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Quand on achevoit l'impression de ce livre, il reçut l'histoire de l'académie de 1702. Il trouva un sentiment de Homberg tout opposé au sien, que les figures constantes des sels acides dans leurs crystallisations ne viennent pas des premières particules qui les composent, mais des alkalis avec lesquels ils sont unis. Il avoue qu'il eut peur que l'autorité d'un si grand chymiste ne fût seule suffisante pour renverser tout son systême; et il se hâta de le mettre

couvert par une réponse qui, pour être fort honnête et polie, ne perd rien de sa force, et peut-être en a davantage.

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-Il fit encore deux ouvrages de physique; l'un intitulé: exercitatio de idearum vitiis, correctione et ad statuendam et inquirendam morborum naturam, en 1707; et l'autre, de principio sulphureo en 1710: et ce qui est fort glorieux pour lui, la date de ce dernier ouvrage est celle de sa mort. Sa vie entière a été dévouée aux sciences. Ceux qui les aiment avec moins d'emportement pourroient lui reprocher ses excès, qui à la vérité ruinèrent en lui un tempérament très-robuste, mais qui cependant ne peuvent être blâmés qu'avec respect. Il avoit cet extérieur que le cabinet donne ordinairement, quelque chose d'un peu rude et d'un peu sauvage, da moins pour ceux à qui il n'étoit pas accoutumé. Il méprisoit, dit le journal des savans d'Italie, cette politesse superficielle dont le monde se contente, et s'en étoit fait un autre qui étoit toute dans son cœur.

DE CARRÉ.

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LOUIS OUIS CARRÉ naquit le 26 juillet 1663 d'un bon laboureur de Clofontaine, près de Nangis, en Brie. Son père le fit étudier pour être prêtre; mais il ne s'y sentit point appelé. Il fit cependant par obéissance trois années de théologie, au bout desquelles, comme il refusoit toujours d'entrer dans les ordres, son père cessa de lui fournir ce qui lui étoit nécessaire pour subsister à Paris. Assez souvent on se fait ecclésiastique pour se sauver de l'indigence: il aima mieux tomber dans l'indigence que de se faire ecclésiastique. On pourra juger par le reste de sa vie, que l'extrême opposition qu'il avoit pour cet état n'étoit fondée que sur ce qu'il en connoissoit trop bien les devoirs. La même cause qui l'en éloignoit l'en rendoit digne.

Sa mauvaise fortune produisit un grand bien. Il cherchoit un asyle, et il en trouva un chez le P. Mallebranche, qui le prit pour écrire sous lui. De la ténébreuse philosophie scholastique, il fut toutd'un-coup transporté à la source d'une philosophie lumineuse et brillante; là il vit tout changer de face, et un nouvel univers lui fut dévoilé. Il ap

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prit sous un grand maître les mathématiques et la
plus sublime métaphysique; et en même temps il
prit pour lui un tendre attachement qui fait l'éloge
et du maître et du disciple. Carré se dépouilla si
bien des préjugés ordinaires, et se pénétra à tel
point des principes qui lui furent enseignés, qu'il
sembloit ne plus voir
plus voir par ses yeux, mais
par sa
raison seule; elle prit chez lui la place et toute
l'autorité des sens. Par exemple, il ne croyoit point
que les bêtes fussent de pures machines, comme
on le peut croire par un effort de raisonnement,
et par la liaison d'un systême qui conduit là; il le
croyoit comme on croit communément le contraire,
parce qu'on le voit, ou qu'on pense le voir.

La persuasion artificielle de la philosophie, quoique formée lentement par de longs circuits, égaloit en lui la persuasion la plus naturelle, et causée par les impressions les plus promptes et les plus vives. Ce qu'il croyoit il le voyoit, au lieu que les autres croient ce qu'ils voient.

Cependant il est encore infiniment plus facile d'être intimément persuadé des opinions de théorie les plus contraires aux apparences, que d'être sincèrement et tranquillement au-dessus des passions. Carré, qui ne savoit pas abandonner ses principes à moitié chemin, étoit allé jusques-là ; et y avoit été d'autant plus obligé, que le systême qu'il suivoit avec tant de goût, est une union perpétuelle de la

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philosophie et du christianisme. Sa métaphysique lui faisoit mépriser les causes occasionnelles des plaisirs, et l'attachoit à leur seule cause efficace : l'amour de l'ordre imprimoit la justice dans le fond de son cœur, et lui rendoit tous ses devoirs délicieux. En un mot, la philosophie n'étoit point en lui une teinture légère, ni une décoration superficielle; c'étoit un sentiment profond, et une seconde nature difficile à distinguer d'avec la première.

Après avoir été sept ans dans l'excellente école où il avoit tant appris, le besoin de se faire quelque sorte d'établissement et quelque fonds pour sa subsistance, l'obligea d'en sortir, et d'aller montrer en ville les mathématiques et la philosophie, mais sur-tout cette philosophie dont il étoit plein. Le rapport qu'elle a aux mœurs et à la vraie félicité de l'homme, la lui rendoit infiniment plus estimable que toute la géométrie du monde. Il tâchoit même de faire en sorte que toute la géométrie ne fût qu'un degré pour passer à sa chère métaphysique; c'étoit elle qu'il avoit toujours en vue, et sa plus grande joie étoit de lui faire quelque nouvelle conquête. Son zèle et ses soins eurent beaucoup de succès; il ne manquoit point les gens qu'il entreprenoit, à moins que ce ne fussent des philosophes endurcis dans d'autres systêmes.

Je ne sais par quelle destinée particulière il eut beaucoup de femmes pour disciples. La première de

toutes qui s'apperçut bien vite qu'il avoit quantité de façons de parler vicieuses, lui dit qu'en revanche de la philosophie qu'elle apprenoit de lui, elle lui vouloit apprendre le François ; il reconnoissoit que sur ce point il avoit beaucoup profité avec elle. En général il faisoit cas de l'esprit des femmes, même par rapport à la philosophie; soit qu'il les trouvât plus dociles, parce qu'elles n'étoient prévenues d'aucunes idées contraires, et qu'elles ne cherchent qu'à entendre, et non à disputer; soit qu'il fût plus content de leur attachement pour ce qu'elles avoient une fois embrassé; soit enfin que ce fond d'inclination qu'on a pour elles agît en lui sans qu'il s'en apperçût, et les lui fit paroître plus philosophes, ce qui étoit la plus grande parure qu'elles pussent pussent avoir

à ses yeux.

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Son commerce avec elles avoit encore l'assaisonnement du mystère; car elles ne sont pas moins obli gées à cacher les lumières acquises de leur esprit, que les sentimens naturels de leur cœur, et leur plus grande science doit toujours être d'observer jusqu'au scrupule les bienséances extérieures de l'ignorance. Il ne nommoit donc jamais celles qu'il instruisoit, et il ne les voyoit presque qu'avec les précautions usitées pour un sujet fort différent. Outre les femmes du monde, il avoit gagné aussi des religieuses, encore plus dociles, plus appliquées, plus occupées de ce qui les touche. Enfin il se trouvoit à la tête d'un petit

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