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«foudre qui accablait tant de villes. » Après les prières viennent ses aumônes et sa tendresse pour les pauvres. Mais voici tout, en un mot : « Fille, femme, mère, «maîtresse, reine telle que nos vœux l'auraient pu « faire, plus que tout cela, chrétienne, elle accomplit « tous ses devoirs sans présomption, et fut humble « non-seulement parmi toutes les grandeurs, mais en« core parmi toutes les vertus. >>

Ces exemples de la reine doivent faire trembler ceux qui suivent le train ordinaire des cours : « Que sera-ce, « s'écrie l'orateur en finissant, quand, en contentant « nos impudiques désirs, en assouvissant nos vengean« ces et nos secrètes jalousies, en accumulant dans nos « coffres des trésors d'iniquité, sans jamais vouloir sé« parer le bien d'autrui d'avec le nôtre; trompés par « nos plaisirs, par nos jeux, par notre santé, par notre jeunesse, par l'heureux succès de nos affaires, par <«< nos flatteurs, parmi lesquels il faudrait peut-être « compter des directeurs infidèles que nous avons choi« sis pour nous séduire, et enfin par nos fausses péni<«<lences qui ne sont suivies d'aucun changement de <«< nos mœurs, nous viendrons tout à coup au dernier « jour? » Il n'y a aucun des traits de cette peinture que Louis XIV ne puisse détourner sur lui-même, et c'est par ces conseils enveloppés que le ministre de Dieu,. compensant les louanges publiques qu'il a prodiguées, rentre dans son rôle et reprend son autorité.

Oraison funèbre d'Anne de Gonzague de Clèves, princesse palatine.

Anne de Gonzague de Clèves, seconde fille du duc de Nevers, plus connue sous le nom de princesse palatine, qu'elle rendit célèbre pendant la Fronde, était née en 1616; mariée en 1645 au prince Édouard, comte palatin du Rhin et fils du duc de Bavière Frédéric V, veuve après quelques années de mariage, elle mourut le 6 juillet 1684, âgée de soixante-huit ans. La vie de

celte princesse, édifiante au début comme à la fin, remplie entre ces deux extrémités par l'intrigue politique, les égarements mondains et l'incrédulité, offrait au génie de Bossuet une riche matière qu'il a traitée avec une puissance incomparable. Cette oraison funèbre se place sans désavanlage à côté des chefs-d'œuvre de l'orateur. Moins pathétique que celle de la duchesse d'Orléans, moins sublime que celle de la reine d'Angleterre, moins animée que celle du prince de Condé, on peut dire qu'elle les égale par une solidité plus grande, par un mouvement plus soutenu, et par la plénitude de l'ardeur du sentiment religieux. Nulle part la foi catholique n'est professée avec plus d'assurance, ni imposée avec plus d'autorité.

Dès le début, l'orateur annonce son dessein; il veut vaincre ou confondre l'incrédulité: « Toutes les vaines « excuses dont vous couvrez votre incrédulité vont vous « être ôtées. Ou la princesse palatine portera la lumière « dans vos yeux, ou elle fera tomber, comme un déluge « de feu, la vengeance de Dieu sur vos têtes. Mon dis« cours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous « jugera au dernier jour; ce sera sur vous un nouveau « fardeau, comme parlaient les prophètes: onus verbi « Domini super Israel; et, si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables. >>

La division du discours se trouve dans ces simples mots : « Venez voir d'où la main de Dieu a retiré la prin«< cesse Anne1, venez voir où la main de Dieu l'a éle« vée. » Cette main toute-puissante l'a ramenée de si loin et l'a portée si haut, qu'après un tel exemple nul pécheur n'a le droit de s'abandonner au désespoir pour s'obstiner dans l'impénitence.

Bossuet suit Anne de Clèves depuis son berceau jusqu'à sa tombe. Il peint avec un charme infini l'inno

4. Bossuet a pris pour texte de son discours ces paroles d'Isaïe: Apprehendi te ab extremis terræ et longinquis ejus vocavi te: elegi te, et non abjeci te: ne timeas, quia ego tecum

sum.

cence et l'heureuse culture de ses premières années : « Jamais, dit-il, plante ne fut cultivée avec plus de << soin, ni ne se vit sitôt couronnée de fleurs et de «< fruits. » Mais ces fleurs se flétrirent et ces fruits se corrompirent, parce qu'on mit trop d'empressement à l'enchaîner à la vie religieuse, qu'elle aurait librement embrassée si on eût laissé à sa vocation le temps de se développer; en effet, « il eût fallu la conduire et non « la précipiter dans le bien. » Elle s'en dégagea sous la contrainte : « maîtresse alors de ses désirs, elle vit le << monde, elle en fut vue; bientôt elle sentit qu'elle « plaisait. » L'alliance d'un prince et les enchantements du monde, puis le veuvage et les périls de l'indépendance qu'il procure, la faveur de la cour et ses enivrements, et, par surcroît, le vertige des troubles civils, tels furent les piéges où se perdirent l'innocence et la foi de la princesse qu'on avait élevée pour gouverner le couvent de Faremoutiers. Toutefois, dans le naufrage de ses croyances religieuses, elle garda les qualités de l'âme qui sont les vertus du siècle : amie dévouée, confidente discrète, d'un commerce sûr, elle porta autant de sincérité que d'habileté dans l'intrigue et gagna la confiance de tous les partis sans jamais en abuser. Seule entre tous les personnages qui jouèrent un rôle pendant la Fronde, elle n'y laissa rien de sa considération. A propos de cet orage politique, Bossuet, qui prend la Fronde au tragique, trouve de mâles accents : «Que vois je durant ce temps! quel trouble! quel af« freux spectacle se présente ici à mes yeux! la monar«chie ébranlée jusqu'aux fondements, la guerre civile, << la guerre étrangère, le feu au dedans et au dehors; « les remèdes de tous côtés plus dangereux que les <«< maux, etc. » On ne parlerait pas autrement, mais avec plus de vérité, de la Révolution; Bossuet s'emporte pour complaire aux craintes passées et aux rancunes persistantes de Louis XIV, et pour rapporter cette crise, où semble surtout s'être joué le caprice des hommes, à Dieu même, « qui voulait montrer qu'il donne la mort

