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effets de la jalousie, « frénésie qui change tous les ob<«<jets à nos yeux, » et il les décrit énergiquement : <«< Tout s'empoisonne entre les mains de cette funeste «< passion: la piété la plus avérée n'est plus qu'une hy<< pocrisie mieux conduite; la valeur la plus éclatante, « une pure ostentation, ou un bonheur qui tient lieu « de mérite; la réputation la mieux établie, une erreur <«< publique, etc.... » La phrase suivante résume tout le discours, et elle en présente la division en excellents termes : « C'est donc la jalousie dans les princes des « prêtres qui persécute aujourd'hui (vendredi saint) « Jésus-Christ, un vil intérêt dans Pilate qui le hait, et << enfin une indifférence criminelle dans Hérode qui en << fait un sujet de mépris et de risée. »

Dixième sermon. Le dixième sermon, prononcé le jour de Pâques, célèbre le triomphe de la religion. Jésus-Christ triomphe : 1° de la malignité; 2o du péché; 3o de la mort. Cette. division forme les trois points du

sermon.

<< Le triomphe de Jésus-Christ est pour les nations « mêmes qui deviennent sa conquête un triomphe de « paix, de liberté et de gloire. » L'orateur montre successivement par l'exemple du Fils de Dieu comment les princes soumis à la religion peuvent vaincre « la « malignité de l'envie, ou les inconstances de la for<< tune qui obscurcissent leur gloire; les passions qui la « déshonorent ; et enfin la mort même qui l'ensevelit. >> Puis il termine cette suite de leçons mémorables, deslinées à former un prince accompli si elles avaient été suivies, par un vœu qui méritait d'être exaucé : « Faites« en, grand Dieu, un roi selon votre cœur, c'est-à-dire « le père de son peuple, le protecteur de votre Église, « le modèle des mœurs publiques, le pacificateur plutôt « que le vainqueur des nations, l'arbitre plus que la << terreur de ses voisins; et que l'Europe entière envie << plus notre bonheur, et soit plus touchée de ses vertus « qu'elle ne soit jalouse de ses victoires et de ses con

«< quêtes. » On sait à quel point ces enseignements d'un prélat vertueux furent stériles et comment ses espérances furent déçues; mais les vérités qu'il a proclamées et consacrées par son admirable langage seront toujours une lumière vers laquelle doivent se diriger les regards de ceux qui veulent obéir avec dignité ou commander avec justice.

MONTESQUIEU.

(1689-1755.)

Montesquieu (Charles Secondat de), né au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 janvier 1689, annonça de bonne heure ce qu'il devait être un jour. Son père, homme instruit, qui avait quitté, jeune encore, le service militaire, après s'y être distingué, dirigea son éducation et la conduisit jusqu'à l'étude du droit.

Montesquieu, outre sa part dans un patrimoine considérable, reçut par surcroît la fortune et la charge d'un oncle paternel, président à mortier au parlement de Bordeaux. Magistrat à vingt ans, il n'en fut pas moins dès lors un des membres les plus importants de sa compagnie. Chargé de réclamer contre un impôt sur les vins, onéreux à la Guyenne, il obtint une promesse de dégrèvement; ce n'est pas à lui qu'on peut s'en prendre si cette promesse ne fut pas tenue. Une académie des arts venait d'être fondée à Bordeaux : il y entra, et sur ses conseils elle fut transformée en académie des sciences. Il prit aux travaux de cette société qu'il avait régénérée une part fort active. Mais le parlement et l'académie de Bordeaux n'épuisaient pas son ardeur de travail : il trouva des loisirs pour composer un ouvrage léger de forme, frivole de ton, au fond trèssérieux, très-hardi : ce sont ses Lettres persanes, qui contiennent en germe toutes les témérités de la philosophie du dix-huitième siècle. Montesquieu les publia sans y attacher son nom; le succès fut tel, que l'auteur fut obligé de se déclarer. Le caractère de cet ouvrage audacieusement satirique ne lui permettait guèro de conserver sa magistrature parlementaire : il y renonça pour devenir exclusivement et en toute indépendance homme de lettres; mais il voulut, en retour, Études littéraires.

