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Moyens

Ce que j'appelle esprit, c'est la vive peinture
Des naives beautés qu'étale la nature,

Qui fait que d'un coup-d'œil le lecteur apperçoit
Un objet tout entier et tel qu'il le conçoit (1).

Voilà le bon esprit, l'esprit vrai, l'esprit
seul agréable, qui fait le mérite d'un
ouvrage, la gloire d'un écrivain, et le
charme du lecteur. Oui, il faut qu'à la
première lecture, avec une médiocre at-
tention, sans gêne et sans étude, on trouve
un sens net et développé. Si l'on est obligé
de le chercher, le style manque de clarté,
et par-là même est vicieux.

Il est donc du devoir de l'écrivain, de donner à ses pensées toute l'explication et toute la clarté qu'il faut, pour que ses lecteurs les comprennent parfaitement. S'il doit, suivant le précepte d'Horace, tâcher d'être court, c'est sans rien omettre de ce qui est essentiel et nécessaire. Mais en fuyant toute briéveté obscure, il prendra bien garde, en-même temps, de ne pas tomber dans l'excès contraire, la prolixité. On évite ce défaut, en passant sous silence tout ce qui est superflu, c'est-à-dire, tout ce qui peut être aisément entendu sans être exprimé.

a'étra Pour être clair dans votre style, ne dites elair dans ni plus ni moins qu'il ne faut; et pour parvenir à ce point, plus difficile et plus délicat qu'on ne pense, concevez bien

(1) Pope. Essai sur la Crit, trad. par l'abbé du Resnel.

votre idée, saisissez-la tout entière, embrassez-la dans toute son étendue : il est impossible que vous ne la rendiez de même, sans rester au-dessous, sans aller au-delà. Quand l'image que nous nous formons d'un objet est claire et lumineuse dans notre esprit, elle doit nécessairement se montrer telle aux yeux du lecteur. Réfléchir longtemps sur son sujet, le posséder pleinement; arranger toutes ses pensées avec ordre, et les enchaîner si bien, qu'elles paroissent naître sans effort les unes des autres; voilà le vrai moyen de mettre toutà-la-fois de l'ensemble et de la clarté dans son style.

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit ou moins nette ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien, s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément (1).

Observez aussi à la lettre ce précepte si sage, que donne la Bruyère. Tout écrivain, dit-il, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui fui est nouveau; qu'il lit pour la première fois; où il n'a nulle part, et que l'auteur auroit soumis à sa critique; et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu, seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est en effet intelligible.

(1) Boileau. Art Poët. Ch. 1.

Un moyen encore infaillible d'écrire avec clarté, c'est de placer les mots dans le discours, suivant les régles de la syntaxe. Rien de plus juste que de s'assujettir aux loix de la langue qu'on parle; loix fondées sur une dialectique très-fine et trèssolide, sur cette logique naturelle, avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés; loix qui accoutument l'esprit à une marche toujours droite et toujours ferme, dans les diverses routes qu'il peut se frayer. Un écrivain correct dans son style, est ordinairement exact dans les choses, et s'exprime toujours d'une manière si claire et si intelligible, que rien de ce qu'il veut dire, n'échappe à la vue des esprits les moins pénétrans. La plupart des fautes de langage, dit Voltaire, sont au fond, des défauts de justesse.

Qu'on ne dise point que la grammaire nuit aux élans du génie, aux grâces de l'imagination, à la chaleur du sentiment. Il est constant qu'un habile écrivain peut, sans cesser d'être correct, embellir le discours de tous les ornemens dont il est susceptible. Les idées les plus profondes, les plus brillantes, les plus sublimes se montrent sous sa plume, avec toute leur force, tout leur éclat, toute leur grandeur, sans que les régles de la langue soient violées. Si cctte vérité pouvoit étre contestée, il seroit, assurément bien facile de citer en preuves une infinité d'exemples tirés de nos meilleurs écrivains. Tout homme qui les a lus avec quelque attention, a dù voir, non

seulement
que leurs plus beaux morceaux
sont précisément ceux, où les loix gramma-
ticales sont observées avec la plus grande
exactitude; mais encore qu'il y en a bien
d'autres, auxquels il ne manque, pour être
vraiment beaux, que l'arrangement des
mots et des phrases, selon ces mêmes loix.
Ne reprochons donc point trop de sévérité à
Boileau, lorsqu'il dit :

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin,
Est toujours, quoiqu'il fasse, un méchant écrivain (1),

Convenons cependant avec les grammairiens, même les plus rigides, qu'il est des circonstances, où le génie, l'imagination, et le sentiment ne doivent point s'attacher en esclaves serviles, à certaines loix de la grammaire. Bien plus, elle autorise ellemême la violation de ces régles, comme on a pu le voir dans l'article du gallicisme et des figures de construction; et dès lors, ces fautes cessent d'être des fautes. S'il est quelquefois permis d'en faire de réelles, elles ne doivent nuire, en aucune manière, à la clarté du discours; elles doivent être légères, et de plus, rachetées par des beautés saillantes. En voici un exemple qui s'offre à ma mémoire: ce sont ces quatre vers ou Brébeuf embellit l'idée de Lucain sur l'écriture.

C'est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,

(1) Art. Poët. Ch. 1.

Et

par

dés traits divers de figures tracées, Donner de la couleur et du corps aux pensées.

On a remarqué que les régles exactes de la langue ne sont point observées dans le dernier vers. Il auroit fallu dire, de donner. Voila une faute légère, qui doit disparoître à la faveur de la beauté de la pensée.

I I.

De la Convenance du Style.

L'assortiment du style aux idées qu'on Assortiment exprime, et au sujet qu'on traite, est ce ées, par la qui en fait la convenance. Pour que le style opriété des soit assorti aux idées, il faut qu'elles soient

style aux

rmes.

rendues par les seules expressions qui leur sont propres. Les paroles sont les images des pensées, comme celles-ci sont les images des objets. Elles doivent représenter les pensées aussi fidélement, que celles-ci représentent les choses. La même conformité qui doit se trouver entre la pensée et l'objet, doit se trouver aussi entre la parole et la pensée.

Attachons-nous donc à la propriété des termes, c'est-à-dire, aux mots qui sont les vrais signes représentatifs de nos idées. Il y en a qui ont un caractère, soit de richesse, soit de vivacité, soit d'énergie, etc. Ceux-là sont faits pour une pensée qui est dans le même genre. C'est à la faveur de l'expression, qu'une pensée noble se montre dans toute sa noblesse, une pensée vive dans toute sa vivacité, une pensée énergique dans toute son énergie.

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