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agréables. Il réussit à tout de manière à donner les plus grandes espérances; et il eut achevé ses études de si bonne heure, qu'il eut le temps de s'appliquer également au droit et à la médecine pour se déterminer mieux sur la profession qu'il embrasseroit. Il est peut-être le seul qui ait voulu choisir avec tant de connoissance de cause; il est vrai qu'il satisfaisoit aussi son extrême avidité de savoir.

Il prit enfin parti pour la médecine; son inclination naturelle l'y portoit: mais ce qui le détermina le plus puissaminent, c'est qu'il n'y vit aucun danger pour la justice, et une infinité d'occasions pour la charité; car il étoit touché dès-lors de ces mêmes sentimens de religion, dans lesquels il fini sa vie.

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On imagine aisément avec quelle ardeur et quelle persévérance s'attache à une étude un homme d'esprit, dont elle est le plus grand plaisir; et un homme de bien, dont elle est devenue le devoir essentiel. Il se distingua fort sur les bancs des écoles de médecine, et il nous en reste des témoignages authentiques, aussi-bien que du caractère dont il étoit dans sa plus grande jeunesse. Guy Patin parle ainsi dans sa 186 lettre de l'édition de 1692 ce jourd'hui 5 juillet (1692) nous avons fait la licence de nos vieux bacheliers; ils sont sept en nombre, dont celui qui est le seconds

nommé Dodart, âgé de 25 ans, est un des plus sages et des plus savans hommes de ce siècle. Ce Jeune homme est un prodige de sagesse et de science, monstrum sine vitio, comme disoit Adr. Turnebus de Josepho Scaligero. Il dit ensuite dans sa lettre 190: notre licencié, qui est si savant, s'appelle Dodart. Il es: fils d'un bourgeois de Paris, fort honné e homme. C'est un grand garçon, fort sage, fort modeste, qui sait Hypocrate, Galien, Aristote, Cicéron, Séneque et Fernel par cœur. C'est un garçon incomparable, qui n'a pas encore 26 ans ; car la faculé lui fit grace au premier examen de quelques mois qui lui manquoient pour son âge, sur la bonne opinion qu'on avoit de lui dès auparavant. Toutes les circonstances du témoignage de Patin sont assez dignes d'attention. Il étoit médecin, fort savant, passionné pour la gloire de la médecine. Il écrivoit à un de ses amis avec une liberté non seulement entière, mais quelquefois excessive. Les éloges ne sont pas fort communs dans ses lettres; et ce qui y domine, c'est une bile de philosophe très-indépendant. Il n'avoit avec Dodart nulle liaison ni de parenté ni d'amitié, et n'y prenoit aucun intérêt; il n'a remarqué aucun autre des jeunes étudians. Enfin il ne se donne pas pour dévot; et un air de dévotion, qui n'étoit pas un démérite à ses yeux, devoir être bien sincère et même bien ai> mable. Si l'amour propre étoit un peu plus délicat,

on ne compteroit pour louanges que celles qui auroient de pareils assaisonnemens. Parin dans ses lettres 207, 208, 219, continue à rendre compte à son ami de ce que fait Dodart. Tantôt il l'appelle notre licencié si sage et si savant tantôt notre savant jeune docteur. Il ne le perdoit point de vue, toujours poussé par une simple curiosité, d'autant plus flatteuse qu'elle étoit indifférente.

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Des suffrages naturellement les plus opposés se réunissoient sur Dodart. Le P. Deschamps, d'une société fort peu aimée de Patin, ayant un jour entendu par hasard le jeune docteur dans une leçon aux écoles de médecine, fut si touché de sa belle latinité, que, sur le rapport qu'il en fit au comte de Brienne, alors secrétaire d'état pour les affaires étrangères, ce ministre commença à penser à lui; et s'en étant informé d'ailleurs, il eut une extrême envie de se l'attacher en qualité de son premier commis. Les commencemens de ceux qui n'ont pour eux que le mérite, sont assez obscurs et assez lents, et l'établissement de Dodart étoit alors fort médiocre; cependant ni une fortune considérable qui venoit s'offrir d'elle-même, ni l'éclat séduisant d'un emploi de cour, ne purent le faire renoncer à son premier choix. Sa fermeté étoit soutenue par des principes plus élevés, qui lui persuadoient que ciel l'avoit placé où il étoit. De Brienne, pour l'engager insensiblement, exigea qu'il lui fît du moins

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quelques lettres plus importantes et plus secrettes. Il eut cette déférence, mais il se défendit d'un piège que tout autre n'auroit pas attendu.

Sa constance pour sa profession fut récompensée. Il vint assez promptement à être connu, et madame la duchesse de Longueville le prit pour son médecin. Elle étoit alors dans cette grande piété où elle a fini ses jours; et l'on sait que dans l'un et l'autre temps de sa vie, elle a fait un cas infini de l'esprit, non pas seulement de cet esprit qui rend un homme habile dans un certain genre, et qui y est attaché, mais principalement de celui qu'on peut porter par-tout avec soi. Elle y éroit trop accoutumée pour s'en pouvoir passer, et toute autre langue lui eût été trop étrangère. Un bon médecin, mais qui n'eût eu ni cette sorte d'esprit, ni beaucoup de piété, n'eût été guère de son goût. Bientôt. elle honora Dodart de sa confiance; j'entends de celle que l'on a pour un ami. La grande inégalité des conditions ne lui en retrancha que le titre. les titre.11

Feu madame la princesse de Conti douairière; mère de messeigneurs les princes de Conti et de la Roche-sur-Yon, voulut partager Dodart avec madame de Longueville; et en lui donnant chez elle la même qualité, elle lui donna ce qui en étoit inséparable à son égard, la même confiance et les mêmes agrémens. Mais ce qui est encore 3

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que

à le bien considérer, plus glorieux pour lui les bontés mêmes de ces deux grandes et vertueuses princesses, il eut l'amitié de tous ceux qui étoient à elles. Il n'est pas besoin de connoître beaucoup les maisons des grands, pour savoir que d'y être bien avec tout le monde, c'est un chef-d'œuvre

de conduite et de sagesse, et souvent d'autant plus difficile, que l'on a d'ailleurs de plus grandes qualités. Le grand secret pour y réussir est celui qu'il pratiquoit; il obligeoit autant qu'il lui étoit possible, et ne ménageoit point sa faveur dans les affaires d'autrui. Avoir besoin de son crédit, c'étoit être en droit de l'employer. Heureusement pour un grand nombre de gens de mérite, les deux postes qu'il occupoit le firent connoître de plusieurs autres personnes du premier rang, ou de la première dignité. J'oserai dire que, malgré leur élévation, ils avoient pour lui cette sorte de respect qui n'a point été établi par les hommes, et dont la nature s'est réservé le droit de disposer en faveur de la vertu.

Après la mort de madame la princesse de Conti, il demeura attaché aux deux princes ses enfans, et après la mort de l'aîné, à madame la princesse de Conti sa veuve, et à monseigneur le prince de Conti. Rien n'est au-dessus du zèle, de la fidélité, du désintéressement qu'il a apportés à leur service; mais on ne peut dire si de pareils maîtres n'ont

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