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celui de Trévoux, dans le mercure. Il ne pouvoit se contenir dans ses rives. A la fin d'une arithmé tique théori-pratique qu'il publia en 1714, il a donné un catalogue de ces sortes d'ouvrages extravasés, pour ainsi dire ; et il y a lieu d'être surpris et du nombre et de la diversité. Ce grand nombre et cette grande diversité doivent toujours faire à l'auteur un mérite, et dans le besoin une excuse.

Il mourut de la petite vérole le 29 septembre 1719 âgé seulement de 50 ans, et sa mort fut celle d'un parfait philosophe chrétien. Parmi ses papiers, qui sont en assez grande quantité, et dont plusieurs sont des traités complets, on en a trouvé d'une espèce rare dans de pareils inventaires, des écrits de dévotion, la vie de ce grand oncle à qui il devoit tant, les preuves de la divinité de J. C. en quatre parties. Il a laissé de la Faye capitaine aux gardes, et académicien, son exécuteur testamentaire, c'est-à-dire maître de ses papiers.

Il avoit un grand fonds de bonté, sans avoir l'agréable superficie. Ce fonds étoit encore cultivé par une piété solide et austère, conforme ou à l'esprit géométrique, ou au sien. Dans une fortune très-étroite, il faisoit beaucoup de charités. Quoiqu'il eût un extrême besoin de son temps, il le sacrifioit généreusement à ceux de ses écoliers qui souhaitoient qu'il les promenât dans Paris pour voir des curiosités de sciences, sur-tout aux étrangers,

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parce qu'il s'intéressoit à la gloire de son pays. Quelques Maîtres de mathématiques venoient prendre de lui des leçons dont ils trafiquoient aussi-tôt. Un jour, et un seul jour de sa vie, il a fait cette confidence à une personne à qui il ne cachoit rien; mais il ne nomma pas ces prétendus maîtres. Il n'est sorti du rang d'élève qu'il avoit dans cette académie, que par le nouveau réglement de 1716, qui a aboli un titre trop inégal. Comme ces différens titres ne donnent pas ici beaucoup de distinction, et qu'apparemment il faisoit peu de cas de ces distinctions, quelles qu'elles puissent être, il ne parut jamais touché de l'ambition de monter à une autre place, et il consentit sans peine que l'académie jouît long-temps de l'honneur d'avoir un pareil élève.

Tome VI.

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Cette lecture universelle et très-assidue, jointe à un grand génie naturel, le fit devenir tout ce qu'il avoit lu. Pareil en quelque sorte aux anciens qui avoient l'adresse de mener jusqu'à huit chevaux attelés de front, il mena de front, toutes les sciences. Ainsi nous sommes obligés de le partager ici, et, pour parler philosophiquement, de le décomposer. De plusieurs hercules l'antiquité n'en a fait qu'un et du seul Leibnitz nous ferons plusieurs savans. Encore une raison qui nous détermine à ne pas suivre comme de coutume l'ordre chronologique,' c'est que dans les mêmes années il paroissoit de lui des écrits sur différentes matières; et ce mêlange presque perpétuel qui ne produisoit nulle confusion dans ses idées, ces passages brusques et fréquens d'un sujet à un autre tout opposé qui ne l'embarassoient pas, mettroient de la confusion et de l'embarras dans cette histoire.

Leibnitz avoit du goût et du talent pour la poésie. Il savoit les bons poëtes par cœur, et dans sa vieillesse même il auroit encore récité Virgile presque tout entier mot pour mot. Il avoit une fois composé en un jour un ouvrage de trois cent vers latins sans se permettre une seule elision; jeu d'esprit, mais jeu difficile. Lorsqu'en 1679 il perdit le duc Jean-Frédéric de Brunswick, son protecteur. il fit sur sa mort un poëme latin, qui est son chefd'œuvre, et qui mérite d'être compté parmi les

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plus beaux d'entre les modernes. Il ne croyoit pas; comme la plupart de ceux qui ont travaillé dans ce genre, qu'à cause qu'on sait des vers en latin, on est en droit de ne point penser et de ne rien dire, si ce n'est peut-être ce que les anciens ont dit. Sa poésie est pleine de choses; ce qu'il dit lui appartient il a la force de Lucain, mais de Lucain qui ne fait pas trop d'effort. Un morceau remarquable de ce poëme est celui où il parle du phosphore dont Brandt étoit l'inventeur. Le duc de Brunswick, excité par Leibnitz, avoit fait venir Brandt à sa cour pour jouir du phosphore; et le poëte chante cette merveille jusques-là inouie. Ce feu inconnu à la nature même, qu'un nouveau Vulcain avoit allumé dans un antre savant, que T'eau conservoit et empêchoit de se rejoindre à la sphère du feu de sa patrie, qui, enseveli sous dissimuloit son être, et sortoit lumineux et brillant de ce tombeau, image de l'ame immortelle et heureuse, &c. Tout ce que la fable, tout ce que l'histoire sainte ou profane peuvent fournir qui ait rapport au phosphore, tout est employé; le larcin de Promethée, la robe de Médée, le visage lumineux de Moïse, le feu de Jérémie enfoui quand les juifs furent emmenés en captivité, les vestales, les lampes sépulchrales, le combat des prêtres égyptiens et perses; et quoiqu'il semble qu'en voilà beaucoup, tout cela n'est point entassé : un ordre

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