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<< Avoir parcouru l'un et l'autre hémis»phère, traversé les continents et les mers, » surmonté les sommets sourcilleux de ces » montagnes embrasées, où des glaces éter» nelles bravent également et les feux » souterrains, et les feux du midi (premier » membre); s'être livré à la pente pré»cipitée de ces cataractes écumantes, » dont les eaux suspendues semblent moins » rouler sur la terre, que descendre des »nues (second membre); avoir péné» tré dans ces vastes déserts, dans ces → solitudes immenses, où l'on trouve à peine » quelques vestiges de l'homme, où la » nature, accoutumée au plus profond > silence, dut être étonnée de s'entendre >interroger pour la première fois (troi» sième membre); avoir plus fait, en un » mot, par le seul motif de la gloire des » Lettres, que l'on ne fit jamais par la » soif de l'or (quatrième membre); voilà » ce que connoît de vous l'Europe, et ce » que dira la postérité ». ( cinquième mem» bre).

Le nombre, c'est-à-dire, cette harmonie qui résulte de l'heureux choix et de l'arrangement des expressions, fait toute la beauté de la période. Cette cadence nombreuse doit accompagner les chutes de chaque incise et de chaque membre, et se faire sentir sur-tout à celle du dernier. La période doit aussi présenter à l'esprit une suite d'idées enchaînées sans la moindre contrainte, qui enchérissent les anes sur les autres, et qui, dans leur mar

che soutenue, dans leurs gradations, tendent toutes à la chute commune et finale. Il faut en bannir avec soin les mots qui riment ensemble, éviter de même la rencontre des voyelles qui, en se heurtant, peuvent former un son désagréable: car comme le dit Boileau,

La plus noble pensée Ne plait point à l'esprit, si l'oreille est blessée (1).

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La période ne sera ni trop courte, ni trop longue. Si elle étoit trop courte, elle n'auroit point assez de consistance, pour être embellie des grâces de l'harmonie. Si elle étoit trop longue, elle manqueroit de mouvement, et fatigueroit l'attention du lecteur. Un des plus beaux modéles à, suivre pour la coupe des périodes, est Fléchier. Voyez comme celle-ci est harmo

nieuse.

«Mais rien n'étoit si formidable que » de voir toute l'Allemagne, ce grand et » vaste corps, composé de tant de peuples » et de nations différentes, déployer tous » ses étendarts, et marcher vers nos fron»tières, pour nous accabler par la force, » après nous avoir effrayés par la multi» tude ».

On voit que les chutes ou cadences de chaque incise et de chaque membre, sont bien marquées par les mots formidable, Allemagne, vaste corps, différentes, étendarts, frontières, multitude. Ici les idées

(1) Art Poët. Ch. I.

paroissent s'étendre pour avoir plus de grâce. Vous allez les voir dans la phrase qui suit, se serrer et se presser pour avoir plus de force.

« Il falloit opposer à tant d'ennemis un » homme d'un courage ferme et assuré, » d'une capacité étendue, d'une expé»rience consommée; qui soutînt la répu»tation, et qui ménageât les forces du » royaume; qui n'oubliât rien d'utile ni » de nécessaire; qui ne fit rien de super» flu; qui sût, selon les occasions » profiter de ses avantages ou se relever » de ses pertes; qui fût tantôt le bouclier » tantôt l'épée de son pays; capable d'exé» cuter les ordres qu'il auroit reçus, et » de prendre conseil de lui-même dans » les rencontres ».

On sent la différence de l'harmonie dans ces deux périodes. Dans celle-ci, elle est. forte, vive, rapide: dans l'autre, elle est douce, mais en-même-temps majestueuse. C'est à cette variété que l'écrivain doit s'attacher, pour se faire lire avec un plaisir et un intérêt qui se soutiennent jusqu'à la fin.

Le style périodique a plus de noblesse, d'harmonie et de dignité que le style coupé. Celui-ci est plus léger, plus vif, plus brillant. Ni l'un ni l'autre ne doivent être exclus d'aucun sujet. Il faut méme les employer tour-à-tour, pour répandre de la variété dans un ouvrage. Cependant, on peut dire en général que le style périodique convient mieux aux sujets nobles

et sérieux, et le style coupé aux sujets agréables et badins.

On peut conclure de ce que je viens de dire des pensées et du style en géné ral, qu'il faut bien prendre garde, quand les pensées ont en elles-mêmes des agrémens, à ne pas les en dépouiller par le mauvais emploi des expressions; et que, quand elles n'en ont pas, il faut s'appliquer à leur en donner par l'expression même. Il est essentiel, pour cela, de savoir d'abord quelles doivent être les qualités du style; de connoitre ensuite le style figuré, c'est-à-dire, les tours, les ornemens, les différentes richesses que nous fournit notre langue, et d'apprendre enmême temps l'art de les employer, en fixant notre attention sur l'usage qu'en ont fait les bons écrivains.

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l'on en

Quelque sujet que l'on traite, et quelle que soit la forme de style que ploie, on ne doit jamais oublier que le principe et le fondement de l'art d'écrire est, suivant Horace, le bon sens, c'està-dire, co jugement droit, cette raison sage qui retient toujours dans de justes bornes l'esprit le plus vif et le plus brillant, l'imagination la plus féconde et la plus impétueuse. Boileau, qui a senti toute la vérité de ce précepte, a dit après le poëte

latin :

Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits,
Empruntent d'elle seule, et leur lustre et leur prix (1).

Les qualités, ou agrémens du style, auxquelles il faut principalement s'attacher, sont la clarté et la convenance : toutes les autres sont comprises dans ces deux-là. Je vais les faire connoître, et je dirai ensuite un mot des défauts qui leur sont opposés.

I.

De la Clarté du Style.

Nécessité

dans son

style.

La lumière du soleil frappe' nos yeux, sans que nous y fassions attention? telle doit être, suivant la pensée de Quinti- d'être clair lien (2), la lumière qui brille dans un ouvrage d'esprit. Un écrivain ne pense, ne parle que pour les autres. Son premier devoir est donc de parler d'une manière à se faire entendre, d'une manière même à ne pouvoir n'être pas entendu. Une pensée à besoin d'être présentée dans tout son jour, pour être bien saisie du lecteur. Pourquoi affecteriez-vous de l'envelopper et de ne la présenter qu'à demi ? Croiriezvous par-là montrer de la finesse, de la profondeur, de l'esprit ? Quelle erreur ! L'esprit n'a consisté ni ne consistera jamais dans une manière de s'exprimer entortillée, mystérieuse et presque énigmatique :

-(1) Art Poët. Ch. 1.

(2) De Inst. L. 8. c. 2.

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