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En disant ces mots, ce bon vieillard s'éloigna en versant des larmes; et les miennes avaient coulé plus d'une fois pendant ce funeste récit.

L'AUTOMNE.

SALUT, bois couronnés d' un reste de verdure!
Feuillages jaunissants sur les gazons épars!
Salut, derniers beaux jours! le deuil1 de la nature
Convient à ma douleur et plaît à mes regards.

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire;
J'aime à revoir encor3 pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés1 je trouve plus d'attraits;
C'est l'adieu d' un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ces biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,

Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau !
L'air est si parfumé! la lumière est si pure!

Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

1. Le deuil, etc., the mourning of nature 4. A ses regards voilés, in her veiled suits with my sorrow.

aspect.

2. Je suis, etc., I follow with a pensive 5. Pleurant de, etc., deploring the vanished hope of my long days.

step. 3. Encor, poetic for encore.

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel:

Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel!

Peut-être l'avenir me gardait-il encore

Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu!
Peut-être dans la foule une âme que j'ignore
Aurait compris1 mon âme et m'aurait répondu !

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyre;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux;

Moi je meurs et mon âme, au moment qu' elle expire
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

VOLTAIRE.

Il n'attaqua jamais en face, ni à visage découvert, pour ne pas mettre les lois contre lui et pour éviter le bûcher de Servet.1 Esope moderne, il attaqua sous des noms supposés la tyrannie qu'il voulait détruire. Il cacha sa haine dans le drame, dans la poésie légère, dans le roman, dans l'histoire et jusque dans les facéties. Son génie fut une perpétuelle allusion comprise de tout son siècle, mais insaisissable à ses ennemis. Il frappait en cachant la main. Mais ce combat d'un homme contre un sacerdoce, d'un individu contre une institution, d'une vie contre dix-huit siècles, ne fut pourtant pas sans courage. Il y a une incalculable puissance de conviction et de dévouement à l'idée, dans cette audace d'un seul contre tous. Braver à la fois, sans autre parti que sa raison individuelle, sans autre

1. Aurait compris, etc., might have 4. Le bûcher de Servet, the funeral-pile comprehended my spirit and re- of Servetus. Servetus was burnt sponded to me. for his religious opinions, in 1553..

2. A la vie, etc., they are her adieus to 5. Insaisissable à ses ennemis, not to be life. laid hold of by his enemies. 3. A visage découvert, without disguise. 6. Dévouement, devotedness.

appui que sa conscience, le respect humain, cette lâcheté1 de l'esprit déguisée en respect de l'erreur: affronter les haines de la terre et les anathèmes du ciel, c'est l' héroïsme de l'écrivain. Voltaire ne fut pas martyrisé dans ses membres, mais il consentit à l'être dans son nom. Il le dévoua, et pendant sa vie et après sa mort; il condamna sa propre cendre à être jetée aux vents et à n'avoir pas même l'asile d'une tombe. Il se résigna à de longs exils en échange de la liberté de combattre. Il se séquestra volontairement des hommes pour que leur pression ne gênât pas3 en lui sa pensée. A quatre-vingts ans, infirme et se sentant mourir, il fit plusieurs fois ses préparatifs à la hâte, pour aller combattre encore et expirer loin du toit de sa vieillesse. La verve intarissable de son esprit ne se glaça pas un seul moment. Il porta la gaieté jusqu' au génie, et, sous cette plaisanterie de toute sa vie, on sent une puissance sérieuse de persévérance et de conviction. Ce fut le caractère de ce grand homme. La sérénité lumineuse de sa pensée a trop caché la profondeur du dessein. Sous la plaisanterie et sous le rire on n'a pas assez reconnu la constance. Il souffrait en riant et voulait souffrir dans l'absence de sa patrie, dans ses amitiés perdues, dans sa gloire niée, dans son nom flétri,5 dans sa mémoire maudite. Il accepta tout en vue du triomphe de l'indépendance de la raison humaine. Le dévouement ne change point de valeur en changeant de cause; ce fut là sa vertu devant la postérité. Il ne fut pas la vérité, mais il fut son précurseur, et marcha devant elle. Une chose lui manqua: ce fut l'amour d'un Dieu. Il le voyait par l'esprit, il haïssait les fantômes que les âges de ténèbres avaient pris pour lui et adoraient à sa place. Ils déchirait avec colère les nuages qui empêchaient l'idée divine de rayonner pure sur les hommes, mais son culte était plutôt de la haine contre l'erreur

1. Cette lâcheté, etc., that disguised 4. La verve, etc., the inexhaustible weakness.

2. Martyrisé, made to suffer martyr

dom.

