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main, toutes les vicissitudes des émotions, toutes les parties sensibles de l'âme, non pour exciter ces affections violentes, ces animosités populaires, ces grands incendies des passions, ces feux de vengeance et de haine où triomphait l'antique éloquence, mais pour adoucir, pour apaiser, pour purifier les âmes. Armé contre toutes les passions, sans avoir le droit d'en appeler aucune à son secours, il est obligé de créer une passion nouvelle, s'il est permis de profaner par ce nom le sentiment profond et sublime qui seul peut tout vaincre et tout remplacer dans les cœurs, l'enthousiasme religieux, qui donne à son accent, à ses pensées, à ses paroles, plutôt l'inspiration d'un prophète que le mouvement d'un orateur.

« A cette image de l'éloquence apostolique, n'avezvous pas reconnu Bossuet? Grand homme, ta gloire vaincra toujours la monotonie d'un éloge tant de fois entendu. Le privilége du sublime te fut donné; et rien n'est inépuisable comme l'admiration que le sublime inspire. Soit que tu racontes les renversements des États, et que tu pénètres dans les causes profondes des révolutions; soit que tu verses des pleurs sur une jeune femme mourante au milieu des pompes et des dangers de la cour; soit que ton âme s'élance avec celle de Condé et partage l'ardeur qu'elle décrit; soit que, dans l'impétueuse richesse de tes sermons à demi préparés, tu saisisses, tu entraînes toutes les vérités de la morale et de la religion : partout tu agrandis la parole humaine, tu surpasses l'orateur antique : tu ne lui ressembles pas. Réunissant une imagination plus hardie, un enthousiasme plus élevé, une fécondité plus originale, une vocation plus haute, tu sembles ajouter l'éciat de ton génie à la majesté du culte public, et consacrer encore la religion elle-même1. »

1. Discours et Mélanges. Discours prononcé à l'ouverture du cours d'éloquence française, décembre 1822.

Discours sur l'histoire universelle.

« Le Discours sur l'histoire universelle, dit Rollin, est l'un des plus admirables ouvrages qui aient paru de notre temps; je ne dis pas par la beauté et la sublimité du style, mais encore plus par la grandeur des choses mêmes, par la solidité des réflexions, par la profonde connaissance du cœur humain, et par cette vaste étendue qui embrasse tous les siècles et tous les empires. On y voit avec un plaisir infini passer comme en revue tous les peuples du monde, avec leurs bonnes et leurs mauvaises qualités, avec leurs mœurs, leurs coutumes, leurs inclinations différentes. Égyptiens, Assyriens, Perses, Mèdes, Grecs, Romains, on y voit tous les royaumes du monde sortir comme de terre, s'élever peu à peu par des accroissements insensibles, étendre ensuite de tous côtés leurs conquêtes, parvenir par différents moyens au faîte de la grandeur humaine, et, par des révolutions subites, tomber tout d'un coup de cette élévation, et aller, pour ainsi dire, se perdre et s'abîmer dans le même néant d'où ils étaient sortis. Mais ce qui est bien plus digne d'attention, on y voit dans les mœurs des peuples, dans leurs caractères, dans leurs vertus et dans leurs vices, la cause de leur agrandissement et de leur chute; on y apprend nonseulement à démêler ces ressorts secrets et cachés de la politique humaine qui donnent le mouvement à toutes les actions et à toutes les entreprises, mais à y reconnaître partout un être souverain qui veille et qui préside à tout, qui règle et conduit tous les événements, qui dispose et décide en maître du sort de tous les royaumes et de tous les empires du monde. »

« Bossuet, dit M. de Châteaubriand, est plus qu'un historien, c'est un Père de l'Église, c'est un prêtre inspiré, qui a souvent le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la

terre! » Ces quelques mots d'un grand écrivain caractérisent merveilleusement le génie de Bossuet comme historien. Avant lui, personne n'avait montré avec un tel ensemble ni dans un enchaînement aussi rigoureux l'accomplissement des desseins de la Providence dans les destinées du genre humain le doigt de Dieu est dans toutes les révolutions des peuples, dont les entreprises aboutissent toujours à des résultats que les hommes n'ont ni voulus ni prévus.

