Page images
PDF
EPUB

vanité ne nous flatte souvent de pouvoir parvenir à des connoissances qui ne sont pas faites pour nous, il est dangereux que notre paresse ne nous flatte aussi quelquefois d'être condamnés à une plus grande ignorance que nous ne le sommes effectivement. Il est permis de compter que les sciences ne font

que de naître, soit parce que chez les anciens elles ne pouvoient être encore qu'assez imparfaites, soit parce que nous en avons presque entièrement perdu les traces pendant les longues ténèbres de la barbarie, soit parce qu'on ne s'est mis sur les bonnes voies que depuis environ un siècle. Si l'on examinoit historiquement le chemin qu'elles ont déjà fait dans un si petit espace de temps, malgré les faux préjugés qu'elles ont eus à combattre de toutes parts, et qui leur ont long-temps résisté, quelquefois même malgré les obstacles étrangers de l'autorité et de la puissance, malgré le peu d'ardeur que l'on a eu pour des connoissances éloignées de l'usage commun, malgré le petit nombre de personnes qui se sont dévouées à ce travail, malgré la foiblesse des motifs qui les y ont engagées, on seroit étonné de la grandeur et de la rapidité du progrès des sciences;

on en verroit nême de toutes nouvelles sortir du néant, et peut-être laisseroit-on aller trop loin ses espérances pour l'avenir.

[ocr errors]

Plus nous avons lieu de nous promettre qu'il sera heureux, plus nous sommes obligés à ne regarder

présentement les sciences que comme étant au berceau, du moins la physique. Aussi l'académie n'en est-elle encore qu'à faire une ample provision d'observations et de faits bien avérés, qui pourront être un jour les fondemens d'un systême; car il faut que la physique systématique attende à élever des édifices, que la physique expérimentale soit en état de lui fournir les matériaux nécessaires.

Pour cet amas de matériaux, il n'y a que des compagnies protégées par le prince, qui puissent réussir à le faire et à le préparer. Ni les lumières, ni les soins, ni la vie, ni les facultés d'un particulier n'y suffiroient. Il faut un trop grand nombre d'expériences, il en faut de trop d'espèces différentes, il faut trop répéter les mêmes, il les faut varier de de manières, il faut les suivre trop long-temps avec un même esprit. La cause du moindre effet est presque toujours enveloppée sous tant de plis et de teplis, qu'à moins qu'on ne les ait tous démêlés avec un extrême soin, on ne doit pas prétendre qu'elle

trop

vienne à se manifester.

Jusqu'à présent l'académie des sciences ne prend la nature que par petites parcelles. Nul systême général, de peur de tomber dans l'inconvénient des systèmes précipités, dont l'impatience de l'esprit humain ne s'accommode que trop bien, et qui étant une fois établis, s'opposent aux vérités qui surviennent. Aujourd'hui on s'assure d'un fait, demain

d'un autre qui n'y a nul rapport. On ne laisse pas de hasarder des conjectures sur les causes, mais ce sont des conjectures. Ainsi les recueils que l'académie présente tous les ans au public, ne sont composés de morceaux détachés, et indépendans les uns des autres, dont chaque particulier qui en est l'auteur, garantit les faits et les expériences, et dont l'académie n'approuve les raisonnemens qu'avec toutes les restrictions d'un sage pyrrhonisme.

que

Le temps viendra peut-être que l'on joindra en un corps régulier ces membres épars; et s'ils sont tels qu'on le souhaite, ils s'assembleront en quelque sorte d'eux-mêmes. Plusieurs vérités séparées, dès qu'elles sont en assez grand nombre, offrent si vivement à l'esprit leurs rapports et leur mutuelle dépen dance, qu'il semble qu'après avoir été détachées par une espèce de violence les unes d'avec les autres, elles cherchent naturellement à se réunir.

*

[graphic]
[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

L'ACADÉMIE royale des sciences, établie en

1666, avoit si bien répondu par ses travaux et par ses découvertes aux intentions du roi, que plusieurs années après son établissement, sa majesté voulut bien l'honorer d'une attention toute nouvelle, et lui donner une seconde naissance encore plus noble, et pour ainsi dire plus forte que la première.

Cette académie avoit été formée, à la vérité, par les ordres du roi, mais sans aucun acte émané de l'autorité royale. L'amour des sciences en faisoit presque seul toutes les loix; mais quoique le succès eût été heureux, il est certain que pour rendre cette compagnie durable et aussi utile qu'elle le pouvoit être, il falloit des règles plus précises et plus sévères.

C'est ainsi qu'en jugea le roi, lorsqu'après la guerre terminée par le traité de Riswick, il tourna particulièrement les yeux sur le dedans de son royaume, pour y répandre de ses propres mains, et selon les vues de sa sagesse, les fruits de la paix.

L'Académie des sciences ne lui parut pas un objet indigne de ses regards. Ses faveurs pour elle, non interrompues pendant les plus grands besoins de l'état, avoient empêché les sciences de s'appercevoir parmi nous du trouble qui agitoit toute l'europe. Il crut cependant n'avoir pas assez fait, parce qu'il pouvoit faire encore plus; et il conçut que ce qui n'avoit pas été endommagé par une si cruelle tempête, devoit s'accroître et se fortifier dans le calme.

Il chargea de Pontchartrain, alors ministre et secrétaire d'état, et depuis chancelier de France, de donner à l'Académie des sciences la forme la plus propre à en tirer toute l'utilité qu'on s'en pou voit promettre.

De Pontchartrain, qui, en qualité de secrétaire d'état ayant le département de la maison du roi, étoit chargé du soin des académies, avoit établi chef de cette compagnie, depuis quelques années, l'abbé Bignon son neveu, et par-là il avoit fait aux sciences une des plus grandes faveurs qu'elles aient jamais reçues d'un ministre.

« PreviousContinue »