(warmth) fire of his spirit never (cooled) sank a moment.

5. Son nom flétri, his tarnished name

3. Ne gênât pas, etc., might not ob- 6. Rayonner, to shine.

struct the freedom of

4

que de la foi dans la divinité. Le sentiment religieux, ce résumé1 sublime de la pensée humaine, cette raison qui s'allume par l'enthousiasme pour monter à Dieu comme une flamme, et pour se réunir à lui dans l'unité de la création avec le créateur, du rayon avec le foyer, Voltaire ne le nourrissait pas dans son âme. De là2 les résultats de sa philosophie. Elle ne créa ni morale, ni culte, ni charité; elle ne fit que décomposer et détruire. Négation froide, corrosive et railleuse, elle agissait à la façon du poison, elle glaçait, elle tuait; elle ne vivifiait pas. Aussi ne produisit-elle pas, même contre ces erreurs, qui n'étaient que l'alliage humain d'une pensée divine, tout l'effet qu'elle devait produire. Elle fit des sceptiques au lieu de faire des croyants. La réaction théocratique fut prompte et générale. Il en devait être ainsi. L'impiété vide l'âme de ses erreurs sacrées, mais elle ne remplit pas le cœur de l'homme. Jamais l'impiété seule ne ruinera un culte humain. Il faut une foi pour remplacer une foi. Il n'est pas donné à l'irréligion de détruire une religion sur la terre. Il n'y a qu'une religion plus lumineuse qui puisse véritablement triompher d'une religion altérée d'ombre en la remplaçant. La terre ne peut pas rester sans autel, et Dieu seul est assez fort contre Dieu.

UNE LUTTE AU BORD D'UN PRÉCIPICE.

Je ne saurais vous dire à quel point était lamentable cet accent de terreur et de souffrance! J'oubliai tout. Ce n'était plus un ennemi, un traître, un assassin, c'était un malheureux qu'un léger effort de ma part pouvait arracher à une mort affreuse. Il m' implorait si pitoyablement ! Toute parole, tout

1. Résumé, summary.

2. De ld, etc., hence the results.
3. Elle ne fit que, it served only.
4. Froide, etc., cold, corrosive, and scoff-
ing, it acted in the manner of poison.

5. L'alliage humain, the human alloy

age.

6. Je ne saurais, etc., I cannot tell you how lamentable.

reproche eût été inutile et ridicule; le besoin d'aide paraissait urgent. Je me baissai, et m'agenouillant' le long du bord, l'une de mes mains appuyée sur le tronc de l'arbre dont la racine soutenait l'infortuné Habibrah, je lui tendis l'autre. . . . Dès qu'elle fut à sa portée,2 il la saisit de ses deux mains avec une force prodigieuse, et, loin de se prêter au mouvement d'ascension que je voulais lui donner, je le sentis qui cherchait à m'entraîner avec lui dans l'abîme. Si le tronc de l'arbre ne m'eût pas prêté un aussi solide appui, j'aurais été infailliblement arraché du bord, par la secousse violente et inattendue que me donna le misérable.

Scélérat! m' écriai-je, que fais-tu ?

Je me venge! répondit-il avec un rire éclatant et infernal. Ah! je te tiens enfin. Imbécile! tu t'es livré toi-même !3 Je te tiens! Tu étais sauvé, j'étais perdu, et c'est toi qui rentres volontairement dans la gueule du caïman,* parce qu'elle a gémi après avoir rugi! Me voilà consolé, puisque ma mort est une vengeance! Tu es pris au piège, et j'aurai un compagnon humain chez les poissons du lac.

Ah, traître disais-je en me raidissant, voilà comme tu me récompenses d'avoir voulu te tirer du péril!

Oui, reprenait-il, je sais que j'aurais pu me sauver avec toi, mais j'aime mieux que tu périsses avec moi; j'aime mieux ta mort que ma vie ! Viens!

En même temps ses deux mains bronzées et calleuses se crispaient sur la mienne avec des efforts inouis; ses yeux flamboyaient, sa bouche écumait; ses forces, dont il déplorait si douloureusement l'abandon un moment auparavant, lui étaient revenues, exaltées par la rage et la vengeance; ses pieds s' appuyaient ainsi que deux leviers aux parois perpendiculaires du rocher, et il bondissait comme un tigre sur la racine qui mêlée à ses vêtements, le soutenait malgré lui; car il eût voulu la briser afin de peser de tout son poids sur moi et de m'en

1. M'agenouillant le long, etc., kneel- 3. Tu t'es livré toi-même, thou hast de ing down by the edge.

2. A la portée, within reach.

livered thyself.

4. Du caïman, of the cayman.

5. Parois, surface.

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