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A quatorze ans qu'on est novice!
Je me sens bien quelques désirs;
Mais le moyen qu'on m'éclaircisse!
Une fleur fait tous mes plaisirs :
La jouissance d'une rose

Peut rendre heureux tous mes moments.
Eh! comment aimer autre chose
A quatorze ans, à quatorze ans?

Je mets plus d'art à ma coiffure;
Je ne sais quoi vient m'inspirer :
N'est-ce donc que pour la figure
Qu'on aime tant à se parer?
Toutes les nuits, quand je repose,
Je rêve, mais à des rubans.
Eh! comment rêver d'autre chose
A quatorze ans, à quatorze ans?

Une rose venait d'éclore;
Je l'observais sans y songer:
C'était au lever de l'Aurore;
Le Zéphir vint la caresser.
C'est donc quand la fleur est éclose,
Qu'on voit voltiger les amants!
Mais, hélas! est-on quelque chose
A quatorze ans, à quatorze ans?

Attribuée à GRESSET.

Ce malin auteur de Vert-Vert, de la Chartreuse, vint à Paris en 1735 et s'y livra bientôt à la haute littérature. De ses tragédies et comédies, une seule pièce, le Méchant (1747), obtint un succès mérité et lui ouvrit, l'année suivante, les portes de l'Académie

mais presque aussitôt, pour expier sans doute la renommée de ses deux petits poëmes, péchés badins de sa jeunesse, il renonça à la poésie, se livra à des exercices de piété et brûla même une partie de ses ouvrages. Né en 1709, mort en 1777.

LISE ET MAINFROI

IMITATION DE L'ANGLAIS

CLEF DU CAVEAU: 49.

-1740

Au temps jadis un chevalier
Trouvant au bois gente bergère
Lui dit : « Il faut nous marier
Sans curé, parents ni notaire.

Quand on brûle de franche ardeur,
Quel besoin est-il d'autre chose?
Pour gage je t'offre mon cœur ;
Pour dot je ne veux que ta rose.

Votre cœur n'est pas fait pour

Si ma rose fait votre envie,
Nul galant, dût-il être roi,
Ne l'obtiendra qu'avec ma vie. »

moi:

Malgré ses cris, au même instant
Il ravit cette fleur chérie ;
Puis il lui dit en la quittant:
Ne craignez rien pour votre vie.

Lise, au comble de la douleur,
De l'œil en vain suit le coupable,
Et sent d'autant mieux son malheur,
Que son vainqueur était aimable.

Mais, fût-il vicomte ou baron,
Lise lui déclare la guerre;

Pourvu qu'elle sache son nom,
Son rang ne l'inquiète guère.

Car sans ce nom quel dieu pourra
Seconder les vœux qu'elle forme!
Un ermite qui priait là

Le connaissait, et l'en informe.

Ah, ciel! dit-elle, j'entrevoi
Ce que ta bonté me prépare...
Edgard est juste; il est mon roi;
Il m'entendra... Tremble, barbare!

Lise vole, arrive à la cour,

Et de voir le prince attend l'heure.
Qui l'aidera dans ce séjour?...
Mais Lise est belle, et Lise pleure 1.

Jeune, aimable, comme au printemps
Plaît à tous les yeux la nature;
Les moins sensibles courtisans
Partagent les maux qu'elle endure.

Edgard, qui s'avance à l'instant,
Parmi la foule la remarque.
La bergère approche en tremblant,
Et se traîne aux pieds du monarque.

Sa voix s'épuise en longs sanglots;
Et la pauvre Lise troublée
Articule à peine ces mots :
« Sire, justice... on m'a volée.

Quoi? - Ce que je gardais le mieux, Ce que par force il a su prendre; Mon trésor le plus précieux,

Et qu'en vain il voudrait me rendre.

1 Vers d'une simplicité délicieuse.

- Est-ce velours, est-ce drap d'or Qui de tant de larmes sont cause? Ah! sire, c'est bien plus encor! - Que vous a-t-il donc pris? - Ma rose.

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Si le ravisseur est garçon,

Pour époux ton roi te l'accorde;
S'il ne l'est, quel que soit son nom,
Il mourra sans miséricorde. >>

On l'appelle... c'était Mainfroi,
Frère de la reine Mycée...
« J'en suis fâché, lui dit le roi,
Mais la sentence est prononcée. »

Mainfroi l'apaise vainement;

Le roi sort, et les laisse ensemble.
Terrassé par ce jugement,

Mainfroi se tait et Lise tremble.

Par crainte et par orgueil plus doux,
Bientôt il la flatte, il s'excuse;
Il offre argent, or et bijoux :
Mais la bergère tout refuse.

« Garde ton or et tes bijoux,
Mainfroi; ton erreur est extrême :
Si du roi tu crains le courroux,
Je ne veux de toi... que toi-même.

Cruelle! c'est trop m'outrager;
Quoi que je mérite de blâme,
La fille d'un chétif berger
Jamais ne deviendra ma femme.

De mes biens choisis les plus beaux; Viens, et partage ma richesse; Prends le premier de mes châteaux, Et de Mainfroi sois la maîtresse.

Non! tu dois être mon époux;
Le roi le veut, l'honneur l'ordonne:
Lise pour un titre si doux

Refuserait une couronne.

Dussé-je dès le lendemain,
Comme esclave, me voir vendue;
Dussé-je périr de ta main,

Je la réclame; elle m'est due. »>

A ce discours le fier Mainfroi
Connaît l'amour, cède à ses larmes..
« Viens au temple, je suis à toi :
Viens, Lise; rends grâce à tes charmes. »

Déjà par les mains de l'Amour
La jeune bergère est parée,
Et du roi même avec sa cour
A l'autel se voit entourée.

« C'est à vous, dit-elle, grand roi,
Que je dois ce bonheur suprême.....
Mais quand tu veux bien être à moi,
Mainfroi... je te rends à toi-même.

Chez moi l'honneur est satisfait;
Qui me l'ôta sut me le rendre,
Et chez moi l'amour gémirait
Si plus longtemps j'osais l'entendre.

Tandis que je vais dans les bois
Garder les troupeaux de mon père,
Puisses-tu du moins quelquefois
Te souvenir de ta bergère ! »

Mainfroi s'écrie avec transport :
« Arrête... daigne être ma femine...
Si la beauté forma ton corps,
Le ciel même a formé ton âme.

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