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mais qui ont, sous sa plume comme dans sa pensée, une grande importance, nous suivons pas à pas la libre évolution d'un esprit indépendant, placé en face du plus grave problème susceptible de tourmenter une intelligence éprise de vérité. En reproduisant ces passages dans ses Actes, l'Académie rendra un juste hommage à la mémoire de celui qu'elle a perdu; elle continuera ses traditions de liberté; elle prouvera une fois de plus que ses publications sont largement ouvertes à l'expression de toutes les opinions, sans qu'elle prenne la responsabilité d'aucune.

1904

11

Épître à l'Académie

Par M. DE MÉGRET DE BELLIGNY

Deux siècles vont bientôt couronner la carrière :
Quelles gloires et quels hauts faits leur survivront?
Toi, tu resteras belle et sans ride à ton front.
Reporte avec orgueil ton regard en arrière,
Le passé fut pour toi si brillant et si beau!
Modeste à ton début, mais bientôt florissante,
Que de gloire ajoutée à ta grandeur naissante
Et toujours en progrès! Crescam et lucebo.
Au fort d'une tourmente où s'agitait la France,
On put tout te ravir, excepté l'espérance
De voir comme aujourd'hui reverdir tes lauriers.
O beaux jours d'autrefois! où d'illustres guerriers,
D'immortels magistrats, une pléiade amie,
Consacraient leurs loisirs à « leur » Académie.
Montesquieu, de Gasq, Jean-Jacques Bel, Meslon,
Polignac, cardinal; Thibaut de Chanvallon,
Vicomte de Caupos, duc Nompar de La Force,
S'honoraient d'être inscrits dans tes annales d'or!
D'oublier ce qui fut, c'est en vain qu'on s'efforce.
Oublier! on l'espère... on se souvient encor.
On te crut endormie en la nuit éternelle,
Mais tu revins un jour aussi jeune, aussi belle;

Déshéritée, hélas! mais gardant ta fierté.
Grande, tu l'es toujours malgré ta pauvreté.
Dans le palais banal que toi-même décore,
Reine, tu viens régner et triompher encore.
Pour rendre tes arrêts, tu convoques ta cour;
Mais on sait que dans notre aimable république,
Quarante souverains te donnent la réplique.
Un candidat vaincu ne l'est pas sans retour,
Et s'il vient de nouveau briguer notre suffrage,
Le succès est souvent le prix de son courage.
Ses juges ne sont plus, il n'a que des égaux
Dont il va partager les utiles travaux.
On verra ce vaincu, qu'aujourd'hui tu patronnes,
Dans l'immortel fauteuil décerner des couronnes.
Le grand jour est venu, le jour du lauréat.
Dans la brillante enceinte, avec grand apparat,
Il triomphe acclamé par des lèvres de rose,
Par un public select: c'est une apothéose!
Tes lettrés si diserts, tes savants, tes docteurs,
Tes maîtres du barreau, tes brillants orateurs,
Toutes les sommités, les beaux arts, tes poètes,
Concourent avec zèle à l'éclat de ces fêtes.
Mais combien de travaux, inconnus des lecteurs,
Eussent, depuis de Gascq, illustré leurs auteurs,
Si la publicité leur eût prêté ses ailes!

Leurs œuvres aujourd'hui planeraient avec elles.
Modestes, ils croyaient, en toute humilité,
Qu'on doit aller sans aide à la célébrité.
La modestie est humble, on le dit, on l'assure,
Et toujours trop timide, elle craint la censure.
La Grèce en avait fait une divinité,
Mais son culte partout fut très peu respecté.
Elle sied à Pradon, elle sied au vulgaire,
Mais non pas à Corneille, à Racine, à Voltaire.
Qui croirait qu'un génie, un esprit créateur,
Puisse, quoi qu'il en dise, ignorer sa valeur?

D'un regard curieux, qu'on fouille nos archives:
Que d'œuvres de talent on y verrait captives,
Sans espoir de sortir de leur obscurité!

Ce qui leur fit défaut, c'est la publicité.

On n'est grand qu'éclairé par la Ville-Lumière,
Un bruit qu'elle propage, elle en est coutumière.
Loquin, comme critique, égale au moins Fétis;
Drouyn, Froment, Brochon qui fut cher à Thémis;
Dabas, esprit subtil, si lettré, si caustique;

De Gères, à la verve aimable, poétique,

Avaient peu de rivaux qu'on leur pût opposer.

Que nous serions plus grands, si nous osions... oser!

Château de Talence, 3 juin 1904.

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