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Bossuet a déclaré sa pensée sur l'histoire dans une seule page, dont le discours entier n'est que la preuve et le commentaire; la voici : « Tous ceux qui gou« vernent se sentent assujettis à une force majeure. Ils « font plus ou moins qu'ils ne pensent, et leurs conseils « n'ont jamais manqué d'avoir des effets imprévus. Ni <«< ils ne sont maîtres des dispositions que les siècles « passés ont mises dans les affaires, ni ils ne peuvent prévoir le cours que prendra l'avenir, loin qu'ils le « puissent forcer. Celui-là seul tient tout en sa main, « qui sait le nom de ce qui est et de ce qui n'est pas « encore, qui préside à tous les temps et prévient tous « les conseils. Alexandre ne croyait pas travailler pour «ses capitaines, ni ruiner sa maison par ses conquêtes. « Quand Brutus inspirait au peuple romain un amour « immense de la liberté, il ne songeait pas qu'il jetait << dans les esprits le principe de cette licence effrénée « par laquelle la tyrannie qu'il voulait détruire devait « être un jour établie plus dure que sous les Tarquins. « Quand les Césars flattaient les soldats, ils n'avaient pas « dessein de donner des maîtres à leurs successeurs et « à l'empire. En un mot, il n'y a point de puissance hu<< maine qui ne serve malgré elle à d'autres desseins que « les siens. Dieu seul sait tout réduire à sa volonté. »

C'est pour mettre en lumière cette vérité que l'historien, ou plutôt le théologien orateur, après avoir dans la première partie, disons mieux, le premier point de son discours, marqué le nombre et l'enchaînement des époques historiques, et dans le second, indiqué la suite

de la religion, c'est-à-dire la continuité du commerce soit direct soit indirect de Dieu avec la terre, passe en revue dans la troisième partie les empires, et montre successivement l'Égypte, les empires d'Orient, la Grèce et Rome, avec leur génie particulier paraissant au temps marqué, pour remplir leur rôle dans le drame providentiel qui aboutit à la naissance du Christ et au triomphe de la religion.

Il faut lire dans son ensemble et méditer avec recueillement cet admirable ouvrage, qui embrasse dans trois parties distinctes: 4° la suite des Temps, 2o la suite de la Religion, 3o la suite des Empires, tous les faits qui manifestent, depuis la naissance du monde jusqu'au règne de Charlemagne, les desseins de Dieu sur l'humanité. Le mot de suite, choisi par Bossuet, indique déjà que tout se suit et s'enchaîne dans la pensée de l'historien comme dans les décrets de la Providence.

Première partie Suite des Temps. Bossuet divise les temps écoulés depuis la création jusqu'à l'établissement de l'empire de Charlemagne, limite de l'histoire ancienne et commencement de l'histoire moderne, en douze époques ou points d'arrêt qui marquent en même temps la division et l'enchaînement des siècles. Ces douze époques sont : 4° Adam ou la création; 2° Noé ou le déluge; 3° la vocation d'Abraham ou le commencement de l'alliance de Dieu avec les hommes; 4° Moïse ou la loi écrite; 5° la prise de Troie; 6° Salomon ou la fondation du temple; 7° Romulus ou Rome bâtie; 8o Cyrus ou le peuple de Dieu délivré de la captivité de Babylone; 9° Scipion ou Carthage vaincue; 10° la naissance de Jésus-Christ; 11° Constantin ou la paix de l'Église; 12o Charlemagne ou l'établissement du nouvel empire.

Ces douze époques de l'histoire ancienne comprennent sept âges du monde, qui correspondent : le premier à la création, le second au déluge, le troisième à la vocation d'Abraham, le quatrième à Moïse. Ces quatre

premiers âges remplissent successivement la durée des quatre premières époques et indiquent chacun un changement de la condition de l'humanité considérée dans ses rapports avec le Créateur. La prise de Troie, événement purement humain, est comprise dans le quatrième âge, quoiqu'elle forme une époque distincte. L'achèvement du temple de Salomon ouvre le cinquième âge, qui comprend la fondation de Rome par Romulus. Le sixième âge commence sous Cyrus par la délivrance des Juifs; il est signalé sous les Scipions par la ruine de Carthage, et il se termine à la naissance de JésusChrist, qui inaugure le septième et dernier âge, où paraissent, comme instruments de Dieu, avant l'ère moderne, Constantin, dont la soumission annonce le triomphe du christianisme, et Charlemagne, qui ajoute un domaine terrestre à la puissance spirituelle du successeur de saint Pierre.

Cette première partie, qui ne serait chez un écrivain vulgaire qu'une froide série de dates, une sèche nomenclature, s'anime dans Bossuet et entraîne le lecteur comme la marche irrésistible du temps emporte les générations.

Seconde partie Suite de la Religion. Ici Bossuet expose et discute les titres de la tradition religieuse, et, comme il veut asseoir sur un fondement inébranlable la vérité de la religion chrétienne, il ne laisse dans l'ombre aucun fait, ni debout aucune objection. Aussi consacre-t-il à cette démonstration trente et un chapitres qui forment plus de la moitié de l'ouvrage. Il montre d'abord l'intervention directe de Dieu, façonnant de ses propres mains le corps de l'homme, et de son souffle lui communiquant une âme à l'image et à la ressemblance de la sienne; comblant de faveurs sa créature, qui devait jouir d'un bonheur et d'une innocence inaltérables, à la seule condition de respecter la défense qui lui est faite de toucher au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, placé au centre de l'Éden; châtiant la désobéissance de l'homme et de sa

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