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devions le haïr; c'eft en quoi il fe trompait beaucoup.
Je pris publiquement fon parti quand il fut condamné 1765.
à Genève; je dis hautement qu'en jugeant fon
roman d'Emile, on ne fefait pas affez d'attention
que les difcours du vicaire favoyard, regardés comme
fi coupables, n'étaient que des doutes auxquels ce
prêtre même répondait par une résignation qui devait
défarmer fes adverfaires; je dis que les objections
de l'abbé Houteville, contre la religion chrétienne,
font beaucoup plus fortes, et fes réponses beaucoup
plus faibles; enfin, je pris la défense de M. Rouffeau.
Cependant M. Rouffeau vous dit, Madame, et fit
même imprimer que M. Tronchin et moi, nous
étions fes perfécuteurs. Quels perfécuteurs qu'un
malade de foixante et onze ans, perfécuté lui-même
jusque dans fa retraite, et un médecin confulté par
l'Europe entière, uniquement occupé de foulager les
maux des hommes, et qui certainement n'a pas le
temps de fe mêler dans leurs miférables querelles!

Il y a plus de dix ans que je fuis retiré à la
campagne, auprès de Genève, fans être entré quatre
fois dans cette ville; j'ai toujours ignoré ce qui fe
passe dans cette république ; je n'ai jamais parlé de
M. Rouffeau que pour le plaindre. Je fus très-fâché
que M. le marquis de Ximenes l'eût tourné en ridi-
cule. J'ai été outragé par lui, fans lui jamais répondre;
et aujourd'hui il me dénonce juridiquement, il me
calomnie dans le temps même que je prends publi-
quement fon parti. Je suis bien sûr que vous con-
damnez un tel procédé, et qu'il ne s'en ferait pas
rendu coupable, s'il avait voulu mériter votre pro-
tection. Je finis, Madame, par vous demander pardon

1765.

de vous importuner de mes plaintes; mais voyez fi elles font justes, et daignez juger entre la conduite de M. Rouffeau et la mienne.

Agréez le profond respect et l'attachement inviolable avec lequel je ferai toute ma vie, Madame, &c. Je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main, étant presque entièrement aveugle.

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QUELLE horreur! quelle abomination, mon cher

frère ! il y a donc en effet des diables! vraiment, je ne le croyais pas. Comment peut-on imaginer une telle abfurdité? fuis-je un prêtre? fuis-je un miniftre? En vérité cela fait pitié. Mais ce qui fait plus de pitié encore, c'est l'affreuse conduite de Jean-Jacques; on pas ce monftre.

ne connaît

Tenez, voilà deux feuillets de fes Lettres de la montagne, et voilà la lettre que j'ai été forcé d'écrire à madame la maréchale de Luxembourg, qu'il a eu l'adresse de prévenir contre moi. Je vous prie de n'en point tirer de copie, mais de la faire lire à M. d'Argental; c'est toute la vengeance que je tirerai de ce malheureux. Quel temps, grand Dieu, a-t-il pris pour rendre la philofophie odieufe! le temps même où elle allait triompher.

Je me flatte que vous montrerez à ProtagorasArchimède la copie que je vous envoie. Je vous

avoue que tous ces attentats contre la philofophie, par un homme qui fe difait philofophe, me défef- 1765. pêrent.

Frère Gabriel doit avoir envoyé une petite lettre de change payable à Archimède. Je verrai lundi les premières épreuves; il fera fervi comme il mérite de l'être. Si vous voulez être informé de toutes les horreurs de 7.7., écrivez à Gabriel, il vous en dira des nouvelles. Le nom de Rousseau n'est pas heureux pour la bonne morale et la bonne conduite.

Au refte, mon cher frère, je ferais très-fâché que mes lettres, prétendues fecrètes, fuffent débitées à Paris. Quelle rage de publier des lettres fecrètes! J'ai prié inftamment M. Marin de renvoyer ces rogatons en Hollande, d'où elles font venues. Je fuis bien las d'être homme public, et de me voir condamné aux bêtes comme les anciens gladiateurs et les anciens chrétiens. L'état où je fuis ne demande que le repos et la retraite. Il faut mourir en paix; mais afin que je meure gaiement, écr. l'inf.

LETTRE I V.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Ferney, 12 de janvier.

MEs divins anges, j'ai oublié, dans ma requête

à M. le duc de Praflin, de fpécifier que ce vieux de Moultou, qui veut promener fa vieille veffie à Montpellier, à un fils qu'on appelle prêtre, ministre

du faint Evangile, pasteur d'ouailles calvinistes, et 1765. qui n'est rien de tout cela; c'est un philosophe des plus décidés et des plus aimables. J'ignore fi fa qualité de miniftre évangélique s'oppose aux bontés d'un miniftre d'Etat; j'ignore s'il eft néceffaire que M. le duc de Praflin ait la bonté de faire mettre, dans le paffe-port, le fieur de Moultou et fon fils le prêtre. Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaifance de M. le duc de Praflin; les maux que fouffre Moultou le père font dignes de fa pitié. Il n'y a pas un moment à perdre, fi on veut lui fauver la vie. Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre.

LETTRE V.

A M. ELIE DE BEAUMONT, avocat.

A Ferney, le 13 de janvier.

Vous jouez un beau rôle, Monfieur; vous êtes

toujours le protecteur de l'innocence opprimée. Vous avez dû être auffi bien reçu en Angleterre qu'un juge des Calas le ferait mal. Une nation ennemie des préjugés et de la perfécution, était faite pour vous. Je n'ofe me flatter que vous faffiez aux Alpes et au mont Jura le même honneur que vous avez fait à la Tamise; mais je crois que j'oublierais ma vieillesse et mes maux, fi vous fefiez ce pélerinage.

Je cherche actuellement les moyens de vous faire parvenir quelques livres affez curieux qu'on m'a

envoyés d'Hollande. Le commerce des pensées eft un peu interrompu en France; on dit même qu'il 1765. n'eft pas permis d'envoyer des idées de Lyon à Paris. On faifit les manufactures de l'efprit humain comme des étoffes défendues. C'eft une plaifante politique de vouloir que les hommes foient des fots, et de ne faire confifter la gloire de la France que dans l'opéra comique. Les Anglais en font-ils moins heureux, moins riches, moins victorieux, pour avoir cultivé la philofophie? Ils font auffi hardis en écrivant qu'en combattant, et bien leur en a pris. Nous danfons mieux qu'eux, je l'avoue; c'eft un grand mérite, mais il ne fuffit pas. Locke et Newton valent bien Dupré et Lulli.

Mille refpects à votre aimable femme qui pense. Confervez-moi vos bontés.

LETTRE V I.

A M. BESSIN,

Curé de Plainville en Normandie.

Ferney, le 13 de janvier.

Vous m'avez envoyé, Monfieur, des vers bien

faits et bien agréables, et vous m'apprenez en même temps que vous êtes curé; vous méritez d'avoir la première cure du Parnaffe; vous ne chanterez jamais d'antienne qui vaille vos vers. Si je ne vous ai pas répondu plutôt, c'eft que je fuis vieux, malade et

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