« et qu'il ressuscite; qu'il plonge jusqu'aux enfers et « qu'il en retire; qu'il secoue la terre et la brise, et qu'il guérit en un moment toutes ses brisures. »

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Mêlée au monde et aux affaires, la princesse palatine oublie Dieu; elle se range parmi ceux pour qui la religion est un objet d'indifférence ou de dérision, et elle donne à son panégyriste l'occasion de décharger ses dédains contre les sceptiques et les incrédules; c'est alors que du haut de sa foi il leur jette cette éloquente objurgation « Mais qu'ont-ils vu ces rares génies? « qu'ont-ils vu plus que les autres? quelle ignorance est « la leur !... Pensent-ils avoir mieux vu les difficultés à « cause qu'ils y succombent, et que les autres qui les « ont vues les ont méprisées? » Il faut l'entendre leur opposer leurs doutes et leurs contradictions, leur reprocher l'aveuglement et la mauvaise foi et les accabler de cette conclusion: « Les absurdités où ils tombent en « niant la religion deviennent plus insoutenables que « les vérités dont la hauteur les étonne; et pour ne vou« loir pas croire des mystères incompréhensibles, ils sui« vent l'une après l'autre d'incompréhensibles erreurs." Après cette invective foudroyante, il ne reste plus à l'orateur qu'à montrer le retour de la pécheresse à la foi et aux vertus de ses jeunes années. La grâce touche de nouveau et elle attendrit cette âme que Dieu suivait toujours de ses regards et qu'il devait ramener de si loin. On suit avec l'orateur tous les degrés de ce retour, on en voit la marche et l'achèvement, on en admire les épreuves et les joies. Lorsque Bossuet traçait l'image de cette conversion exemplaire, il était effrayé et irrité du nombre toujours croissant « des incrédules et des « insensibles; » il veut les troubler dans leur fausse sécurité; il leur dit, après l'apôtre, combien il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant, «< ces "mains où tout est action, où tout est vie, rien ne s'affaiblit, ni ne se relâche, ni ne se ralentit jamais. » « Allez voir, leur dit-il, si ces mains toutes-puissantes « vous seront favorables ou rigoureuses, si vous serez

« éternellement ou parmi leurs dons, ou sous leurs « coups. » Et enfin il les pousse devant le tribunal du Fils de Dieu, où ils entendront ces terribles paroles : « Race infidèle, me connaissez-vous à cette fois ? suis-je « votre roi ? suis-je votre juge? suis-je votre Dieu? Ap« prenez-le par votre supplice. » Et l'orateur ajoute : « Là commencera ce pleur éternel; là ce grincement « de dents qui n'aura jamais de fin. »

Oraison funèbre de Michel Le Tellier,
chancelier de France.

Michel Le Tellier, né en 1603, fils d'un conseiller à la cour des comptes, montra de bonne heure sa capacité pour les affaires. D'abord conseiller au grand conseil, il devint en 1634 procureur du roi au Châtelet de Paris, bientôt après maître des comptes, et plus tard intendant du Piémont. Il attira dans ces fonctions délicates l'attention du cardinal Mazarin, qui l'appela au ministère comme secrétaire d'État au département de la guerre. Fidèle au cardinal pendant les troubles de la Fronde et son agent dévoué pendant ses exils, il partagea un instant sa disgrâce et ne tarda pas à reprendre sa place, qu'il céda en 1666 à son fils, le marquis de Louvois. Il espérait alors la dignité de chancelier, qu'il attendit patiemment jusqu'en 1671, et qu'il garda jusqu'à sa mort en 1685. Avant de mourir, il avait scellé l'ordonnance qui révoquait l'édit de Nantes, pensant par là rendre un signalé service au roi et à la religion.

Bossuet fait du chancelier Michel Le Tellier un modèle accompli de vertu, et du discours qu'il consacre à sa mémoire un enseignement de sagesse 1, « non pas de «< cette sagesse qui élève les hommes et qui agrandit les « maisons ou qui élève les empires..., mais de celle que

1. Il prend pour texte ces paroles de Salomon (Prov. IV, v. 7 et 8): Posside sapientiam, require prudentiam; arripe illam et exaltabit te : glorificaberis ab ea, quum eam fueris amplexatus.

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