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ENÉ DESCARTES naquit à La Haye, (aujourd'hui La Haye-Descartes, Indre-et-Loire), le 31 mars 1590. Il mourut à Stockholm le 11 février 1659. Son corps fut ramené à Paris, en 1667, et inhumé à Saint-Etienne-duMont, son corps, ou plutôt ses restes périssables. Il y eut transfert au Panthéon en 1793 et, enfin, en 1819, en l'église de Saint-Germain-des-Prés. Tourangeau comme Rabelais, est-il utile de dire qu'avec celui-ci il n'a de commun que le fait brutal d'être né dans la même province? Ce n'est pas seulement où il veut que souffle l'Esprit : c'est comme il veut. « O chair! disait, au cours d'une discussion, Descartes à Gassendi qui lui rispostait : « O idée ! » Ce « O chair!» il aurait pu le dire également à Rabelais s'il avait pu le connaître.

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Cette idée» ne fut pas, autant que le donnerait à croire un schéma tendancieux, indifférente aux hommes ni aux choses de son temps. Que Descartes ait à peu

près uniquement vécu dans son « poêle de Hollande », ce n'est qu'une légende à ajouter à tant d'autres ; mais elle demeure d'autant plus vivace qu'elle correspond à l'essentiel de son caractère. Il n'en est pas moins exact qu'on le voit courir à Francfort pour « assister au couronnement de l'Empereur, fête splendide et luxueuse dont aucune de nos solennités modernes ne pourrait donner une juste idée. Il sera à Venise pour assister au mariage du doge avec l'Adriatique; il se rend à Rome pour le jubilé. Il avait également le goût, comme il le dit lui-même, de voir « les cours et les armées ». A La Haye [Hollande, et non Touraine], au retour de son voyage d'Allemagne, trois petites cours se partageaient la société distinguée du pays : celle des Etats généraux, celle du prince d'Orange, celle de la reine de Bohême. Descartes les fréquente toutes les trois. En allant de La Haye à Paris, il s'arrête à Bruxelles pour visiter la cour de la princesse Isabelle. Le voici à Paris; mais, nous dit Baillet, il apprend que la cour est à Fontainebleau: il part pour Fontainebleau. C'est ce goût de jeunesse qui, venant à se réveiller, le décide à se rendre à la cour de la reine Christine [en Suède] où il devait trouver la mort. Le même genre de curiosité le conduisit dans les armées, d'abord en Hollande dans l'armée du prince Maurice de Nassau, puis dans celle du duc de Bavière. A Paris, on le voit également partir pour le siège de La Rochelle afin d'assister à ce spectacle mémorable et extraordinaire. »

Poêle ou fromage de Hollande, Descartes ne s'y était donc pas retiré absolument comme fit le rat, de célèbre mémoire, de son admirateur La Fontaine. Il y eut en lui un « mondain », comme nous dirions aujourd'hui, que se disputaient les Cours, comme nos salons se disputent tels de ses héritiers en philosophie; et je ne veux pas dire qu'ils n'aient pas répudié sa succession.

Nisard a fort bien dit : « Le cartésianisme, comme système philosophique, a eu la destinée de tous les systèmes. Après avoir régné pendant la seconde moitié du dix-septième siècle, il s'est vu discrédité au siècle suivant. Aujourd'hui, la science n'y compte que quelques vérités évidentes, répandues dans un corps de doctrines jugé faux. C'est ce qui est arrivé à toutes les philosophies, en sorte qu'on peut se demander si c'est par le fond même de leur système que les grands philosophes sont immortels, ou bien par leur méthode, leur logique, par la beauté de leurs discours, par l'art de faire servir les vérités de la vie pratique à rendre leurs spéculations plus claires ou plus familières. »

Descartes ne nous appartient pas, ici, en tant que philosophe. Il ne nous appartiendrait même pas comme écrivain qui ait fait du style pour le style l'objet de ses méditations si sa conception personnelle et nouvelle de l'homme ne s'était traduite en une forme nouvelle. D'une forte culture scientifique, beaucoup plus que littéraire, nul doute que, vivant au temps de la Querelle des Anciens et des Modernes, il n'eût pris parti pour ceux-ci. On le voit regretter d'avoir appris le latin, ce qui empêche, dit-il, d'écrire en français. En quoi il exagère. Mais on voit trop peu Descartes sous cet aspect de novateur, et même de révolutionnaire. Il ne comprend pas que la reine Christine de Suède prenne des leçons de grec, estimant qu'il en a lui-même trop appris au collège, et qu'il n'est pas plus du devoir d'un honnête homme de savoir le grec et le latin que le suisse ou le bas-breton. Son oeuvre n'est pas truffée d'allusions à l'antiquité, ni de citations de ses écrivains, ni de commentaires de ces textes, comme on le voit un peu d'agacement à la longue, chez Rabelais et surtout chez Montaigne. Descartes n'a pas fait table rase dans le domaine de la pensée pure seulement : il l'a fait dans le domaine littéraire aussi, pour autant

avec

qu'il s'y aventurait. Si le fonds spécifiquement philosophique de son oeuvre s'est affaissé, l'écriture en reste, et le style, qui dit exactement ce qu'il veut dire, et qui a toujours quelque chose à dire, et qui n'est que fonction de la pensée. C'est de ce point de vue que son influence a été grande.

« La grande et véritable influence littéraire est celle qui s'exerce par le dedans, celle qui vivifie la forme en renouvelant le fond même des idées; cette attraction, d'autant plus intime qu'elle est plus cachée, Descartes l'exerça sur la littérature de son siècle. Pas un des grands écrivains d'alors qui n'ait agité les problèmes par lui posés, qui n'ait lu et médité ses écrits, qui n'ait pris parti pour ou contre sa doctrine du monde, de l'homme, des animaux. On était pour la tradition ou pour la nouveauté, pour les Anciens ou pour les Modernes. La grande querelle philosophique concernant le progrès fut soulevée, comme on sait, par les disciples de Descartes, les Perrault, les Fontenelle, les Terrasson, et elle se prolongea presque vers le milieu du XVIIIe siècle. »

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