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1765.

en paix; la nation le remercîra avant qu'il foit peu.

J'ai reçu le paquet que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je vous remercie tendrement, malgré vous et vos dents, de toutes les bontés que vous avez pour moi.

Vous me mandez que Paris eft ivre; on craint qu'ayant cuvé fon vin, il ne lui reste une grande pefanteur de tête.

Je lirai l'Homme éclairé par fes befoins. J'ai grand befoin qu'on m'éclaire, et j'espère que le livre ne fera pas un amas de lieux communs. Un livre n'est excufable qu'autant qu'il apprend quelque chofe.

Bonfoir, mon cher frère. Avant de finir, il faut que je vous demande quel cas on fait du Pyrrhonien raifonnable, du marquis d'Autre, qui croit prouver géométriquement le péché originel. Pourquoi emploiet-il toute la fagacité de son esprit à défendre la plus déteftable des causes? pourquoi s'eft-il déclaré contre Platon-Diderot? J'ai toujours été affligé qu'un certain ton d'enthousiasme et de hauteur ait attiré des ennemis à la raifon. Sachons fouffrir, réfignons-nous, et furtout écr. l'inf.

LETTRE

XX VI I.

1765.

A M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.

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A Ferney, 13 de mars.

MON HEROS,

E fais donc parvenir, fuivant vos ordres, à M. Janel, l'ouvrage de Belzebuth que vous voulez avoir, en fuppofant, comme de raifon, que vous vous entendez avec M. Janel, et qu'il vous donne la permiffion d'avoir les livres défendus. J'adreffe le paquet, à double enveloppe, à M. Tabareau à Lyon, afin que ce paquet ne porte pas fa condamnation fur le front avec le timbre d'une ville hérétique.

Je vous félicite d'aimer furtout les livres d'hiftoire. On m'en a promis un d'Hollande qui vous fera voir, fi vous avez le temps de le lire, combien on s'eft moqué de nous en nous donnant des Mille et une nuits pour des événemens véritables.

Je vais actuellement vous préfenter avec humilité mon petit commentaire fur votre lettre du 3 de mars. Vous avez donc vu ma lettre à monfieur l'évêque d'Or léans? Vous y aurez vu que je me loue beaucoup de M. l'abbé d'Eftrées. Cet abbé d'Eftrées vint prendre poffeffion d'un prieuré que monfieur l'évêque d'Orléans lui a donné auprès de Ferney. Il fe fit paffer pour le petit-neveu du cardinal d'Eftrées, et, en cette qualité, il reçut les hommages de la province. Il m'écrivit en homme qui attendait le chapeau, et m'ordonna de

venir lui prêter foi et hommage pour un pré dépen1765. dant de fon bénéfice.

C'est dommage que votre doyen l'abbé d'Olivet ne fe trouva pas là; il m'aurait obtenu la protection de M. l'abbé d'Eftrées, car il le connaît parfaitement. L'abbé d'Eftrées lui a fervi fouvent à boire, lorfqu'il était laquais chez M. de Maucroi. Cela forme des liaisons dont on fe fouvient toujours avec tendresse.

Cet abbé d'Eftrées, après avoir quitté la livrée, fe fit aide de camp dans les troupes de Fréron; il compofa l'Almanach des théâtres; enfuite il se mit à faire des Généalogies, et furtout il a fait la fienne.

J'eus le malheur de ne lui point faire de réponse, et même de me moquer un peu de lui. Il s'en alla chez M. de la Roche-Aymon à la campagne; le procureur général a une terre tout auprès; il ne manqua pas de dire au procureur général que j'étais l'auteur du Portatif. Je parai ce coup comme je le devais. Il eft inconteftable que le Portatif eft de plufieurs mains, parmi lesquelles il y en a de respectables et de puiffantes; j'en ai la preuve affez démonftrative dans l'original de plufieurs articles écrits de la main de leurs auteurs.

Je vous remercie infiniment, mon héros, d'avoir bien voulu me défendre; il eft jufte que vous protégiez les philofophes.

Je viens aux reproches que vous me faites de n'avoir pas parlé du débarquement des Anglais auprès de Saint-Malo, et de l'échec qu'ils y reçurent. Je vous fupplie de confidérer que l'Effai fur l'hiftoire générale n'entre dans aucun détail de cette dernière guerre; que l'objet eft d'indiquer les caufes des

grands événemens, fans aucune particularité; que les conquêtes des Anglais ne contiennent pas quatre pages; que je n'ai même dit qu'un mot de la prife de Belle-Ifle, parce que ce n'eft pas un objet de commerce, et que cette prife n'influait pas fur les grands intérêts de la France. Je n'ai fait voir les chofes, dans ce dernier volume, qu'à vue d'oifeau. Je n'ai guère particularifé que la prise de Port- Mahon; et, en vérité, je ne crois pas que ce foit à mon héros à m'en gronder.

Si j'avais détaillé un feul des derniers événemens militaires, je n'aurais pas manqué affurément de dire comment les Anglais furent repouffes auprès de Saint-Malo, et je ne manquerai pas d'en parler dans la nouvelle édition qu'on va faire.

Vous avez bien raifon de dire, Monfeigneur, que les Génevois ne font guère fages; mais c'eft que le peuple commence à être le maître dans cette petite république. Loin d'être une ariftocratie, comme Venife, la Hollande et Berne, elle eft devenue une démocratie qui tient actuellement de l'anarchie; et, fi les chofes s'aigriffent, il faudra une feconde fois avoir recours à la médiation, et fupplier le roi de daigner mettre la paix une feconde fois dans ce petit coin de terre dont il a déjà été le bienfaiteur.

Je finis par le tripot. J'avoue que je fuis honteux, dans ma foixante et douzième année, de prendre encore quelque intérêt à ces misères; mais, fi la raifon que j'ai eu l'honneur de vous alléguer vous touche, je vous aurai beaucoup d'obligation de vouloir bien permettre que les meilleurs acteurs jouent mes faibles ouvrages.

1765.

Je vous demande mille pardons de vous importuner 1765. de cette bagatelle. Je peux vous affurer et vous jurer,

par mon tendre et refpectueux attachement pour vous, que M. d'Argental n'a eu aucune part à la juftice que je vous ai demandée. Je fais, à n'en pouvoir douter, qu'il eft au défefpoir d'avoir perdu vos bonnes grâces. Il vous a obligation, il en eft pénétré, et il ne fe confole point que fon bienfaiteur le croye un ingrat. Vous favez que le tripot est le règne de la tracafferie.

Quelque bonne ame n'aura pas manqué de l'accufer d'avoir fait une brigue en ma faveur. Je crois que j'ai encore la lettre de Grandval, par laquelle il me demandait les rôles que je lui ai donnés; mais, encore une fois, je n'infifte fur rien; je m'en remets à votre volonté et à votre bonté, dans les petites chofes comme dans les plus importantes.

Pardonnez à un vieux malade prefque aveugle de s'être feulement fouvenu qu'il y a un théâtre à Paris. Je ne dois plus fonger qu'à mourir tout doucement dans ma retraite au milieu des neiges. C'est à la feule philofophie d'occuper mes derniers jours, et vos bontés feront ma confolation jufqu'au dernier moment de ma vie. V.

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