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conjure donc d'employer aussi mes paroles à me conserver toujours dans le souvenir de M. Perrichon. J'ai reçu une lettre de M. de Mervezin1 presque en même temps qu'on m'a rendu la vôtre. Il est homme de mérite, et m'a paru plus que content de votre bonne réception. Je suis...

P. S. Comme vous ne sauriez goûter mon épigramme de l'Anthologie en françois, j'ai cru vous devoir envoyer la traduction qu'en a faite en grec l'illustre et le savant M. Boivin. Elle est écrite de sa main, avec quelques vers françois de sa façon, qu'il a imités des vers grecs d'un ancien Père de l'Église, et qui sont au dos de l'épigramme. Vous jugerez par là, monsieur, de son double mérite. Il prétend citer quelque jour cette épigramme dans quelques notes savantes, et la faire passer pour un original tiré d'un manuscrit de la Bibliothèque du roi, dont il est gardien. Je ne sais s'il fera cette folie; mais combien pensez-vous que nous avons peut-être d'ouvrages donnés de la sorte?

LETTRE XXIX.

Auteuil, 29 septembre 1703.

J'ai été, monsieur, si accablé d'affaires depuis quelque temps, que je n'ai pas eu le loisir de faire la chose qui m'est la plus agréable, je veux dire de m'entretenir avec vous. Je m'en serois même encore dispensé aujourd'hui, si, tout d'un coup, en relisant votre dernière lettre que j'ai trouvée sur ma table, je n'eusse fait réflexion que vous imputeriez peut-être mon silence au chagrin que vous croyez que j'ai conçu de vos critiques. Je vous assure pourtant que je n'en ai eu aucun, et que j'ai été d'autant moins capable d'en avoir, que j'ai bien vu, comme je vous l'ai, ce me semble, témoigné, que vous ne me les faisiez qu'afin de vous divertir et de me faire parler. J'ai trouvé un peu étrange, je l'avoue, que vous me voulussiez mettre en so

1. Joseph Mervezin, bénédictin, né à Apt, mort dans la mème ville en 1721 On a de lui: Histoire de la poésie françoise. Paris, 1706, in-12. (M. CHÉRON.)

ciété de style avec Charpentier, l'un des hommes du monde avec lequel je m'accordois le moins, et qui toute sa vie, à mon sens, et même en sa vieillesse, a eu le style le plus écolier; mais cela n'a point fait que je vous aie voulu aucun mal. Et qu'ai-je fait effectivement, à propos de vos censures, autre chose que vous comparer à M. Patru et à M. Racine? Est-ce que la comparaison vous déplaît?

Pour vous montrer même combien je suis éloigné de me choquer de vos critiques, je m'en vais vous écrire ici une énigme que j'ai faite à l'âge de dix-sept ans, et qui est pour ainsi dire mon premier ouvrage. Je l'avois oubliée, et je m'en souvins le dernier jour, en allant voir une maison que feu mon père avoit au pied de Montmartre 1, où je composai ce bel ouvrage. Je vous l'envoie, afin que vous l'examiniez à la rigueur; mais, pour me venger de votre sévérité, je ne vous dirai le mot de l'énigme qu'à la première fois que je vous récrirai, afin de me venger de la peine que vous me ferez en la censurant, par la peine que vous aurez à la deviner. La voici :

Du repos des humains implacable ennemie,
J'ai rendu mille amants envieux de mon sort.
Je me repais de sang, et je trouve ma vie

Dans les bras de celui qui recherche ma mort 2.

Tout ce que je puis vous dire par avance, c'est que j'ai tâché de répondre par la magnificence de mes paroles à la grandeur du monstre que je voulais exprimer. Adieu, mon cher monsieur, aimez-moi toujours, et croyez que je suis avec tout le respect et toute la sincérité que je dois...

P. S. Je donnai à dîner il y a deux jours à M. Bronod, à Auteuil, et il y fut très-affectueusement et très-solennellement bu à votre santé.

1. A Clignancourt.

2. Voyez Poésies diverses, no xxiv, t. III.

LETTRE XXX.

Paris, 12 mars 1706.

Vous accusez à grand tort M. Dugas du peu de soin que j'ai eu depuis si longtemps à répondre à vos obligeantes lettres. Il est homme au contraire qui n'a rien oublié pour augmenter en moi l'estime particulière que j'ai toujours eue pour vous, et pour m'engager à vous écrire souvent. Ainsi je puis vous assurer que tout le mal ne vient que de ma négligence, qui est en moi comme une fièvre intermittente, qui dure quelquefois des années entières, et que le quinquina de l'amitié et du devoir ne sauroit guérir. Que voulez-vous, monsieur? Je ne puis pas me rebâtir moimême, et tout ce que je puis faire, c'est de convenir de mon crime.

