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1765.

Je ne fais ce qu'a le tyran du tripot, mais il est toujours plein de mauvaise humeur, et il ne laisse pas de me le faire fentir. L'ex-jéfuite prétend qu'il faut qu'il attende encore quelque temps pour revoir les roués , que les Romains ne font pas de faison, qu'il faut attendre des occafions favorables; voyez fi vous êtes de cet avis. Je fuis d'ailleurs occupé actuellement à augmenter ma chaumière; et, fi je m'adreffais à Apollon, ce ferait pour le prier de m'aider dans le métier de maçon. On dit qu'il s'entend à faire des murailles; cependant fes murailles font tombées comme bien d'autres pièces.

Mais pourquoi M. Fournier fouffre-t-il que madame d'Argental touffe toujours? Je me mets à fes pieds; ma petite famille vous préfente à tous deux fes respects. V.

LETTRE XXXI.

AUME M E.

DIVINS

17 de mars.

IVINS anges, la protection que vous avez donnée aux Calas n'a pas été inutile. Vous avez goûté une joie bien pure en voyant le fuccès de vos bontés. Un petit Calas était avec moi quand je reçus votre lettre, et celle de madame Calas, et celle d'Elie, et tant d'autres; nous verfions des larmes d'attendriffement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les fiens; nous étouffions,

mes chers anges. C'est pourtant la philosophie toute feule qui a remporté cette victoire. Quand pourrat-elle écrafer toutes les têtes de l'hydre du fanatisme?

Vous me parlez des roués, mais le roué Calas eft le feul qui me remue. Seriez-vous capables de defcendre à lire de la profe au milieu de la foule des vers dont vous êtes entourés ? Voici le commencement d'une efpèce d'hiftoire ancienne qui me paraît curieufe. Si elle vous fait plaisir, je tâcherai d'en avoir la fuite pour vous amufer; elle a l'air d'être vraie, et cependant la religion y eft refpectée. N'engagerez-vous pas frère Marin à en favorifer le débit? Je crois que les bons entendeurs pourront profiter à cette lecture; il y a, en vérité, des chapitres fort fcientifiques, et le fcientifique n'eft jamais fcandaleux.

Je crois qu'on touffe par tout le royaume; nous touffons beaucoup fur la frontière; c'eft une épidémie. Nous espérons bien que M. Fournier empêchera l'un de mes anges de touffer. Tout Ferney, qui est sans dessus deffous, est à vos pieds; et pourquoi eft-il fans deffus deffous? c'eft que je fuis maçon; je bâtis comme fi j'étais jeune, mais le travail eft une jouiffance.

Me fera-t-il permis de vous préfenter encore un placet pour un passe-port? Les Genevois m'accablent, parce que vous m'aimez; mais je ferai fobre fur l'usage que je ferai de vos bontés. Encore ce petit paffe-port, je vous en conjure, et puis plus; vous me ferez un plaifir bien sensible, vous ne vous lafsez jamais d'en faire. V.

1765.

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Vous étiez donc à Paris, mon cher ami, quand le

dernier acte de la tragédie des Calas a fini fi heureufement. La pièce eft dans les règles. C'eft ici, à mon gré, le plus beau cinquième acte qui foit au théâtre. Toutes les pièces font actuellement à l'honneur de la France les maires heureusement réuffiffent mieux que les capitouls. Le rôle d'Elie de Beaumont eft bien beau !

On va donner pour petite pièce la Deftruction des jefuites. Je ne fais fi M. d'Alembert en eft l'auteur; et certainement, s'il ne veut pas l'être, il ne faut pas qu'il le foit. Mais il eft venu chez nous ce brave monfieur d'Alembert, et tous ceux qui ont eu le plaisir de l'entendre, difent: Le voilà, c'est lui, cela est écrit comme il parle. Pour moi, je veux bien croire que ce n'eft pas lui; mais je voudrais bien savoir quel homme a pris son style, fa philosophie, sa gaieté, et qui partage avec lui l'héritage de Blaife Pafcal, au janfénifme près. Il me paraît, à l'analyse que vous me faites, que vous avez le nez fin; je gagerais que vous avez raison dans tout ce que vous me dites. On dit que le temps eft le feul bon juge; mais le temps ne décide que d'après des gens comme vous.

Je fais bon gré au président Hénault de n'avoir point parlé de la minutie concernant les bourgeois

de Calais. Il est bien clair qu'Edouard III n'avait nulle envie de les faire pendre, puifqu'il leur donna à 1765. tous de belles médailles d'or. Au refte, je fuis trèsaise pour la France, et pour l'auteur qui eft mon ami, que le Siége de Calais ait un fi grand fuccès; et je souhaite que la pièce foit jouée auffi long-temps que le fiége a duré.

7.7. Rouffeau mérite un peu, à ce qu'on dit ici, l'aventure dont Edouard III femblait menacer les fix bourgeois de Calais; mais il ne mérite point les médailles d'or. Le prétendu philofophe ne joue que le rôle d'un brouillon et d'un délateur. Il a cru être Diogène, et à peine a-t-il l'honneur de reffembler à fon chien. Il eft en horreur ici.

On dit que meffieurs du canton de Shwitz ont fait d'énormes infolences contre le roi; ces petits cantonslà font un peu du quatorzième siècle. Je ne vous dis, mon cher ami, que des nouvelles de Suiffe; vous m'en donnez du féjour des agrémens; on ne peut donner que ce qu'on a. Ma petite chaumière de Ferney eft tranquille au milieu de tous ces orages. Je bâtis fur le bord du tombeau, mais je jouis au moins du plaifir de faire pour madame Denis un château qui vaut mieux que les petits cantons; elle vous fait mille complimens. Buvez à ma fanté, je vous en prie, avec Cicéron de Beaumont et Rofcius Garrick. Adieu; ma tendre amitié ne finira qu'avec ma vie.

1765.

LETTRE

XXXIII.

A M. DA MILA VILLE.

23 de mars.

MON
ON cher frère, voici les ordres que le dieu
d'Epidaure fignifie à vos amygdales. Portez-vous bien,
et jouiffez de la force d'Hercule pour écrafer l'hydre.

Je fuis affligé de n'avoir point encore appris que le roi ait honoré d'une penfion l'innocence des Calas. Vous devez avoir reçu le mémoire des Sirven. Rien n'eft plus clair; leur innocence eft plus palpable que celle des Calas. Il y avait du moins contre les Calas des fujets de foupçon, puisque le cadavre du fils avait été trouvé dans la maison paternelle, et que le père et la mère avaient nié d'abord que ce malheureux fe fût pendu: mais, ici on ne trouve pas le plus léger indice. Que d'horreurs, jufte Ciel! on enlève une fille à fon père et à sa mère, on la fouette, on la met en fang pour la faire catholique, elle se jette dans un puits, et fon père, fa mère, et fes fœurs font condamnés au dernier fupplice!

On eft honteux, on gémit d'être homme quand on voit que d'un côté on joue l'opéra comique, et que de l'autre le fanatifme arme les bourreaux. Je suis à l'extrémité de la France, mais je fuis encore trop près de tant d'abominations.

Eft-il vrai qu'Helvétius eft parti pour la Prufse? du moins ne brûlera-t-on pas fes livres dans ce pays-là.

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