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Mais une très-grande, je vous assure.

Quelle étrange chose! Et qui m'aurait dit cela quand je le grondai de ce qu'au lieu de travailler, il était là, battant la mesure avec son pied et faisant chanter à sa sœur tous nos vieux airs siciliens? Enfin tout cela est écrit là-haut. C'est égal, je voudrais bien le revoir avant de mourir. Est-ce que votre ami le connaît aussi, mon fils?

Certainement.

Personnellement ?

Personnellement. Mon ami est lui-même le fils d'un musicien distingué.

lui.

Appelez-le donc alors, je veux lui serrer la main aussi, à

Mais

J'appelai Jadin, qui vint. Ce fut son tour alors d'être choyé1 et caressé par le pauvre vieillard, qui voulait nous ramener chez lui et voulait passer la journée avec nous. c'était chose impossible; il allait à la campagne, et l'emploi de notre journée était arrêté. Nous lui promîmes d'aller le voir si nous repassions à Catane; puis il nous serra la main et partit. A peine eut-il fait quelques pas, qu'il me rappela. Je courus à lui.

Votre nom, me dit-il; j'ai oublié de vous demander votre

nom.

Je le lui dis, mais ce nom n'éveilla en lui aucun souvenir. Ce qu'il connaissait de son enfant même, ce n'était pas l'artiste, c'était le bon fils.

Alexandre Dumas, Alexandre Dumas, répéta-t-il deux ou trois fois. Bon, je me rappellerai3 que celui qui portait ce nom-là m'a donné de bonnes nouvelles de mon... Alexandre Dumas, adieu, adieu! Je me rappellerai votre nom; adieu!

Pauvre vieillard! je suis sûr qu'il ne l'a pas oublié, car les nouvelles que je lui donnais, c'étaient les dernières qu'il devait recevoir ! 4

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LA PRIÈRE.

Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire,
Descend avec lenteur de son char de victoire :

Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux,
Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue.
Comme une lampe d'or dans l'azur suspendue,
La lune se balance au bords de l'horizon;
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon,
Et le voile des nuits sur le monts se déplie:
C'est l'heure où la nature, un moment recueillie,'
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit,
S'élève au créateur du jour et de la nuit,
Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage,
De la création le magnifique hommage.

Voilà le sacrifice immense, universel!

L'univers est le temple, et la terre est l'autel ;

Les cieux en sont le dôme; et ces astres sans nombre,
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre,
Dans la voûte d'azur avec ordre semés,

Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés,
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore,
Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore,
Dans les plaines de l'air repliant mollement,2
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,
Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore,
Jusqu'au trône de Dieu que la nature adore.

Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts? D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers ?

1. Un moment recueillie, collected for a 3. En flocons de pourpre, in fleeces of

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Tout se tait mon cœur seul parle dans ce silence.
La voix de l'univers, c'est mon intelligence.
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant;
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête, pour l'adorer, mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de l' Eternel;
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne écoute l' harmonie,1
Ecoute aussi la voix de mon humble raison,
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.

2

Salut, principe et fin de toi-même et du monde !
Toi qui rends3 d'un regard l'immensité féconde.
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,

Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur !
Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole,
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur;
La terre, ta bonté; les astres, ta splendeur.
Tu t'es produit toi-même1 en ton brillant ouvrage !
L'univers tout entier réfléchit l' univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de toi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même, et t' y découvre encore:
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,

Se réfléchit dans l'onde, et se peint à mes yeux.

C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême !
Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime!
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour,
Qui, du foyer divin détaché pour un jour,

1. Ecoute l'harmonie, etc., hears the 3. Rends, etc., renderest immensity

harmony of the spheres

2 Salut, hail

fruitful.

4. Tu t'es produit toi-même, thou hast

produced thyself.

De désirs dévorants loin de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi!
Ce monde qui te cache est transparent pour moi;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m' approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts;
Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs,
Entr' ouvre l' horizon qu' un jour naissant colore,
Et sème sur les monts les perles de l' aurore,
Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour,'
S'entr' ouvre sur le monde et lui répand le jour;
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière,
.M' inonde de chaleur, de vie et de lumière,

Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens;
Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle, que je sens;
Et quand la nuit, guidant son cortège d' étoiles,
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul, au
sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,
Enveloppé de calme, et d'ombre et de silence,
Mon âme de plus près adore ta présence,
D'un jour intérieur3 je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.

Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence:
Partout à pleines mains prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts,
Je te vois en tous lieux conserver et produire,
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance, et sûr de ta bonté,
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.

1. Du divin séjour, etc., from the divine

abode half-opens upon the world, and spreads for it the day.

2. Cortège, retinue.

3. D'un jour intérieur, etc., I feel my.

4.

self enlightened by an interior day.

Le jour sans fin, etc., the endless day of immortality.

La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres,
Ma raison voit le jour à travers ses ténèbres;
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore,
Ou, si dans tes secrets tu le retiens encore,
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins:
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins;
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence,
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens;
Et, comme le soleil aspire1 la rosée,
Dans ton sein à jamais absorbe ma pensée!

LE PRIX DE LA VIE.

JOSEPH ouvrant la porte du salon, vint nous dire que la chaise de poste2 était prête. Ma mère et ma sœur se jetèrent dans mes bras. "Il en est temps encore, me disaient-elles, renonce à ce voyage, reste avec nous. Ma mère, je suis gentilhomme, j'ai vingt ans, il faut qu'on parle de moi dans le pays! que je fasse mon chemin, soit à l'armée, soit à la cour! Et quand tu seras partì, Bernard, que deviendrai-je ? Vous serez heureuse et fière en apprenant les succès de votre fils. Et si tu es tué dans quelque bataille? Qu'importe qu'est-ce que la vie est-ce qu'on y songe? On ne songe qu'à la gloire quand on a vingt ans et qu'on est gentilhomme. Et me voyez-vous, ma mère, revenir près de vous, dans quelques Années, colonel ou maréchal-de-camp, ou bien avec une belle charge à Versailles ?

1. Aspire, draws up.

2. Chaise de poste, the post-chaise.
3. Que deviendrai-je, what will become

of me?

4. Qu'est-ce que la vie? etc., what is

life? does one think of that?

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