Page images
PDF
EPUB

guérir, soit qu'il se trouvât bien de ce redoublement d'attention et de recueillement qu'elle lui procuroit, semblable en quelque chose à cet ancien, que l'on dit qui se creva les yeux pour n'être pas distrait dans ses méditations philosophiques.

Amontons apprit le dessin, l'arpentage, l'architecture, et fut employé dans plusieurs ouvrages publics: mais il ne fut pas long-temps sans s'élever plus haut; et il joignit à cette méchanique qui produit nos arts et n'est occupée que de nos besoins, la connoissance de la sublime méchanique qui a disposé l'univers.

Les instrumens, tels que les baromètres, les thermomètres, et les hygromètres, destinés à mesurer des variations physiques, qui nous étoient il y a peu de tems, ou absolument inconnues, ou connues seulement par le rapport confus et incer tain de nos sens, sont peut-être de toutes les in ventions utiles de la philosophie moderne, celles où l'application de la méchanique à la physique est la plus délicate; et d'ailleurs, comme on s'étoit contenté du premier hasard, ou de la première idée qui avoit fait naître ces inventions assez heureusement, elles étoient demeurées ou défectueuses en elles-mêmes, ou d'un usage peu commode. Amontons les étudia avec beaucoup de soin; et en 1687, n'ayant encore que vingt-quatre ans y il présenta à l'Académie des sciences un nouvel

777

hygromètre qui en fut fort approuvé. Il proposa aussi à Hubin, fameux émailleur, et fort habile en ces matières, différentes idées qu'il avoit pour de nouveaux baromètres et thermomètres : mais Hubin l'avoit prévenu dans quelques-unes de ces pensées; et il fit peu d'attention aux autres, jusqu'à ce qu'il eût fait un voyage en Angleterre, où elles lui furent proposées par quelques-uns des principaux membres de la societé royale.

Peut-être ne prendra-t-on que pour un jeu d'esprit, mais du moins très-ingénieux, un moyen qu'il inventa de faire savoir tout ce qu'on voudroit à une très-grande distance, par exemple de Paris à Rome, en très-peu de temps, comme en trois ou quatre heures, même sans que la nouvelle fût sue dans tout l'espace d'entre-deux. Cette propo sition si paradoxe et si chimérique en apparence, fut exécutée dans une petite étendue de pays, une fois en présence de Monseigneur, et une autre en présence de Madame; car quoique Amontons n'entendît nullement l'art de se produire dans le monde, il étoit dejà connu des plus grands princes, à force de mérite. Le secret consistoit à disposer dans plusieurs postes consécutifs, des gens qui, par des lunettes de longue vue, ayant apperçu certains signaux du poste précédent, les transmissent au suivant, et toujours ainsi de suite; et ces différens signaux étoient autant de lettres

d'un alphabet dont on n'avoit le chiffre qu'à Paris et à Rome. La plus grande portée des lunettes faisoit la distance des postes, dont le nombre devoit être le moindre qu'il fût possible; et comme le second poste faisoit les signaux au troisième, à mesure qu'il les voyoit faire au premier, la nouvelle se trouvoit portée de Paris à Rome presque en aussi peu de temps qu'il en falloit pour faire les signaux à Paris..

En 1695, Amontons donna le seul livre imprimé qui ait paru de lui, et le dédia à l'Acadé mie des sciences. Il est intitulé:remarques et expériences physiques sur la construction d'une nouvelle clepsidre, sur les baromètres, thermomètres et hygromètres. Quoique les clepsidres, ou horloges à eau, si usitées chez les anciens, aient été entièrement abolies parmi nous par les horloges à roues, infiniment plus justes et plus commodes, Amontons ne laissa pas de prendre beaucoup de peine à la construction de sa clepsidre, dans l'espérance qu'elle pourroit servir sur mer; car, de la manière dont elle étoit faite, le mouvement le plus violent que pût avoir un vaisseau ne la dérégloit point, au lieu qu'il dérègle infailliblement les autres horloges. On a pu voir dans le livre de Amontons avec combien d'art sa clepsidre étoit construite ; et il n'y a guere d'apparence qu'il se soit rencontré avec aucun des anciens inventeurs.

[graphic]

Il entra dans l'académie en 1699, lorsqu'elle reçut son nouveau réglement. Aussi-tôt il donna dans nos assemblées la théorie des frottemens, qui a tant éclairci une matière si importante dans la méchanique, et jusques-là si obscure. Son nouveau thermomètre vint ensuite, invention qui n'est pas seulement utile pour la pratique, mais qui a donné de nouvelles vues pour la spéculation. Nos histoires ont parlé à fond de ces découvertes; un volume nouveau qui va paroître en contiendra encore une autre du même auteur, c'est son baromètre rectifié; et le volume qui viendra encore après contiendra son baromètre sans mercure à l'usage de la mer, et des expériences nouvelles et fort curieuses qu'il a faites sur le baromètre et sur la nature de l'air; tant le nom et les découvertes de Amontons ont de peine, pour ainsi dire, à quitter la place qu'ils tenoient dans nos histoires.

En effet, celle que cet académicien remplissoit dans la compagnie étoit presque unique. Il avoit un don singulier pour les expériences, des idées fines et heureuses, beaucoup de ressources pour lever les inconvéniens, une grande dextérité pour l'exécution, et on croyoit voir revivre en lui Mariote, si célèbre par les mêmes talens. Nous ne craignons point de comparer à un des plus grands sujets qu'ait eu l'académie, un simple élève tel qu'étoit Amontons. Le nom d'élève n'emporte

parmi nous aucune différence de mérite; il signifie seulement moins d'ancienneté, et une espèce de survivance.

[ocr errors]

Amontons jouissant d'une santé parfaite, qui se déclaroit même par toutes les apparences extérieures, n'étant sujet à aucune infirmité, menant et ayant toujours mené la vie du monde la plus réglée, fut tout d'un coup attaqué d'une inflammation d'entrailles; la gangrène s'y mit en peu de jours, et il mourut le 11 octobre agé de quarante-deux ans et près de deux mois. Il étoit marié, et n'a laissé qu'une fille âgé de deux mois. Le public perd par sa mort plusieurs inventions utiles qu'il méditoit, sur l'imprimerie, sur les vaisseaux, sur la charrue. Ce qu'on a vu de lui, répond que ce qu'il croyoit possible, devoit l'être à toute épreuve; et le génie de l'invention naturellement subtil hardi, et quelquefois présomptueux avoit en lui toute la solidité toute la retenue et même toute la défiance néces

saires.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Les qualités de son cœur étoient encore préférables à celles de son esprit : une droiture si naïve et si peu méditée, qu'on y voyoit l'impossibilité de se démentir; une simplicité, une franchise et une candeur, que le peu de commerce avec les hommes pouvoit conserver, mais qu'il ne lui avoit pas données; une entière incapacité de se faire

« PreviousContinue »