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de trois mois, agé de soixante-dix-sept ans, génie rare, et dont on verra toujours le nom à la tête de plusieurs des plus importantes découvertes sur lesquelles sont fondée la philosophie moderne. Viviani fut donc trois ans avec Galilée, depuis dix-sept ans jusqu'à vingt. Heureusement né les sciences, et plein de cette vigueur d'esprit que donne la première jeunesse, il n'est pas étonnant qu'il ait extrêmement profité des leçons d'un si excellent maître; mais il l'est beaucoup plus que, malgré l'extrême disproportion d'âge, il ait pris pour Galilée une tendresse vive et une espèce de passion. Par-tout il se nomme le disciple, et le dernier disciple du grand Galilée, car il a beaucoup survécu à Torricelli son collègue jamais il ne met son nom à un titre d'ouvrage, sans l'accompagner de cette qualité; jamais il ne manque une occasion de parler de Galilée, et quelquefois même, ce qui fait encore mieux l'éloge de son cœur, il en parle sans beaucoup de nécessité: jamais il ne nomme le nom de Galilée sans lui rendre un hommage; et l'on sent bien que ce n'est point pour s'associer en quelque sorte au mérite de ce grand homme, et en faire rejaillir une partie sur lui; le style de la tendresse est bien aisé à reconnoître d'avec celui de la vanité.

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Après la mort de Galilée, il passa encore deux ou trois ans dans la géométrie sans aucune inter

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ruption, et ce fut en ce temps-là qu'il forma le dessein de sa divination sur Aristée. Pour entendre

ce que c'est que cette divination, il faut un peu remonter à l'histoire des anciens géomètres.

Pappus d'Alexandrie, mathématicien du temps de Théodose, parle en quelques endroits d'un Aristée qui appelle l'ancien, pour le distinguer d'un autre Aristée, géomètre aussi-bien que le premier, mais qu'il avoit vécu après lui. Aristée l'ancien avoit fait cinq livres des lieux solides, c'est-à dire, selon l'explication de Pappus même, des trois sections. coniques. Il n'a pu vivre plus tard qu'Euclide dont nous avons les élémens, et par conséquent il a été environ trois cent ans avant Jesus-Christ. Ces cinq livres sont entièrement perdus.

Viviani, fort versé dans la géométrie des anciens,' et regrettant la perte d'un grand nombre de leurs ouvrages, entreprit à l'âge de vingt-quatre ans de la réparer du moins en partie, en se remettant; autant qu'il étoit possible, sur leur piste, et en tâchant de deviner ce qu'ils avoient dû nous dire. S'il est jamais permis aux hommes de deviner, c'est en cette matière, où, si l'on n'est pas sûr de retrouver précisément ce qu'on cherche, on l'est du moins de ne rien trouver de contraire, et de trouver toujours l'équivalent.

Lorsque Viviani travailloit à tirer de son propre fonds les cinq livres d'Aristée sur les lieux solides,

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ou sections coniques, un grand nombre de choses différentes le traversèrent, soins et affaires domestiques, maladies, ouvrages publics, où il fut employé par les princes de Médicis, de qui son mérite étoit déjà connu, et même récompensé.

Il fut quinze ans entiers sans jouir de cette tranquillité si nécessaire pour de grandes études. Cependant la géométrie, qui n'a pas coutume de laisser en paix ceux dont elle a une fois pris possession, le poursuivit au milieu de tant de distractions différentes; il lui donnoit tous les momens qu'il avoit pour respirer, et il conçut alors le dessein. d'un ouvrage où il s'agissoit de deviner encore.

Apollonius Pergæus, ainsi nommé d'une ville de Phamphilie, et qui vivoit quelque deux cent cinquante ans avant Jesus-Christ, avoit ramassé sur les sections coniques tout ce qu'avoient fait avant lui Aristée, Eudoxe de Cnide, Menæchme, Euclide', Conon, Trasidée, Nicotèle. Ce fut lui qui donna le premier aux trois sections coniques les noms de Parabole, d'Hiperbole et d'Ellipse, qui nonseulement les distinguent, mais les caractérisent. Il avoit fait huit livres, qui parvinrent entiers jusqu'au temps de Pappus d'Alexandrie. Pappus composa une espèce d'introduction à cet ouvrage, et donna les lemmes nécessaires pour l'entendre. Depuis, les quatre derniers livres d'Apollonius ont péri.

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Il paroît par l'épître d'Apollonius à Eudemus, et par Eutocius Ascalonite, auteur plus jeune que Pappus, que dans le cinquième livre des coniques d'Apollonius, il étoit traité des plus grandes er plus petites lignes droites, qui se terminassent aux circonférences des sections coniques; c'est ce qu'on appelle présentement des questions de maximis

et minimis.

Viviani laissant Aristée pour quelque temps, songea à restituer de la même manière le cinquième livre d'Apollonius, et s'y occupa dans ses quinze années de distraction.

En 1658, le fameux Jean-Alphonse Borelli, auteur de l'excellent livre de motu animalium, passant par Florence, trouva dans la bibliothèque de Médicis, un manuscrit arabe, avec cette inscription latine, Apollonei Pergai Conicorum libri octo. Il jugea par toutes les marques extérieures qu'il put rassembler, que ce devoient être effectivement les huit livres d'Apollonius en leur entier, et le grand Duc lui permit de porter ce manuscrit à Rome pour le faire traduire par Abraham Ecchellensis Maronite, professeur aux langues orientales.

Sur cela, Viviani qui ne vouloit pas perdre le fruit de tout ce qu'il avoit préparé pour sa divination sur le cinquième livre d'Apollonius, prit toutes les mesures nécessaires pour bien établir qu'il n'avoit fait effectivement que deviner. Il se fit donner des

attestations authentiques qu'il n'entendoit point l'arabe; et pour plus de sûreté qu'il n'avoit jamais vu le manuscrit, il obtint du prince Léopold, frère du grand duc Ferdinand II, la grace qu'il lui paraphât de sa propre main ses papiers en l'état où ils se trouvoient alors: il ne voulut point que Borelli lui mandât jamais rien de ce qu'Ecchellensis auroit pu découvrir en traduisant; et enfin il se hâta de deviner, et imprima son ouvrage en 1659 sous ce titre de maximis et minimis geometrica divinatio, in quintum Conicorum Apollonii Pergai adhuc desideratum. C'est là le premier qui ait paru de lui.

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Pendant ce temps-là, Abraham Ecchellensis ; qui ne savoit point de géométrie, aidé par Borelli, grand géomètre, qui ne savoit point d'arabe, travailloit à traduire la traduction arabe d'Apollonius. Il se trouva qu'elle avoit été faite par un auteur nommé Abalphat, qui vivoit à la fin du dixième siècle. Il manquoit le huitième livre d'Apollonius entier, quoi qu'en dît l'inscription latine.

En 1661, Ecchellensis donna sa traduction du cinquième, du sixième et du septième. On compara donc alors la divination de Viviani avec la vérité; et l'on trouva qu'il avoit plus que deviné c'est-à-dire, qu'il avoit été beaucoup plus loin qu'A pollonius sur la même matière.

Après un événement si singulier et si heureux

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