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fales couvraient en partie un visage fillonné de ces rides, que le temps, ce maudit laboureur, imprime sur les fillons de notre vie pour n'y plus rien semer. Cet homme ressemblait à ces vieux étançons de bâtimens ruinés qui, étant sans écorce & fans racine, sont prêts à tomber au moindre vent. Cette maigre face en venant à moi m'a toute remplie de crainte.

PHOCAS.

Femme, ne crains rien; ne poursuis pas : tu ne sais pas quelles idées tu rappeles dans ma mémoire; mais où ne trouve-t-on pas des hommes & des bêtes? Il y a là-dedans quelque chose de prodigieux.

CINTI A.

Vous pourrez trouver aisément cet homme; car fi les tambours & la musique l'ont fait fortir de sa caverne, il n'y a qu'à recommencer, & il approchera.

PHOCAS.

Vous dites bien, fefons entendre encore nos inftru

mens.

( La musique recommence, & on chante encore.)
Sicile en cet heureux jour,
Vois ce héros plein de gloire &c.

(Après cette reprise, l'empereur Phocas, la reine Cintia, & la fille du forcier, s'en vont à la piste de cette vieille figure qui donne de l'inquiétude à Phocas, fans qu'on fache trop pourquoi il a cette inquiétude. Alors ce vieillard qui est Astolphe luimême, vient fur le théâtre avec Héraclius fils de Maurice, & Léonide fille de Phocas. Ils font tous trois vêtus de peaux de bêtes.)

ASTOLPHE.

Eft-il possible, téméraires, que vous foyez fortis de votre caverne sans ma permiffion, & que vous hafardiez ainsi votre vie & la mienne !

LEONIDE.

Que voulez-vous ? cette musique m'a charmé; je ne suis pas le maître de mes sens.

( On entend alors le fon des tambours.)

HERACLIUS.

Ce bruit m'enflamme, me ravit hors de moi; c'est un volcan qui embrase toutes les puissances de mon ame.

LEONIDE.

Quand dans le beau printemps, les doux zéphirs, & le bruit des ruisseaux, s'accordent ensemble, & que les gofiers harmonieux des oiseaux chantent la bienvenue des roses & des œillets, leur musique n'approche pas de celle que je viens d'entendre.

HERACLIU5.

J'ai entendu souvent dans l'hiver, les gémissemens de la croupe des montagnes, sous la rage des ouragans, le bruit de la chute des torrens, celui de la colère des nuées; mais rien n'approche de ce que je viens d'entendre, c'est un tonnerre dans un temps serein; il flatte mon cœur & l'embrafe.

ASTOLPHE.

Ah! je crains bien que ces deux échos, dont l'un est si doux, & l'autre si terrible, ne soient la ruine de tous trois.

HERACLIUS & LEONIDE ensemble.

Comment l'entendez-vous ?

ASTOLPHE.

C'est qu'en fortant de ma caverne pour voir où vous étiez, j'ai rencontré dans cette demeure obscure, une femme, & je crains bien qu'elle ne dise qu'elle m'a vu. HERACLIUS.

Et pourquoi, si vous avez vu une femme, ne m'avezvous pas appelé pour voir comment une femme eft faite? car felon ce que vous m'avez dit, de toutes les chofes du monde que vous m'avez nommées, rien n'approche d'une femme; je ne sais quoi de doux & de tendre se coule dans l'ame à fon seul nom, sans qu'on puiffe dire pourquoi.

LEONIDE.

Moi, je vous remercie de ne m'avoir pas appelé pour la voir. Une femme excite en moi un sentiment tout contraire; car d'après ce que vous en avez dit, le cœur tremble à fon nom, comme s'apercevant de son danger, ce nom seul laisse dans l'ame je ne sais quoi qui la tourmente sans qu'elle le sache.

ASTOLPHE

Ah! Héraclius, que tu juges bien ! ah Léonide que tu penses à merveille !

HERACLIUS.

Mais comment se peut-il faire qu'en disant des choses contraires nous ayons tous deux raison ?

ASTOLPHE.

C'est qu'une femme est un tableau à deux visages; regardez-la d'un sens, rien n'est si agréable; regardez-la d'un autre sens, rien n'est si terrible. C'est le meilleur ami de notre nature, c'est notre plus grand ennemi; la moitié de la vie de l'ame, & quelquefois la moitié de la mort; point de plaifir fans elle, point de douleur fans elle auffi: on a raison de la craindre, on a raison de l'estimer. Sage est qui s'y fie, & fage qui s'en défie. Elle donne la paix & la guerre, l'alegresse & la tristesse; elle blesse & elle guérit; c'est de la thériaque & du poifon. Enfin elle est commme la langue, il n'y a rien de si bon quand elle est bonne, & rien de si mauvais quand elle est mauvaise, &c.

LEONIDE.

S'il y a tant de bien & tant de mal dans la femme, pourquoi n'avez-vous pas permis que nous connuffions ce bien par expérience pour en jouir, & ce mal pour nous en garantir ?

HERACL

RACLIUS.

Léonide a très-bien parlé. Jusqu'à quand, notre père, nous refuferez-vous notre liberté ? & quand nous instruirez-vous qui vous êtes & qui nous sommes ?

ASTOLPHE

Ah! mes enfans! si je vous réponds, vous avancez ma mort. Vous demandez qui vous êtes, sachez qu'il est dangereux pour vous de fortir d'ici. La raison qui m'a forcé à vous cacher votre fort, c'est l'empereur Héraclius, cet Atlas chrétien,

(Cette conversation est interrompue par un bruit de chaffe. Héraclius & Leonide s'échappent, excités par la curiofité. Les deux paysans gracieux, c'est-à-dire, les deux bouffons de la pièce, viennent parler au bon homme Aftolphe, qui craint toujours d'être découvert. Cintia & Heraclius fortent d'une grotte.)

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Autant j'avais de courage, autant je deviens poltron près d'elle.

CINTIA.

Je suis arrivée ici très-irrésolue, & je commence à ne plus l'être.

HERACLIUS.

O vous poison de deux de mes sens, l'ouïe & la vue, avant de vous voir de mes yeux je vous avais admirée de mes oreilles; qui êtes vous ?

CINTIA.

Je suis une femme & rien de plus.

HERACLIUS.

Et qu'y a-t-il de plus qu'une femme ? & fi toutes les autres font comme vous, comment reste-t-il un homme en vie ?

CINTIA.

Ainfi donc vous n'en avez pas vu d'autres ?

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