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diquent tout ce qu'il leur plaira, me contentant de ce qu'ils voudront bien me laisser.

C'est encore une justice due au savant Newton, et que Leibnitz lui a rendue lui-même, qu'il avoit aussi trouvé quelque chose de semblable au calcul différenciel, comme il paroît par l'excellent livre intitulé: Philosophie naturalis principia mathematica, qu'il nous donna en 1687, lequel est presque tout de ce calcul. Mais la caractéristique de Leibnitz rend le sien beaucoup plus facile et plus expéditif, outre qu'elle est d'un secours merveilleux en bien des rencontres.

Comme l'on imprimoit la dernière feuille de ce traité, le livre de Nieuwentiit m'est tombé entre les mains. Son titre, analysis Infinitorum, m'a donné la curiosité de le parcourir ; mais j'ai trouvé qu'il étoit fort différent de celui-ci : car, outre que cet auteur ne se sert point de la caractéristique de Leibnitz, il rejette absolument les différences secondes, troisièmes, &c. Comme j'ai bâti la meilleure partie de cet ouvrage sur ce fondement, je me croirois obligé de répondre à ses objections, et de faire voir combien elles sont peu solides, si Leibnitz n'y avoit déjà pleinement satisfait dans les actes de Leipsick. D'ailleurs les deux demandes ou suppositions que j'ai faites au commencement de ce traité, et sur lesquelles seules il est appuyé, me

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paroissent si évidentes, que je ne crois pas qu'elles puissent laisser aucun doute dans l'esprit des lecteurs attentifs. Je les aurois même pu démontrer facilement à la manière des anciens, si je ne me fusse proposé d'être court sur les choses qui sont déjà connues, et de m'attacher principalement à celles qui sont nouvelles.

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DES ÉLÉMENS

DE LA GÉOMÉTRIE

DE L'INFINI

LES

Es premiers géomètres n'avoient encore fait très-peu que de chemin, lorsqu'ils s'apperçurent que le côté d'un quarré et sa diagonale étoient incommensurables, c'est-à-dire, que quelque grandeur que l'on pût prendre pour être la mesure exacte de l'une de ces deux lignes, elle ne pouvoit jamais être la mesure exacte de l'autre. De-là naissoient les nombres incommensurables ou irrationels, qui se trouvoient en une quantité sans comparaison plus grande que les nombres rationels et ordinaires; et parce qu'on voyoit bien qu'ils étoient d'une nature particulière, mais absolument inconnue, les anciens les évitoient avec beaucoup d'art dans la solution des problêmes, et ne les y admettoient point. Cependant on les reçoit aujourd'hui sans difficulté, et les solutions qu'ils fournissent sont parfaitement légitimes. Ce n'est pas qu'on les

connoisse mieux: mais on s'est familiarisé avec eux à force d'en rencontrer; ils ont vaincu par leur foule, et par leur opiniâtreté à se présenter presque par-tout.

Je crois avoir prouvé dans ce livre, que les nombres irrationels ne le sont que parce que l'infini entre nécessairement dans leur nature; mais comme la manière dont il y entre n'est nullement apparente, et qu'elle n'avoit point été apperçue, c'étoit l'infini que l'on rencontroit dès la naissance de la géométrie, si déguisé et si enveloppé, qu'on n'en avoit aucun soupçon.

par

Les anciens ont vu que dans l'angle de continformé la circonférence d'un cercle, et gence, par sa tangente, il ne pouvoit passer aucune ligne droite qui le divisât. C'est-là un angle infiniment petit, et l'infini commence à s'y découvrir un peu, au lieu qu'il ne se découvroit nullement dans les incommensurables. Aussi l'angle de contingence étoit une merveille incompréhensible, et l'on n'eût pas pu expliquer comment aucune ligne droite n'y pouvant passer, il y passoit tant de circonférences circulaires qu'on vouloit, toujours plus grandes que la première. Archimède n'a trouvé le rapport approché du diamètre du cercle à la circonférence qu'en prenant l'idée du cercle confondu avec un poligone d'une infinité de côtés, et ce rare génie perçoit déjà dans l'abíme de l'infini,

En dernier lieu, les anciens sont venus à connoître l'hyperbole et ses asymptotes, c'est-à-dire, des lignes qui, prolongées à l'infini, et s'approchant toujours l'une de l'autre, ne peuvent jamais se rencontrer, et de plus des espaces actuellement infinis, Voilà l'infini plus déclaré, à mesure que la géométrie avançoit davantage, et le voilà accompagné de nouvelles merveilles.

On en demeura là, ou plutôt on vint à oublier et à ignorer tout pendant la longue barbarie qui régna en Europe. Au renouvellement des sciences, ceux qui eurent le courage de vouloir être géomè tres, étudièrent les géomètres grecs qui restoient, les traductions qu'on en fit, les commentaires. C'étoit être assez habile que de les entendre et de les suivre, embarrassés et épineux comme ils sont, et l'on ne crut pas d'abord qu'il fût possible d'aller par d'autres routes, et moins encore d'aller plus loin.

Un

peu de préjugé ne pouvoit manquer de se mêler au respect légitime qu'on leur devoit. Ce qu'ils avoient admis de l'infini, on n'eut pas de peine à l'admettre présenté par les maîtres; mais on l'admettoit en quelque manière par force, parce qu'on y étoit conduit par des guides révérés, aussi bien que par la suite nécessaire des démonstrations; et quand on y étoit arrivé, on s'arrêtoit avec une espèce d'effroi et de sainte horreur. On n'eût pas eu l'audace de faire un pas de plus. On regrettoit

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