Je vous dirai pourtant qu'il ne me seroit pas difficile de trouver de méchantes raisons pour le pallier, puisqu'il n'est pas imaginable combien depuis très-longtemps je me suis trouvé occupé de la méchante affaire que je me suis faite par ma satire contre l'équivoque 1, qui est l'ouvrage que je vous avois promis de vous communiquer. A peine a-t-elle été composée, que, l'ayant récitée dans quelques compagnies, elle a fait un bruit auquel je ne m'attendois point; la plupart de ceux qui l'ont entendue ayant publié et publiant encore, je ne sais pas sur quoi fondé, que c'est mon chef-d'œuvre. Mais ce qui a encore bien augmenté le bruit, c'est que dans le cours de l'ouvrage j'attaque cinq ou six des méchantes maximes que le pape Innocent XI a condamnées; car, bien que ces maximes soient horribles, et que, non plus que ce pape, je n'en désigne point les auteurs, MM. les jésuites de Paris, à qui on en a dit quelques endroits qu'on a retenus, ont pris cela pour eux, et ont fait concevoir que d'attaquer l'équivoque, c'étoit les attaquer dans la plus sensible partie de leur doc

1. Satire XII.

trine. J'ai eu beau crier que je n'en voulois à personne qu'à l'équivoque même, c'est-à-dire, au démon, qui seul, comme je l'avance dans ma pièce, a pu dire qu'on n'est point obligé d'aimer Dieu; qu'on peut prêter sans usure son argent à tout denier; que tuer un homme pour une pomme n'est point un mal, etc., ces messieurs ont déclaré qu'ils étoient dans les intérêts du démon, et, sur cela, m'ont menacé de me perdre, moi, ma famille et tous mes amis. Leurs cris n'ont pourtant pas empêché que monseigneur le cardinal de Noailles, mon archevêque, et monseigneur le chancelier 1, à qui j'ai lu ma pièce, ne m'aient jeté tous deux à la tête leur approbation et le privilége pour la faire imprimer si je voulois; mais vous savez bien que naturellement je ne me presse pas d'imprimer, et qu'ainsi je pourrai bien la garder dans mon cabinet jusqu'à ce qu'on fasse une nouvelle édition de mon livre. On en sait pourtant plusieurs lambeaux; mais ce sont des lambeaux, et j'ai résolu de ne le plus dire qu'à des gens qui sûrement ne la retiendront pas. La vérité est qu'à la fin de ma satire j'attaque directement messieurs les journalistes de Trévoux, qui, depuis notre accommodement, m'ont encore insulté dans trois ou quatre endroits de leur journal mais ce que je leur dis ne regarde ni les propositions, ni la religion ; et d'ailleurs je prétends, au lieu de leur nom, ne mettre dans l'impression que des étoiles, quoiqu'ils n'aient pas eu la même cir'conspection à mon égard. Je vous dis tout ceci, monsieur, sous le sceau du secret, que je vous prie de me garder. Mais, pour revenir à ce que je vous disois, vous voyez bien, monsieur, que j'ai eu assez d'affaires à Paris pour me faire oublier celles que j'ai à Lyon.

Parlons maintenant des choses que vous voulez savoir de moi. Ma réponse au père Bourdaloue est très-véritable; mais voici mes termes : Je vous l'avoue, mon père; mais pourtant, si vous voulez venir avec moi aux Petites-Maisons, je m'offre de vous y fournir dix prédicateurs contre un poëte; et vous ne

1. Phélypeaux de Pontchartrain, le père. 2. Les cinq fameuses propositions,

verrez à toutes les loges que des mains qui sortent des fenêtres, et qui divisent leurs discours en trois points.

J'ai su autrefois le nom de l'auteur du rondeau dont vous me parlez 1, et j'ai vu l'auteur lui-même. C'étoit un homme qui, je crois, est mort, et qui n'étoit pas homme de lettres. Le rondeau pourtant est joli. Il accusoit des gens du métier de se l'être attribué mal à propos, et de lui avoir fait un vol. Peut-être au premier jour je me ressouviendrai de son nom, et je vous l'écrirai. Entendons-nous toutefois; dans le rondeau dont je vous parle, il n'y avoit point: Où s'enivre Boileau. Ainsi j'ai peur que nous ne prenions le change.

Pour ce qui est de la Vie de Molière 2, franchement ce n'est pas un ouvrage qui mérite qu'on en parle. Il est fait par un homme qui ne savoit rien de la vie de Molière, et il se trompe dans tout, ne sachant pas même les faits que tout le monde sait. Pour les odes de M. de la Motte 3, quelqu'un, ce me semble, me les a montrées; mais je ne m'en ressouviens pas assez pour vous en dire mon avis. Il me semble, monsieur, que cette fois-ci vous ne vous plaindrez pas de moi, puisque je vous écris une assez longue lettre, et qu'il ne me reste guère que ce qu'il faut pour vous assurer que, tout négligent et tout paresseux que je suis, je ne

1.

A la fontaine où l'on puise cette ean
Qui fait rimer et Racine et Boileau,
Je ne bois point ou bien je ne bois guère.
Dans un besoin, si j'en avois affaire,

J'en boirois moins que ne fait un moineau.

Je tirerai pourtant de mon cerveau
Plus aisément, s'il le faut, un rondeau,
Que je n'avale un plein verre d'eau claire
A la fontaine.

De ces rondeaux un livre tout nouveau

A bien des gens n'a pas eu l'heur de plaire :
Mais quant à moi, j'en trouve tout fort beau,

Papier, dorure, image, caractère,

Hormis les vers qu'il falloit laisser faire

A La Fontaine.

2. Par Grimarest. Elle est imprimée dans le t. Ier de l'édition de Paris 1730, 8 vol, in-12.

3. Sur l'Emulation et sur le Siècle d'or.

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