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« le monde ne connaît pas et qui fait marcher les hom« mes dans les sentiers de la justice. » Toute cette sagesse se réduit à trois points dont la pratique a fait la gloire du chancelier : c'est « d'avoir fait céder à la modestie l'éclat ambitieux des grandeurs humaines, « l'intérêt particulier à l'amour du bien public, et la « vie même au désir des biens éternels. » Le corps du discours n'est que le développement de ces prémisses par le récit des faits et par un choix de considérations morales et religieuses.

L'orateur suit le cours de ses pensées sans les rattacher à un plan méthodique. Il parle d'abord du magistrat et de son amour pour la justice, et il trouve contre les prévaricateurs des paroles que le chancelier L'Hôpipital n'aurait pas désavouées : « Non, non, ne le croyez « pas, que la justice habite jamais dans les âmes où « l'ambition domine : toute âme inquiète et ambitieuse << est incapable de règle; l'ambition a fait trouver ces dangereux expédients où, semblable à un sépulcre « blanchi, un magistrat artificieux ne garde que les « apparences de la justice... Parlons de la lâcheté ou « de la licence d'une justice arbitraire qui, sans règle << et sans maxime, se tourne au gré d'un ami puissant; parlons de la complaisance qui ne veut jamais ni << trouver le fil ni arrêter le progrès d'une procédure << malicieuse. » Il faut lire tout ce passage, trop long pour être cité, trop important pour qu'on le néglige. On y voit à quel point le ministre de Dieu souffrit de voir « l'iniquité sortir si souvent du lieu d'où elle devrait « toujours être foudroyée. »>

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En apprenant les services rendus à l'État et à la royauté par Michel Le Tellier pendant la Fronde, Bossuet laisse entrevoir qu'il aurait quelques réserves à faire sur le compte de Mazarin; à plusieurs reprises il l'appelle le favori, ce qui n'est jamais un éloge, et il le montre toujours impatient de revenir trop tôt sur la scène où sa présence a soulevé tant d'orages, et, par surcroft, il trace de son rival un portrait où perce la

secrète sympathie que lui inspire le cardinal de Retz, « cet homme, si fidèle aux particuliers, si redoutable à « l'Etat..., qui, après que tous les partis furent abattus, « sembla encore se soutenir seul, et, seul encore, me« nacer le favori victorieux de ses tristes et intrépides << regards. >>

On regrette de voir la suite de ce discours, d'ailleurs si judicieux et si édifiant, consacrée à célébrer la révocation de l'édit de Nantes, dont les suites furent si préjudiciables aux intérêts de l'État et de la religion. Mais l'orateur rentre dans la vérité, lorsqu'en finissant il décrit les derniers moments de son héros, qui couronne par une sainte mort une vie exemplaire.

Oraison funèbre du prince de Condé.

L'oraison funèbre du prince de Condé (1621-1686) est la dernière et la plus étonnante de celles que Bossuet a composées. La grande âme de l'orateur aborde familierement ce noble sujet et semble respirer naturellement l'héroïsme. Mais ce n'est qu'un premier essor : elle s'élève encore, et bientôt, des hauteurs de la sphère religieuse, elle plane au-dessus des cimes de la grandeur humaine. L'héroïsme n'est rien sans la piété : commander aux hommes n'est qu'illusion si on n'est pas soumis à Dieu. Telle est la thèse qu'établit et que développe l'orateur; avec quelle aisance et quelle majesté ! On voit que le génie du prêtre et du guerrier étaient de même trempe. Des bancs de la Sorbonne, où Condé s'enflammait à la parole du jeune théologien, jusqu'au lit de mort où le prince se rappelait les leçons du prélat, ces deux grands hommes s'étaient compris, s'étaient aimés en s'admirant. L'Église et l'État n'avaient pas eu de plus vive lumière, d'appui plus redoutable. Quel héros et quel panégyriste! Mais l'orateur chrétien ne devient-il pas lui-même un homme de guerre, n'a-t-il pas surpris tous les secrets de la stratégie, n'est-il pas enflammé de l'ardeur même des combats, lorsqu'il

peint Rocroy, Fribourg, Nordlingue? Rocroy surtout, qui lui inspire la plus belle page qui soit peut-être dans aucune langue « L'armée ennemie est plus « forte, etc. »

