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à avancer beaucoup un travail, mais fort mal-saine. Aussi croit-on qu'elle lui attira une fluxion sur la jambe droite, avec un ulcère ouvert. Il y voulut remédier à sa manière, car il consultoit peu les médecins; il vint à ne pouvoir presque plus marcher, ni quitter le lit.

Il faisoit des extraits de tout ce qu'il lisoit, et y ajoutoit ses réflexions, après quoi il mettoit tout cela à part, et ne le regardoit plus. Sa mémoire, qui étoit admirable, ne se déchargeoit point, comme à l'ordinaire, des choses qui étoient écrites; mais seulement l'écriture avoit été nécessaire pour les y graver à jamais. Il étoit toujours prêt à répondre sur toutes sortes de matières, et le Roi d'Angleterre l'appeloit son dictionnaire vivant.

Il s'entretenoit volontiers avec toutes sortes de personnes, gens de cour, artisans, laboureurs, soldats. Il n'y a guère d'ignorant qui ne puisse apprendre quelque chose au plus savant homme du monde ; et en tout cas le savant s'instruit encore, quand il sait bien considérer l'ignorant. Il s'entretenoit même souvent avec les dames, et ne comptoit point pour perdu le temps qu'il donnoit à leur conversation. Il se dépouilloit parfaitement avec elles du caractère de savant et de philosophe; caractères cependant presque indélébiles, et dont elles apperçoivent bien finement et avec bien du dégoût les traces les plus légères.

503 Cette facilité de se communiquer le faisoit aimer de tout le monde. Un savant illustre qui est populaire et familier, c'est presque un prince qui le seroit aussi le prince a pourtant beaucoup d'a

vantage.

Leibnitz avoit un commerce de lettres prodi gieux. Il se plaisoit à entrer dans les travaux ou dans les projets de tous les savans de l'Europe; il leur fournissoit des vues; il les animoit, et certainement il prêchoit d'exemple. On étoit sûr d'une réponse dès qu'on lui écrivoit, ne se fût-on prol'honneur de lui écrire. Il est impossible que ses lettres ne lui aient emporté un temps trèsconsidérable : mais il aimoit autant l'employer au profit ou à la gloire d'autrui, qu'à son profit ou à sa gloire particulière.

posé que

Il étoit toujours d'une humeur gaie, et à quoi serviroit sans cela d'être philosophe? on l'a vu fort affligé à la mort du feu Roi de Prusse et de l'électrice Sophie. La douleur d'un tel homme est la plus belle oraison funèbre.

Il se mettoit aisément en colère, mais il en revenoit aussi-tôt. Ses premiers mouvemens n'étoient pas d'aimer la contradiction sur quoi que ce fût, mais il ne falloit qu'attendre les seconds; et en effet ses seconds mouvemens, qui sont les seuls dont il reste des marques, lui feront éternellement

honneur,

On l'accuse de n'avoir été qu'un grand et rigide observateur du droit naturel. Ses pasteurs lui en ont fait des réprimandes publiques et inutiles.

On l'accuse aussi d'avoir aimé l'argent. Il avoit un revenu très-considérable en pensions du duć de Volfembutel, du Roi d'Angleterre, de l'Empereur, du Czar, et vivoit toujours assez grossièrement. Mais un philosophe ne peut guère, quoiqu'il devienne riche, se tourner à des dépenses inutiles et fastueuses qu'il méprise. De plus, Leibnitz laissoit aller le détail de sa maison comme il plaisoit à ses domestiques, et il dépensoit beaucoup en négligence. Cependant la recette étoit toujours la plus forte; et on lui trouva après sa mort une grosse somme d'argent comptant qu'il avoit cachée. C'étoient deux années de son revenu. Ce trésor lui avoit causé pendant sa vie de grandes inquiétudes qu'il avoit confiées à un ami, mais il fut encore plus funeste à la femme de son seul héritier, fils de sa sœur, qui étoit curé d'une paroisse près de Léipsic. Cette femme, en voyant tant d'argent ensemble qui lui appartenoit, fut si saisie de joie, qu'elle en mourut subitement.

Eckard promet une vie plus complette de Leibnitz: c'est aux mémoires qu'il a eu la bonté de me fournir qu'on en doit déjà cette ébauche.. Il rassemblera en un volume toutes les pièces imprimées de ce grand homme, éparses en une in

finité d'endroits, de quelque espèce qu'elles soient. Ce sera-là, pour ainsi dire, une résurrection d'un corps dont les membres étoient extrêmement dispersés; et le tout prendra une nouvelle vie par cette réunion. De plus, Eckard donnera toutes les œuvres posthumes qui sont achevées, et des Leibnitiana, qui ne seront pas la partie du recueil la moins curieuse. Enfin il continuera l'histoire de Brunswick, dont Leibnitz n'a fait que ce qui est depuis le commencement du règne de Charlemagne jusqu'à l'an 1005. C'est prolonger la vie des grands hommes, que de poursuivre dignement leurs entreprises.

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ÉLOGE

DE OZANA M.

JACQUES OZANAM naquit en 1640 dans la sou

veraineté de Dombes d'un père riche, et qui avoit plusieurs terres. Sa famille étoit d'origine Juive; ce que marque assez le nom qui a tout-à-fait l'air hébreu mais il y avoit long-temps que cette tache, peut-être moins réelle qu'on ne pense, étoit effacée par la profession du christianisme et de la religion catholique. Cette famille étoit illustrée par plusieurs charges qu'elle avoit possédées dans des parlemens de provinces.

Ozanam étoit cadet; et par la loi de son pays tous les biens devoient appartenir à l'aîné. Son père, qui étoit un homme vertueux, voulut réparer ce désavantage par une excellente éducation. Il le destinoit à l'église, pour lui faire tomber quelques petits bénéfices qui dépendoient de la famille. Les mœurs du jeune homme étoient bien éloignées de s'opposer à cette destination : elles se portoient naturellement à tout ce qui seroit à desirer dans un ecclésiastique; et une mère trèspieuse les fortifioit encore, et par son exemple et par ses soins, d'autant plus puissans, qu'elle étoit tendrement aimée de ce fils. Cependant il

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