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ÉTUDES LITTÉRAIRES.

PROSATEURS.

BOSSUET.

(1627-1704.)

Bossuet offre l'image accomplie du docteur et du prêtre. Sa vie est un long combat où le courage ne lui manque jamais, ni la victoire; et sa puissance religieuse est telle, que ses contemporains, devançant la postérité, le proclamèrent un des Pères de l'Église1.

Jacques-Bénigne Bossuet naquit, le 27 septembre 1627, à Dijon. Bénigne Bossuet, son père, retenu à Metz par sa charge de conseiller au parlement de cette ville, le confia aux soins de Claude Bossuet, son oncle, conseiller au parlement de Dijon. Ce fut pour l'enfant un guide éclairé et dévoué. Le jeune Bossuet, pendant le cours de ses études au collége des jésuites, montra d'abord par sa patience au travail la vigueur précoce de son génie. Ses condisciples, jouant sur son nom, disaient de lui Bos suetus aratro. A quinze ans, son cours d'études étant achevé, il vint à Paris pour étudier la théologie en Sorbonne. Il s'y distingua tellement, que les

1. « Que dirai-je de ce personnage qui a fait parler si longtemps une envieuse critique et qui l'a fait taire; qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand nombre et l'éminence de ses talents orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'Église; parlons d'avance le langage de la postérité, un Père de l'Église ? » LA BRUYÈRE, Discours de réception à l'Académie.

Etudes littéraires.

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beaux esprits de l'hôtel de Rambouillet voulurent l'entendre; et, sur un texte donné à l'improviste, après une courte préparation, il débita à la fin d'une soirée un sermon qui émerveilla ses auditeurs. Il était onze heures du soir, et l'orateur avait à peine seize ans; ce qui fit dire à Voiture, qui ne manquait jamais l'occasion de placer un bon mot, qu'il n'avait jamais entendu prêcher ni si tôt ni si tard.

Ce succès mondain et prématuré, que d'autres auraient considéré comme une dispense de travail, ne détourna pas Bossuet des études sérieuses que couronna plus tard l'épreuve du doctorat, où Bossuet eut pour témoin le prince de Condé, qui venait de vaincre à Rocroy, et pour rival le jeune abbé de Rancé, ce futur réformateur de la Trappe, qui mit entre ses fortes études et sa rigoureuse pénitence les orages de tant de passions. La jeunesse de Bossuet ne lui laissa rien à expier; elle fut entièrement consacrée à l'étude et au service de la religion. Sa science et son zèle s'exercèrent avec fruit, mais sans retentissement au dehors, pendant plusieurs années, dans les travaux apostoliques de la mission de Metz, où il triompha d'un adversaire digne de lui, du ministre Ferry, et qu'il termina par l'Exposition de la foi catholique. Ce fut alors qu'âgé de trente-deux ans il reparut à Paris pour y faire dans la prédication l'emploi de ses forces déjà éprouvées par la controverse. Pendant dix années, de 1659 à 1669, il fit entendre dans les églises de Paris et de la cour, avec un succès que la vogue de Bourdaloue a rejeté dans l'ombre, une éloquence naturelle et forte, nourrie de la science des Pères et animée par l'ardeur de la foi et la vigueur d'un génie inépuisable. Ces sermons, souvent improvisés, n'étaient point des œuvres littéraires, mais des actes du ministère évangélique. Bossuet ne prit pas la peine de les recueillir; on trouva ce qu'il en avait écrit parmi ses papiers, après sa mort. Nulle part son génie n'a plus de naturel; on l'y surprend dans sa vigueur native et dans toute la liberté de son allure: aussi les

connaisseurs les étudient-ils avec plus de curiosité et ne les admirent pas moins que ses Oraisons funèbres. Au terme de cette période, Bossuet fut nommé évêque de Condom (1669), et prononça les oraisons funèbres de Henriette de France, reine d'Angleterre, et de Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Il ne prit pas possession de son évêché : le titre d'évêque n'étail qu'un acheminement aux fonctions de précepteur du Dauphin (1670). Dans cette charge nouvelle et si importante, puisqu'il s'agissait de former un roi, Bossuet ne négligea rien, sinon de s'abaisser au niveau de l'intelligence de son royal élève. Il ne vit que l'importance de la fonction et l'élévation du but, et c'est ainsi qu'il écrivit le Traité de la connaissance de Dieu et de soimême, la Logique, le Discours sur l'Histoire universelle et la Politique tirée de l'Écriture sainte. Ces ouvrages, composés ad usum Delphini, étaient trop au-dessus de la portée du prince, qui écoutait sans entendre, qui regardait sans voir, attendant non sans impatience l'âge qui devait le délivrer d'un double joug, le génie de Bossuet et l'austère vertu de Montausier jamais élève ne fut plus inutilement docile et malheureux.