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avoir tous les honneurs de sa nouvelle condition : il demanda un fauteuil à l'Académie française. Le cardinal de Fleury s'opposait nettement à l'élection de l'auteur des Lettres persanes; celui-ci déclara, de son côté, que si l'on infligeait au nom de Montesquieu cet affront public, il irait demander à l'étranger un asile et le respect qui lui était dû. Devant cette menace, la défense fut levée, et Montesquieu vint prendre place parmi les Quarante. Voltaire affirme que Montesquieu fit faire une édition expurgée des Lettres persanes pour désarmer le cardinal-ministre en le trompant. La pensée et le succès de cette supercheric sont également invraisemblables. Il est plus probable que Montesquieu aborda franchement l'obstacle et qu'il l'emporta de haute lutte.

Son discours de réception à l'Académie est grave et spirituel; il y parle de Richelieu en termes qui font pressentir l'auteur de l'Esprit des Lois: « Ce grand ministre, dit-il, tira du chaos les règles de la monarchie, apprit à la France le secret de ses forces, à l'Espagne celui de sa faiblesse, ôta à l'Allemagne ses chaînes, lui en donna de nouvelles, brisa tour à tour les puissances, et destina, pour ainsi dire, Louis le Grand aux grandes choses qu'il fit depuis. >>

Dégagé, par la vente de sa charge, de toute obligation de résidence, et résolu de réaliser les projets sérieux conçus dès sa jeunesse, Montesquieu voulut, par des voyages, donner un champ plus étendu à ses observations et mûrir son esprit par la pratique et la comparaison des différents peuples. Il visita l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, la Hollande, et séjourna pendant deux années en Angleterre. L'Angleterre était alors la grande école des penseurs; il y puisa la connaissance approfondie d'une constitution dont il dévoila plus tard le mécanisme avec une sagacité qui étonna les Anglais euxmêmes. De retour en France, il se retira dans son château de la Brède, et après deux années de recueillement, il publia, en 1734, les Considérations sur les

causes de la grandeur et de la décadence des Romains, livre profond et original qui mit le sceau à sa réputation d'écrivain et qui commença sa renommée de philosophe et de publiciste. C'était la première fois que l'histoire était ainsi présentée : on n'avait plus une série de tableaux, ni une suite de faits et de dates, mais l'enchaînement rigoureux des causes qui avaient produit les événements et les institutions. Dans cette histoire philosophique, Montesquieu ne remonte pas, comme avait fait Bossuet, à la cause première; il ne dévoile pas les desseins de la Providence, mais il pénètre les causes secondes dans la sphère de l'activité humaine, et il les expose avec un enchaînement qui a toute la rigueur des sciences exactes. La précision et le coloris du style donnent à la pensée de l'historien phi- . losophe une vigueur et un éclat surprenants. Ce livre si court et si substantiel est un des chefs-d'œuvre de notre littérature.

Après vingt années de méditations, Montesquieu donna enfin la mesure de son génie par l'Esprit des lois (1748). Un pareil livre ne pouvait être que l'œuvre d'une vie entière exclusivement consacrée à l'étude. Déterminer l'essence même de la loi, ramener à trois types distincts toutes les formes de gouvernement, dégager de toutes les législations la raison qui les a fait naître, durer et périr, il fallait pour cela l'infatigable labeur d'un érudit et la clairvoyance supérieure d'un esprit philosophique. Ces qualités dont la rencontre est si rare, Montesquieu les possédait toutes deux à un degré éminent; il les employa à la composition d'un livre unique, qui le place au-dessus de tous les publicistes qui l'avaient précédé, et qui depuis n'a pas été égalé. Aussi le nom de Montesquieu est-il devenu une appellation générique destinée à désigner la supériorité chez les écrivains politiques. Toutefois ce livre admirable n'est pas irréprochable : « Le défaut continuel de méthode, dit Voltaire, la singulière affectation de ne mettre souvent que trois ou quatre

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