MERCURE. Laissons dire tous les censeurs : Tels changements ont leurs douceurs Qui passent leur intelligence. Ce dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs; Et, dans les mouvements de leurs tendres ardeurs, Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense. LA NUIT. Revenons à l'objet dont il a les faveurs. Si, par son stratagème, il voit sa flamme heureuse, Que peut-il souhaiter, et qu'est-ce que je puis? MERCURE. Que vos chevaux par vous au petit pas réduits Fassent la plus longue des nuits; Qu'à ses transports vous donniez plus d'espace, Qui doit avancer le retour De celui dont il tient la place. Voilà sans doute un bel emploi MERCURE. Pour une jeune déesse, Vous êtes bien du bon temps ! Que chez les petites gens. Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paraître LA NUIT. Sur de pareilles matières Vous en savez plus que moi; J'en veux croire vos lumières. MERCURE. Hé! là, là, madame la Nuit, Un peu doucement, je vous prie; Vous avez dans le monde un bruit (1) De n'être pas si renchérie. On vous fait confidente, en cent climats divers, Et je crois, à parler à sentiments ouverts, (1) Bruit pour réputation. LA NUIT. Laissons ces contrariétés, Et demeurons ce que nous sommes. MERCURE. Adieu. Je vais là-bas, dans ma commission, Du valet d'Amphitryon. LA NUIT. Moi, dans cet hémisphère, avec ma suite obscure, MERCURE. Bonjour, la Nuit. LA NUIT. Adieu, Mercure. (Mercure descend de son nuage, et la Nuit traverse le théâtre.) ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. SOSIE. Qui va là? Heu! ma peur à chaque pas s'accroît! Ah! quelle audace sans seconde Que, mon maître, couvert de gloire, Me joue ici d'un vilain tour! Quoi! si pour son prochain il avait quelque amour, Ne pouvait-il pas bien attendre qu'il fût jour? Tes jours sont-ils assujettis! Notre sort est beaucoup plus rude Chez les grands que chez les petits. Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature, Obligé de s'immoler. Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure, N'en obtiennent rien pour nous. Nous attire leur courroux Cependant notre âme insensée S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux, Et s'y veut contenter de la fausse pensée Qu'ont tous les autres gens, que nous sommes heureux. Un ascendant trop puissant, Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant Mais enfin, dans l'obscurité, Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade. Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire Si je ne m'y trouvai pas? N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille, Combien de gens font-ils des récits de bataille Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser. Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène, Et cette lanterne est Alcmène, A qui je me dois adresser. (Sosie pose sa lanterne à terre.) Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous Pour vous donner avis du succès de ses armes Et du désir qu'il a de se voir près de vous. << Ah! vraiment, mon pauvre Sosie, « A te revoir j'ai de la joie au cœur. » Madame, ce m'est trop d'honneur, Et mon destin doit faire envie. (Bien répondu !) « Comment se porte Amphitryon? » Madame, en homme de courage, Dans les occasions où la gloire l'engage (Fort bien! belle conception !) « Quand viendra-t-il, par son retour charmant, Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément, Et fait trembler les ennemis. (Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?) Nous les avons taillés en pièces, Mis Ptérélas leur chef à mort, Pris Télèbe d'assaut ; et déjà dans le port « Ah! quel succès! ô dieux! Qui l'eût pu jamais croire. " Je le veux bien, madame; et, sans m'enfler de gloire, Je puis parler très-savarnment. Madame, est de ce côté; (Sosie marque les lieux sur sa main, ou à terre.) C'est une ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbe. La rivière est comme là. Ici nos gens se campèrent; Et l'espace que voilà, Nos ennemis l'occupèrent. Sur un haut (2), vers cet endroit, Était leur infanterie; Et plus bas, du côté droit, Était la cavalerie. Après avoir aux dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal. Les ennemis, pensant nous tailler des croupières, (1) Télébe était la capitale de l'île de Taphe, voisine et peu cloignee d'lthaque, située vis à-vis l'Acarnanie. (2) Haut, pour hauteur, élévation. Firent trois pelotons de leurs gens à cheval; Voilà notre avant-garde à bien faire animée; Et voici le corps d'armée, (on fait un peu de bruit.) Qui d'abord... Attendez, le corps d'armée a peur; SCÈNE II. MERCURE, SOSIE. MERCURE sous la figure de Sosie, sortant de la maison Sous ce minois qui lui ressemble, Dont l'abord importun troublerait la douceur Mon cœur tant soit peu se rassure, MERCURE à part. Tu seras plus fort que Mercure, Ou je t'en empêcherai bien. SOSIE, sans voir Mercure. Cette nuit en longueur me semble sans pareille. MERCURE à part. Comme avec irrévérence Parle des dieux ce maraud! Mon bras saura bien tantôt Et je vais m'égayer avec lui comme il faut, Ah! par ma foi, j'avais raison : |