Page images
PDF
EPUB

des vérités dispersées qui ne se tiennent point, et on les prouve chacune à part comme l'on peut, et presque toujours avec beaucoup d'embarras. Mais quand un certain nombre de ces vérités désunies ont été trouvées, on voit en quoi elles s'accordent, et les principes généraux commencent à se montrer, non pas encore les plus généraux ou les premiers; il faut encore un plus grand nombre de vérités pour les forcer à paroître. Plusieurs petites branches que l'on tient d'abord séparément, mènent à la grosse branche qui les produit ; et plusieurs grosses bran ches mènent enfin au tronc. Une des grandes difficultés que j'aie éprouvées dans la composition de cet ouvrage, a été de saisir le tronc, et plusieurs grosses branches m'ont paru l'être qui ne l'étoient pas. Je ne suis pas sûr de ne m'y être pas encore trompé : mais enfin quand j'ai eu pris l'infini pour le tronc, il ne m'a plus été possible d'en trouver d'autre, et je l'ai vu distribuer de toutes parts, et répandre ses rameaux avec une régularité et une symmétrie qui n'a pas peu servi à ma persuasion particulière.

Un avantage d'avoir saisi les premiers principes, seroit que l'ordre se mettroit par-tout presque de lui-même; cet ordre qui embellit tout, qui fortifie les vérités par leur liaison, que ceux à qui on parle ont droit d'exiger, et qu'on ne peut leur refuser sans une espèce d'injustice, sur-tout si an sacrifie

leur commodité à la gloire de paroître plus profond. De plus, les démonstrations qui ne sont pas tirées des premiers principes, ne vont guères au but que par de longs et fatigans circuits. On ne sait presque plus d'où l'on est parti, on ne sait par où l'on a passé. Mais si on a pu remonter à la vraie nature des choses, les démonstrations en naissent presque immédiatement et en foule; il arrive rarement qu'il y ait bien loin des conclusions aux principes, et que l'on ne puisse pas embrasser d'un coup d'œil tout le chemin qu'on a fait. Enfin, ce qui n'est pas pris dans ces premières sources, manque assez souvent d'une certaine clarté. On se sert des rayons des développées pour mesurer la courbure des courbes : mais parce que ces rayons ne sont qu'un indice de la courbure, et non pas ce qui la fait, quand on trouve une courbure infinie, on ne peut en prendre selon cette théorie aucune idée nette. Le vrai est simple et clair; et quand notre manière d'y arriver est embarassée et obscure, on peut dire qu'elle mène au vrai, et n'est pas vraie.

[ocr errors]

Le calcul n'est guère, en géométrie, que ce qu'est l'expérience en physique ; et toutes les vérités produités seulement par le calcul, on les pourroit traiter de vérités d'expérience. Les sciences doivent aller jusqu'aux premières causes, sur-tout la géométrie, où l'on ne peut soupçonner, comme dans

la

la physique, des principes qui nous soient inconnus. Car il n'y a dans la géométrie, pour ainsi dire, que ce que nous y avons mis; ce ne sont que les idées les plus claires que l'esprit humain puisse former sur la grandeur, comparées ensemble, et combinées d'une infinité de façons différentes : au lieu que nature pourroit bien avoir employé dans la structure de l'univers quelque méchanique qui nous échappe absolument. Que si cependant la géométrie a toujours quelque obscurité essentielle qu'on ne puisse dissiper, et ce sera uniquement, à ce que je crois, du côté de l'infini, c'est que de ce côté là la géométrie tient à la physique, à la nature intime des corps que nous connoissons peu, et peut-être aussi à une métaphysique trop élevée, dont il ne nous est permis que d'appercevoir quelques rayons.

Si l'on fait l'honneur à ce livre de l'attaquer, et que ce soit par des endroits qui me sont communs avec les géomètres partisans de l'infini, je me reposerai de ma défense sur leur autorité, et ne me mêlerai point de soutenir leur sentiment qu'ils soutiendroient mieux que moi. Si on m'attaque par des endroits qui me soient particuliers, je demande en grace qu'on ne les ait point jugés du premier coup-d'œil, qu'on ne les prenne qu'accompagnés de tout ce qui les appuye ou les favorise; en un mot, qu'on rompe absolument la liaison qu'ils m'ont

D 4

paru avoir avec les principes reçus; et je reconnoîtrai mon erreur, sans chercher de vains subterfuges. J'en dis autant de toute autre espèce de fautes où je serai tombé sans m'en appercevoir : ce qui n'est que trop possible dans un assez grand ouvrage, que j'ai toujours craint qui ne fût au-dessus de mes forces, et que j'ai supprimé long-temps par cette raison.

57

DISCOURS

[ocr errors]

Prononcé par FONTENELLE, à l'Académie des sciences dans l'assemblée publique d'après pâques 1735, sur le voyage de quelques académiciens au Pérou (*).

L'ACADÉMI

ACADÉMIE croit que le public sera bien aise d'apprendre qu'après qu'elle a fait la description. de la méridienne de Paris, dans toute l'étendue du royaume, depuis son extrémité septentrionale jusqu'à sa méridionale, et ensuite la description de la perpendiculaire à cette méridienne, pareillement dans toute l'étendue du royaume, de l'orient à l'occident, deux travaux pénibles et importans, elle vient d'entreprendre un nouveau travail du même genre, sans comparaison plus pénible, et si important qu'on ne peut s'en passer, si l'on veut rendre les deux autres aussi parfaitement utiles qu'ils le peuvent être; c'est la description actuelle de quelques degrés terrestres pris sous l'équateur, ou, si les difficultés sont invincibles, celle d'une portion de méridienne qui parte de l'équateur ou de quelque lieu fort proche. Par-là on connoîtra avec plus de certitude l'inégalité des degrés terrestres, si elle est croissante ou décroissante de l'équateur vers les poles: la célèbre question de la figure de la terre,

(*) Ce discours ne se trouve point dans le volume de l'histoire de l'académie de 1735.

« PreviousContinue »