Quand l'éducation du Dauphin fut terminée (1681), Bossuet, qui était entré à l'Académie en 1671, prit possession du siége de Meaux, et il y exerça son ministère avec la simplicité et le zèle d'un apôtre. Sa parole ne manqua pas aux fidèles de la ville et des campagnes pour la prédication, ni même aux enfants pour le catéchisme. Toutefois, on le revoyait encore à la cour, où il conserva quelque temps les fonctions d'aumônier de la Dauphine. En 1682, il fut l'âme et l'oracle de la célèbre assemblée du clergé qui détermina les rapports du saintsiége et de la royauté; il rédigea les quatre articles de la déclaration qui fixe les limites longtemps indécises du pouvoir spirituel des papes et du pouvoir temporel des rois. Il reparut aussi dans la chaire pour y prononcer les oraisons funèbres de la reine Marie-Thérèse (1683), de la princesse palatine (1685), du chancelier

Michel Le Tellier (4686), et enfin du prince de Condé (1687). Pour édifier les religieuses de son diocèse, il composa les Méditations sur l'Évangile et les Élévations sur les Mystères. Puis il entreprit de confondre les Églises protestantes par le tableau de leurs dissentiments. L'Histoire des Variations (1688) présente sous une forme impartiale une série d'arguments redoutables par l'énonciation seule des faits; car, en matière de dogme, varier c'est errer, puisque la vérité est une ce livre est un des chefs-d'œuvre de Bossuet. Bientôt après il engagea une correspondance avec Leibnitz, luthérien et philosophe, pour concerter les moyens de ramener les sectes dissidentes au giron de l'Église; mais Leibnitz voulait une transaction, et Bossuet une soumission complète l'entreprise devait échouer. Enfin il ramassa toutes ses forces pour livrer un combat contre le quiétisme, doctrine commode et dangereuse, qui pouvait conduire les âmes les plus pures à un déisme mystique. Malheureusement, dans cette lutte suprême, Bossuet rencontra Fénelon, qu'on voulait rendre solidaire des excès de Molinos et des rêveries de madame Guyon. L'archevêque de Cambrai préluda par une défense vigoureuse, où il déploya toutes les ressources de l'éloquence et tout l'art de la polémique, à une soumission qui parut un triomphe. Cette magnifique controverse tint l'Église en suspens pendant plusieurs années, et fit hésiter Rome elle-même. Bossuet se reposa de cette victoire, si longtemps disputée, par les travaux paisibles de l'épiscopat; il y consacra sans partage les dernières années de sa glorieuse vie, saintement terminée le 14 avril 1704. « Il mourut, dit d'Alembert, honoré des regrets de toute l'Église, qui conservera une mémoire éternelle et chère de sa doctrine, de son éloquence et de son attachement pour elle. »

L'éloquence religieuse se personnifie dans Bossuet. Sur ce sujet, il faut entendre le plus célèbre et le plus compétent de nos maîtres, M. Villemain :

« Les philosophes de la Grèce énoncèrent, dans l'enceinte de leurs écoles, quelques grandes vérités morales, et Platon avait eu de sublimes pressentiments sur les destinées humaines; mais ces idées, mêlées d'erreurs et enveloppées de ténèbres, divulguées à voix basse depuis Socrate, ne s'adressaient pas à la foule du peuple, et dans ces gouvernements si favorables en apparence à la dignité de l'homme, on ne faisait rien pour lui apprendre ses devoirs et ses immortelles espérances. Le christianisme élevait une tribune où les plus sublimes vérités étaient annoncées hautement pour tout le monde, où les plus pures leçons de la morale étaient rendues familières à la multitude ignorante : tribune formidable, devant laquelle s'étaient humiliés les empereurs souillés du sang des peuples; tribune pacifique et tutélaire, qui plus d'une fois donna refuge à ses plus mortels ennemis; tribune où furent longtemps défendus les intérêts partout abandonnés, et qui seule plaidait éternellement la cause du pauvre contre le riche, du faible contre l'oppresseur, et de l'homme contre lui-même.

« Là tout s'ennoblit et se divinise : l'orateur, maître des esprits, qu'il élève et qu'il consterne tour à tour, peut leur montrer quelque chose de plus grand que la gloire et de plus effrayant que la mort; il peut faire descendre des cieux une éternelle espérance sur ces tombeaux où Périclès n'apportait que des regrets et des larmes. Si, comme l'orateur romain, il célèbre les guerriers de la légion de Mars tombés au champ de bataille, il donne à leurs âmes cette immortalité que Cicéron n'osait promettre qu'à leur souvenir; il charge Dieu lui-même d'acquitter la reconnaissance de la patrie. Veut-il se renfermer dans la prédication évangélique; cette science de la morale, cette expérience de l'homme, ces secrets des passions, étude éternelle des philosophes et des orateurs anciens, doivent être dans sa main. C'est lui, plus encore que l'orateur de l'antiquité, qui doit connaître tous les détours du cœur hu

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