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qu'ils auront fait rouer foient déformais déclarés 1765. bien roués, et que furtout on maintienne la belle proceffion annuelle dans laquelle on remercie DIEU, en mafque, du fang répandu de trois à quatre mille citoyens, il y a quelques deux cents ans. De plus, meffieurs ont défendu, fous des peines corporelles, d'afficher l'arrêt qui justifie les Calas; meffieurs me paraiffent opiniâtres.

Peut-être je devrais, plus humble en ma misère,
Me fouvenir du moins que je parle à leur frère.

Mais ce frère appartient à l'humanité avant d'appartenir à meffieurs.

Si la réponse du roi au parlement de Bretagne est telle qu'on la trouve dans les papiers publics, il paraît que la cour fait quelquefois réprimer messieurs ; il paraît auffi que le public commence à fe laffer de cette démocratie. Ce public brife fouvent fes idoles, et, au bout de quelques mois, il arrive que les applaudiffemens fe tournent en fifflets. (Ceci foit dit en paffant.)

Je remercie bien humblement mes anges de leur paffe-port, et je les fupplie de vouloir bien dire à M. le duc de Praflin combien je fuis touché de fes bontés.

Je trouve que la gratification ou penfion, que l'on demandait au roi pour ces pauvres Calas, tarde beaucoup à venir; c'eft ce qui m'a déterminé à leur confeiller de faire pressentir monfieur le vice-chancelier et monfieur le contrôleur général fur la prise à partie, afin de ne point indifpofer ceux de qui cette pension

dépend: mais je peux me tromper, et je m'en rapporte à mes anges qui voient les chofes de plus 1765. près et beaucoup mieux que moi.

Je ne peux pas dicter davantage, car je n'en peux plus. Je me meurs avec la folie de planter et de bâtir, et avec le chagrin de n'avoir pas vu mes anges depuis douze ans.

LETTRE XLII.

A M. DA MILA VILLE.

Le 5 d'avril.

Vous êtes obéi, mon cher frère; ce charmant

ouvrage fera imprimé au plus vîte et avec le plus grand fecret. Que je vous remercie d'avoir encouragé l'auteur inimitable de ce petit écrit à rendre des fervices fi effentiels à la bonne caufe ! J'en demande très-humblement pardon à ce Blaife Pafcal, mais je le mets bien au-deffous d'Archimède - Protagoras : celui-ci ne verra jamais de précipice à côté de fa chaife, et il bouchera le précipice dans lequel on a fait tomber tant de fots.

Je vous crois inftruit des démarches du parlement de Toulouse, qui a défendu qu'on affichât l'arrêt des maîtres des requêtes, et qui s'eft affemblé pour faire au roi de belles remontrances tendantes à faire déclarer bien roués tous ceux qui auront été roués par ledit parlement. Je ne fais pas fi ces remontrances auront lieu; j'ignore jufqu'à quel point la cour ménagera le

1765.

parlement des Vifigots. C'eft dans cette incertitude que j'ai confeillé à la veuve Calas de ne point hafarder la prise à partie, fans faire preffentir les deux miniftres dont dépend fa penfion; mais je me rendrai à l'avis que vous aurez embraffé.

Vous daignez me demander, par votre lettre du 27 de mars, le portrait d'un homme qui vous aime autant qu'il vous eftime: je n'ai plus qu'une mauvaise copie d'après un original fait il y a trente ans, et dans le fond de mes déferts il n'y a point de peintre. Je vous enverrai ce barbouillage, fi vous le fouhaitez ; mais l'eftampe faite d'après le buste de le Moine, vaut beaucoup mieux.

J'attends tous les jours de Toulouse la copie authentique de l'arrêt qui condamne toute la famille Sirven; arrêt confirmatif de la fentence rendue par un juge de village, arrêt donné fans connaissance de cause, arrêt contre lequel tout le public se foulèverait avec indignation, fi leş Calas ne s'étaient pas emparés de toute fa pitié.

Je ne confeillerais pas à un auteur de donner une feconde pièce patriotique. Il n'y a que le zèle admirable de M. de Beaumont qui foit inépuisable. Le public fe laffe bien vîte d'être généreux.

Je fuis bien malade; tout baiffe chez moi, hors mes tendres sentimens pour vous. Je me foumets à l'Etre des êtres et aux lois de la nature; mais écr. l'inf.

Je reçois, dans le moment, la fentence des Sirven. Je les croyais roués et brûlés, ils ne font que pendus. Vous m'avouerez que c'eft trop s'ils font innocens, et trop peu s'ils font parricides. Les complices bannis

me paraiffent encore un nouvel affront à la juftice; car, s'ils font complices d'un parricide, ils méritent 1765. la mort. Il n'y a pas le fens commun chez les Vifigots.

Je crois qu'après les Sirven, les gens le plus à plaindre font ceux qui liront ce griffonnage.

LETTRE XLIII.

A M. LE CLERC DE MONTMERCI.

8 d'avril.

PLUS

LUS M. de Montmerci m'écrit, et plus je l'aime. Je n'ofe lui propofer de venir philofopher dans ma retraite cette année. Je fuis environné de maçons et d'ouvriers de toute efpèce; mais je le retiens pour l'année 1766, fuppofé que les quatre élémens me faffent la grâce de conferver mon chétif corps jufque-là. Je ne veux point mourir fans avoir vu un vrai philofophe qui veut bien m'aimer, et qui, étant libre, pourra faire ce petit voyage fans demander permiffion à perfonne. C'est avec de tels frères que je · voudrais achever ma vie dans le petit couvent que j'ai fondé.

Quand il y aura quelque chofe de nouveau dans la littérature, je vous prierai, Monfieur, de m'en faire part; mais vos lettres me font toujours plus de plaifir que les ouvrages nouveaux,

1765.

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LETTRE

X LIV.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

JE

10 d'avril.

E vous envoie, mes anges, l'antiquité à bâtons rompus. Je ne fais fi le fatras des fottifes mystérieuses des mortels vous plaira beaucoup. Vous êtes de bien bonne compagnie pour lire avec plaifir ces profondeurs pédantefques; mais votre efprit s'étend à tout, ainfi que vos bontés.

Les horreurs des Sirven vont fuccéder aux abominations des Calas. Le véritable Elie prend une feconde fois la défense de l'innocence opprimée. Voilà trop de procès de parricides, dira-t-on; mais, mes divins anges, à qui en est la faute ?

Je ne fais fi vous avez connu feu l'abbé Bazin, auteur de la Philofophie de l'hiftoire. Son neveu, le chevalier Bazin, a dédié l'ouvrage de fon oncle à l'impératrice de toutes les Ruffies, comme vous le favez; mais j'ai peur que les dévots de France ne pensent pas comme cette impératrice.

Respect et tendreffe.

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