie: est-ce moi, me dit-elle,
Est-ce moi qui produis mes riches ornemens?
C'est celui dont la main posa mes fondemens.
Si je sers tes besoins c'est lui qui me l'ordonde,
Les présens qu'il me fait, c'est à toi qu'il les donne.
Je me pare des fleurs qui tombent de sa main;
Il ne fait que l'ouvrir, et m'en remplit le sein
Pour consoler l'espoir du laboureur avide,
C'est lui qui dans l'Egypte (a)où je suis, trop aride,
Veut qu'au moment prescrit, le Nil (b) loin de
ses bords,

Répandu sur ma plaine, J porte mes trésors.

Jean-Jacques Rousseau s'est servi bien avantageusement de cette figure dans son Discours sur les Lettres. Voici ce beau

morceau.

"O Fabricius(c), qu'eût pensé votre grande » âme, si, pour votre malheur vous eus» siez vu la face pompeuse de Rome sau»vée par votre bras, et que votre nom

respectable avoit plus illustrée que tou» tes ses conquêtes? Dieux! eussiez-vous » dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habitoient. » jadis la modération et la vertu? Quelle » splendeur funeste a succédé à là sim»plicité Rom aine? Quel est ce langa»ge étranger? Quelles sont ces mœurs » efféminées? Que signifient ces statues

(a) Voyez ce moi, dans les notes, à la fin

de ce Volume.

(2) Voyez ce mot, ibid.
(c) Voyez ce mot, ibid.

A postrophe.

» ces tableaux, ces édifices? Insensés, » qu'avez vous fait ? Vous, les maîtres, » des nations, vous vous êtes rendus les » esclaves des hommes frivoles que vous >> avez vaincus ! Ce sont des Rhéteurs qui »Vous gouvernent! C'est pour enrichir "des Architectes, des Peintres, des Sta»tuaires, et des Histrions, que vous » avez arrosé de votre sang la Grèce et » l'Asie! Les dépouilles de Cartage (a)

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sont la proie d'un joueur de flutte! » Romains, hâtez-vous de renverser ces » amphithéâtres; brisez ces marbres; brûlez ces tableaux; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes >> arts Vous corrompent. Que d'autres » mains s'illustrent par de vains talents: » le seul talent digne de Rome, est celui » de conquérir le monde, et d'y faire » régner la vertu ».

L'Apostrophe adresse directement la parole à quelque objet animé ou inanimé : A Dieu, comme on le voit dans cet endroit de l'Oraison funèbre de Turenne (b) par Flechier.

O Dieu terrible, mais juste en vos >> conseils sur les enfans des hommes, » yous disposez et des vainqueurs et des » victoires. Pour accomplir vos volontés > et faire craindre vos jugemens, votre » puissance renverse ceux que votre puis

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(b) Voyez ce mot, ibid.

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