Page images
PDF
EPUB

choses qu'ils ont faites sans savoir assurément qu'elles soient mauvaises; ils se le persuadent seulement à cause qu'ils le craignent; et, s'ils avaient fait le contraire, ils s'en repentiraient en même façon ce qui est en eux une imperfection digne de pitié; et les remèdes contre ce défaut sont les mêmes qui servent à ôter l'irrésolution. De la faveur.

ART. 192.

[ocr errors]

La faveur est proprement un désir de voir arriver du bien à quelqu'un pour qui on a de la bonne volonté; mais je me sers ici de ce mot pour signifier cette volonté en tant qu'elle est excitée en nous par quelque bonne action de celui pour qui nous l'avons, car nous sommes naturellement portés à aimer ceux qui font des choses que nous estimons bonnes, encore qu'il ne nous en revienne aucun bien. La faveur, en cette signification, est une espèce d'amour, non point de désir, encore que le désir de voir du bien à celui qu'on favorise l'accompagne toujours; et elle est ordinairement jointe à la pitié, à cause que les disgrâces que nous voyons arriver aux malheureux sont cause que nous faisons plus de réflexion sur leurs mérites.

ART. 193.

De la reconnaissance.

La reconnaissance est aussi une espèce d'amour excitée en nous par quelque action de celui pour qui nous l'avons, et par laquelle nous croyons qu'il nous a fait quelque bien, ou du moins qu'il en a eu intention. Ainsi elle contient tout le même que la faveur, et cela de plus qu'elle est fondée sur une action qui nous touche et dont nous devons désirer de nous revancher; c'est pourquoi elle a beaucoup plus de force, principalement dans les âmes tant soit peu nobles et généreuses.

[graphic][ocr errors][subsumed][ocr errors][subsumed]

FIGURE INVENTÉE PAR Descartes

et montrant le mécanisme de la respiration (Traité de l'Homme).

ART. 194. - De l'ingratitude.

Pour l'ingratitude, elle n'est pas une passion, car la nature n'a mis en nous aucun mouvement des esprits qui l'excite; mais elle est seulement un vice directement opposé à la reconnaissance, en tant que celle-ci est toujours vertueuse et l'un des principaux liens de la société humaine : c'est pourquoi ce vice n'appartient qu'aux hommes brutaux et fortement arrogants qui pensent que toutes choses leur sont dues, ou aux stupides qui ne font aucune réflexion sur les bienfaits qu'ils reçoivent, ou aux faibles et abjects qui, sentant leur infirmité et leur besoin, recherchent bassement le secours des autres, et, après qu'ils l'ont reçu, ils les haïssent pour ce que, n'ayant pas la volonté de leur rendre la pareille, ou désespérant de le pouvoir, et s'imaginant que tout le monde est mercenaire comme eux et qu'on ne fait aucun bien qu'avec espérance d'en être récompensé, ils pensent les avoir trompés.

ART. 195. De l'indignation.

L'indignation est une espèce de haine ou d'aversion qu'on a naturellement contre ceux qui font quelque mal, de quelque nature qu'il soit; et elle est souvent mêlée avec l'envie ou avec la pitié; mais elle a néanmoins un objet tout différent, car on n'est indigné que contre ceux qui font du bien ou du mal aux personnes qui n'en sont pas dignes, mais on porte envie à ceux qui reçoivent ce bien, et on a pitié de ceux qui reçoivent ce mal. Il est vrai que c'est en quelque façon faire du mal que de posséder un bien dont on n'est pas digne; ce qui peut être la cause pourquoi Aristote et ses suivants, supposant que l'envie est toujours un

vice, ont appelé du nom d'indignation celle qui n'est pas vicieuse.

ART. 196. Pourquoi elle est quelquefois jointe à la pitié, et quelquefois à la moquerie.

C'est aussi en quelque façon recevoir du mal que d'en faire d'où vient que quelques-uns joignent à leur indignation la pitié, et quelques autres la moquerie, selon qu'ils sont portés de bonne ou de mauvaise volonté envers ceux auxquels ils voient commettre des fautes, et c'est ainsi que le ris de Démocrite et les pleurs d'Héraclite ont pu procéder de même cause.

ART. 197.

Qu'elle est souvent accompagnée d'admiration et n'est pas incompatible avec la joie.

L'indignation est souvent aussi accompagnée d'admiration : car nous avons coutume de supposer que toutes choses seront faites en la façon que nous jugeons qu'elles doivent être, c'est-à-dire en la façon que nous estimons bonne..C'est pourquoi, lorsqu'il en arrive autrement, cela nous surprend, et nous l'admirons. Elle n'est pas incompatible aussi avec la joie, bien qu'elle soit plus ordinairement jointe à la tristesse car, lorsque le mal dont nous sommes indignés ne nous peut nuire et que nous considérons que nous n'en voudrions pas faire de semblable, cela nous donne quelque plaisir; et c'est peut-être l'une des causes du ris qui accompagne quelquefois cette passion.

ART. 198. De son usage.

[ocr errors]

Au reste, l'indignation se remarque bien plus en ceux qui veulent paraître vertueux qu'en ceux qui le sont véritablement; car, bien que ceux qui aiment la vertu ne puissent voir sans quelque

« PreviousContinue »