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LES PASSIONS DE L'AME

(1649)

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DES PASSIONS EN GÉNÉRAL ET, PAR OCCASION, DE TOUTE LA NATURE DE L'HOMME

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ART. I. - Que ce qui est passion au regard d'un sujet est toujours action à quelque autre égard.

L n'y a rien en quoi paraisse mieux combien les sciences que nous avons des anciens sont défectueuses qu'en ce

qu'ils ont écrit des passions; car, bien que ce soit une matière dont la connaissance a toujours été fort recherchée, et qu'elle ne semble pas être des plus difficiles à cause que, chacun les sentant en soi-même, on n'a point besoin d'emprunter d'ailleurs aucune observation pour en découvrir la nature, toutefois, ce que les anciens en ont enseigné est si peu de chose, et pour la

plupart si peu croyable, que je ne puis avoir aucune espérance d'approcher de la vérité qu'en m'éloignant des chemins qu'ils ont suivis. C'est pourquoi je serai obligé d'écrire ici en même façon que si je traitais d'une matière que jamais personne avant moi n'eût touchée et pour commencer je considère que tout ce qui se fait ou qui arrive de nouveau est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu'il arrive; en sorte que, bien que l'agent et le patient soient souvent fort différents, l'action et la passion ne laissent pas d'être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des deux divers sujets auxquels on la peut rapporter, ART. 2. Que pour connaître les passions de l'âme il faut distinguer ses fonctions d'avec celles du corps.

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Puis aussi je considère que nous ne remarquons point qu'il y ait aucun sujet qui agisse plus immédiatement contre notre âme que le corps auquel elle est jointe, et que par conséquent nous devons penser que ce qui est en elle une passion est communément en lui une action; en sorte qu'il n'y a point de meilleur chemin pour venir à la connaissance de nos passions que d'examiner la différence qui est entre l'âme et le corps, afin de connaître auquel des deux on doit attribuer chacune des fonctions qui sont en nous.

ART. 3.

Quelle règle on doit suivre pour cet effet. A quoi on ne trouvera pas grande difficulté si on prend garde que tout ce que nous expérimentons être en nous, et que nous voyons aussi pouvoir être en des corps tout à fait inanimés, ne doit être attribué qu'à notre corps; et, au contraire,

que tout ce qui est en nous, et que nous ne concevons en aucune facon pouvoir appartenir à un corps, doit être attribué à notre âme.

ART. 4.

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Que la chaleur et le mouvement des membres procèdent du corps; les pensées, de l'âme. Ainsi, à cause que nous ne concevons point que le corps pense en aucune façon, nous avons raison de croire que toutes sortes de pensées qui sont en nous appartiennent à l'âme; et, à cause que nous ne doutons point qu'il n'y ait des corps inanimés qui se peuvent mouvoir en autant ou plus de diverses façons que les nôtres, et qui ont autant ou plus de chaleur (ce que l'expérience fait voir en la flamme, qui seule à beaucoup plus de chaleur et de mouvement qu'aucun de membres), nous devons croire que toute la chaleur et tous les mouvements qui sont en nous, en tant qu'ils ne dépendent point de la pensée, n'appartiennent qu'au corps.

nos

ART. 5. Que c'est une erreur de croire que l'âme donne le mouvement et la chaleur au corps.

Au moyen de quoi nous éviterons une erreur très-considérable en laquelle plusieurs sont tombés, en sorte que j'estime qu'elle est la première cause qui a empêché qu'on n'ait pu bien expliquer jusques ici les passions et les autres choses qui appartiennent à l'âme. Elle consiste en ce que, voyant que tous les corps morts sont privés de chaleur, et ensuite de mouvement, on s'est imaginé que c'était l'absence de l'âme qui faisait cesser ces mouvements et cette chaleur; et ainsi on a cru, sans raison, que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de nos corps dépendent de l'âme au lieu qu'on devait penser, au contraire,

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