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Bossuet est incomparable, pour la vivacité, l'élan, la grandeur, dans tout ce qui retrace le génie guerrier de Condé. On est tenté de détourner sur l'orateur cette comparaison qu'il fait de son héros : « Comme une aigle qu'on voit toujours, soit qu'elle vole au milieu « des airs, soit qu'elle se pose sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés des regards perçants, et « tomber si sûrement sur sa proie qu'on ne peut éviter << ses ongles non plus que ses yeux : aussi vifs étaient « les regards, aussi vite et impétueuse était l'attaque, « aussi fortes et inévitables étaient les mains du prince « de Condé. » Tel aussi plane le génie de Bossuet, tel il voit, tel il saisit, tel il étreint sa pensée. Quel charme ailleurs et quel mouvement vif et doux lorsqu'il parle de la bonté, qui est la bienveillance de la force! << Loin a de nous les héros sans humanité! etc. » Les morceaux épisodiques, comme le parallèle de Turenne et de Condé, sont traités avec la même supériorité et naturellement amenés. C'est après avoir rassemblé tous les traits dont se compose l'héroïsme humain, et formé comme un idéal que rien ne saurait dépasser, que l'orateur fait évanouir « ce fantôme de gloire, comme « il dit, destiné à l'ornement du siècle, vaine récom« pense de la vanité des hommes : receperunt mercedem « suam, vani vanam. Il n'y a de vraie grandeur que « dans l'abaissement devant Dieu. » Est-il une transition plus heureuse pour arriver à la peinture des vertus chrétiennes du héros, pour le conduire de là jusqu'au moment décisif où il va rendre son âme à Dieu, pour suivre enfin sa dépouille mortelle jusqu'à ce tombeau « orné de figures qui semblent pleurer, fragiles << images d'une douleur que le temps emporte avec tout « le reste! >>

C'est autour de cette tombe que l'orateur appelle les

peuples et les princes pour se convaincre du néant de la grandeur humaine et pour s'y résoudre, par l'exemple du prince dont il déplore la perte, à chercher la vraie gloire dans la piété. Mais sur un pareil sujet il convient de laisser la parole à M. de Châteaubriand : « Nous avions cru pendant quelque temps que l'oraison funèbre du prince de Condé, à l'exception du mouvement qui la termine, était généralement trop louée; nous pensions qu'il était plus aisé, comme il l'est en effet, d'arriver aux formes d'éloquence du commencement de cet éloge qu'à celles de l'oraison de madame Henriette mais quand nous avons lu ce discours avec attention; quand nous avons vu l'orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit, et donner comme en se jouant un chant d'Homère; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres; lorsque, après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers, au catafalque du héros; lersqu'enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis XIV, dont il a l'air de faire les funérailles, prêt à s'abîmer dans l'éternité, à ce dernier effort de l'éloquence humaine, les larmes de l'admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains. »

FÉNELON.

(1651-1715.)

Fénelon (François Salignac de Lamothe) naquit, le 6 août 1651, au château de Fénelon, en Périgord, de Pons de Salignac, comte de Lamothe-Fénelon, et de Louise de la Cropte de Saint-Abre.

Les soins de sa mère développèrent rapidement sa précoce intelligence. Un précepteur instruit l'initia de bonne heure au latin et au grec. A douze ans, il lisait Cicéron et Virgile, Homère et Démosthène. Après avoir terminé ses humanités et fait sa philosophie au collége de Cahors, il vint à Paris, sous les auspices de son oncle, le marquis de Fénelon, étudier encore au collége du Plessis. Il avait à peine quinze ans, lorsqu'on tenta sur lui l'épreuve oratoire qui avait réussi au jeune Bossuet, à l'hôtel de Rambouillet; il s'en tira avec le même succès, et, comme son illustre devancier, il se recueillit après ce brillant essai, pour se livrer courageusement à l'étude de la théologie. Il y cut pour guides M. Olier, fondateur de Saint-Sulpice, et M. Tronson. A vingtquatre ans, il fut ordonné prêtre. Dans l'ardeur de son zèle, il voulait partir comme missionnaire pour le Canada; plus tard il songea aux missions du Levant. Ses souvenirs classiques l'attiraient vers la Grèce, dont il aurait voulu être l'apôtre et le libérateur. Mais la faiblesse de sa santé et les instances de ses parents le retinrent en France, où il fut chargé de la direction des Nouvelles Catholiques : c'était une maison où les jeunes protestantes nouvellement converties recevaient l'instruction et l'éducation religieuses. Fénelon recueillit dans l'exercice de cette fonction, à laquelle il se voua pendant dix années, cette foule d'idées et de sentiments

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