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si on le recusoit, ce ne seroit que parce qu'il s'étoit trop déclaré pour tous les deux. La manière dont il parvient à cet accord si difficile, est celle qu'emploieroit un arbitre éclairé à l'égard de deux frères, entre lesquels il voudroit étouffer toutes les semences de division. Regis fait un partage si net entre la raison et la foi, et assigne à chacune des objets et des emplois si séparés, qu'elles ne peuvent plus avoir, pour ainsi dire, aucune occasion de se brouiller. La raison conduit l'homme jusqu'à une entière conviction des preuves historiques de la religion chrétienne; après quoi elle le livre et l'abandonne à une autre lumière non pas contraire, mais toute différente, et infiniment supérieure. L'éloignement où Regis tient la raison et la foi, ne leur permet pas de se réunir dans des systêmes qui accommodent les idées de quelques philosophes dominantes à la révélation, ou quelquefois même la révélation à ces idées. Il ne veut point que ni Platon, ni Aristote, ni Descartes même appuient l'évangile. Il paroît croire que tous les systêmes philosophiques ne sont que des modes, et il ne faut point que des vérités éternelles s'allient avec des opinions passagères., dont la ruine leur doit être indifférente. On doit s'en tenir à la majestueuse simplicité des conciles, qui décident toujours le dogme divin sans y mêler les explications humaines. Tel est l'esprit

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général de l'ouvrage, du moins par rapport au titre; car Regis y fait entrer une théorie des facultés de l'homme, de l'entendement, de la volonté, &c. plus ample qu'il n'étoit absolument nécessaire. Il lui a donné même pour conclusion un traité de l'amour de Dieu, parce que cette matière qui, si l'on vouloit, seroit fort simple, venoit d'être agitée par de grands hommes avec beaucoup de subtilité. Enfin il a joint à tout le livre une réfutation du systême de Spinosa. Il a été réduit à en développer les obscurités, nécessaires pour couvrir l'erreur; mais heureusement peu propres pour la sé

duction.

C'est par-là qu'il a fini sa carrière savante. Ses infirmités qui devinrent plus continues et plus douloureuses, ne lui permirent plus le travail. La manière dont il les soutint pendant plusieurs années, fut un exemple du plus noble et du plus difficile usage que l'on puisse faire de la raison et de la foi tout ensemble. Il mourut le 11 janvier 1707 chez le duc de Rohan, qui lui avoit donné un appartement dans son hôtel, outre la pension qu'il avoit été chargé de lui payer par le testament du marquis de Vardes son beau-père.

Il étoit entré dans l'académie en 1699, lorsqu'elle se renouvella: mais à cause de ses maladies, il ne fit presque aucune fonction académiques;

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seulement son nom servit à orner une liste où le public eût été surpris de ne le

pas trouver.

Il avoit eu toute sa vie beaucoup de commerce avec des personnes du premier rang. Feu l'archevêque de Paris, en lui défendant les assemblées, l'avoit engagé à le venir voir à de certains temps marqués pour l'entretenir sur les mêmes matières; et peut-être la gloire de Regis augmentoit-elle de ce qu'un prélat si éclairé prenoit la place du public. Feu le prince, dont le génie embrassoit tout, l'envoyoit chercher souvent, et il a dit plusieurs fois qu'il ne pouvoit s'empêcher de prendre pour vrai ce qui lui étoit expliqué si nettement.

Sa réputation alla jusques dans les pays étrangers lui faire des amis élevés aux plus grandes places. Tel étoit le duc d'Efcalone, grand d'Espagne, aujourd'hui viceroi de Naples. Ce seigneur, plus curieux et plus touché des sciences que ne l'est jusqu'ici le reste de sa nation, avoit pris pour lui une estime singulière sur son systême général qu'il avoit étudié avec beaucoup de soin; et quant la journée du Ter ( en 1694), où il commandoit l'armée espagnole, ses équipages furent pris par l'armée victorieuse du maréchal de Noailles, il ne lui envoya redemander que les commentaires de César, et le livre de Regis, qui étoient dans sa cassette. Le comte de Saint-Estevant de Gormas, son fils, étant venu en France en 1706, il alla

voir le philosophe par ordre de son père; et après la première visite, ce ne fut plus par obéissance qu'il lui en rendit. Le duc d'Albe, ambassadeur de S. M. catholique, lui a fait le même honneur, à la prière du viceroi de Naples.

Les mœurs de Regis étoient telles que l'étude de la philosophie les peut former, quand elle ne trouve pas trop de résistance du côté de la nature. Les occasions qu'il a eues par rapport à la fortune, lui ont été aussi peu utiles qu'elles le devoient être. Une grande estime, et une amitié fort vive que le feu P. Ferrier, confesseur du roi, avoit prise pour lui à Toulouse pendant ses conférences, ne lui valurent qu'une très-modique pension sur la préceptoriale d'Aigues-Mortes. Quoiqu'il fût accoutumé à instruire , sa conversation n'en étoit pas plus impérieuse; mais elle étoit plus facile et plus simple, parce qu'il étoit accoutumé à se proportionner à tout le monde. Son savoir ne l'avoit pas rendu dédaigneux pour les ignorans; et en effet on l'est ordinairement d'autant moins à leur égard, , que l'on sait davantage, car on en sait mieux combien on leur ressemble encore.

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DU MARÉ CHAL

DE VA UBA N.

SÉBASTIEN

ÉBASTIEN LE PRÊTRE, chevalier, seigneur de Vauban, Basoches, Pierre-Pertuis, Pouilly, Cervon, la Chaume, Espiry, le Creuset, et autres lieux; maréchal de France, chevalier des ordres du roi, commissaire général des fortifications, grand-croix de l'ordre de S. Louis, et gouverneur de la citadelle de Lille, naquit le premier jour de mai 1633, d'Urbain le Prêtre, et d'Aimée de Carmagnol. Sa famille est d'une bonne noblesse du Nivernois; elle possède la seigneurie de Vauban depuis plus de 250 ans.

Son père qui n'étoit qu'un cadet, et qui de plus s'étoit ruiné dans le service, ne lui laissa qu'une bonne éducation et un mousquet. A l'âge de 17 ans, c'est-à-dire en 1651, il entra dans le régiment de Condé, compagnie d'Arcenay. Alors feu le prince étoit dans le parti des Espagnols.

Les premières places fortifiées qu'il vit le firent ingénieur, par l'envie qu'elles lui donnèrent de le devenir. Il se mit à étudier avec ardeur la géométrie, et principalement la trigonométrie et le toisé; et dès l'an 1652, il fut employé aux

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