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Tout ce que je sais, c'est que le généreux Herminius, c'étoit M. Pelisson; l'agréable Scaurus, c'étoit Scarron; le galant Amilcar, Sarasin, etc. '... Le plaisant de l'affaire est que nos poëtes de théâtre, dans plusieurs pièces, ont imité cette folie, comme on le peut voir dans la Mort de Cyrus du célèbre M. Quinault, où Thomyris entre sur le théâtre en cherchant de tous côtés, et dit ces deux beaux vers:

Que l'on cherche partout mes tablettes perdues,
Et que, sans les ouvrir, elles me soient rendues.

Voilà un étrange meuble pour une reine des Massagètes, que des tablettes dans un temps où je ne sais si l'art d'écrire étoit inventé. Je vous écrirai davantage sur ce sujet, dès que vos présents seront arrivés. Cependant croyez que c'est du fond du cœur que je suis, etc.

LETTRE XXVII.

Paris, 25 janvier 1703.

Il y a huit jours, monsieur, que j'ai reçu votre magnifique présent; et j'ai été tout ce temps-là à chercher des paroles pour vous en remercier dignement, sans en pouvoir trouver. En effet, à un homme qui fait de tels présents, ce n'est point des lettres familières et de simples compliments un peu ornés, ce sont des épîtres liminaires du plus haut style qu'il faut écrire, et où les comparaisons du soleil soient prodiguées. Balzac auroit été merveilleux pour cela, si vous lui en aviez envoyé de pareils, et il auroit peut-être égalé la grosseur de vos fromages par la hauteur de ses hyperboles. Il vous eût dit que ces fromages avoient été faits du lait de la chèvre céleste, ou de celui de la vache Io; que votre jambon étoit un membre détaché du sanglier d'Érimanthe: mais pour moi qui vais un peu plus terre à terre, vous trouverez bon que je me contente de vous dire que vous vous moquez

1. Voir là-dessus les deux volumes publiés par M. Cousin sous ce titre : la Société française au XVIIe siècle. Didier, 1858.

de m'envoyer tant de choses à la fois; que si honnêtement j'avois pu les refuser, vos présents seroient retournés à Lyon; que cependant je ne laisse pas d'en avoir toute la reconnoissance que je dois, et qu'on ne peut être plus que je le suis, etc.

P. S. Pour vos mémoires de la république des lettres 1, franchement ils sont bien inférieurs au jambon et aux fromages; et l'auteur y est si grossièrement partial que je ne saurois trouver aucun goût dans ses ouvrages, quoique bien écrits. Je suis si accablé d'affaires que je ne saurois vous écrire que ce peu de mots.

LETTRE XXVIII.

Auteuil, 2 août 1703.

Feu M. Patru, mon illustre ami, étoit non-seulement un critique très-habile, mais un très-violent hypercritique, et en réputation de si grande rigidité, qu'il me souvient que, lorsque M. Racine me faisoit sur des endroits de mes ouvrages quelque observation un peu trop subtile, comme cela lui arrivoit quelquefois, au lieu de lui dire le proverbe latin: Ne sis patruus mihi, « n'ayez point pour moi la sévérité d'un oncle, » je lui disois: Ne sis Patru mihi, «< n'ayez point pour moi la sévérité de Patru. » Je pourrois vous le dire à bien meilleur titre qu'à lui, puisque toutes vos lettres, depuis quelque temps, ne sont que des critiques de mes vers, où vous allez jusqu'à l'excès du raffinement 2. Vous avez reçu de moi une petite narration en rimes, que j'ai composée à la sollicitation de M. Le Verrier pour amener un vers de l'Anthologie; et tous ceux, à commencer par lui, à ́qui je l'ai communiquée, en ont été très-satisfaits. Cependant, bien loin d'en être content, vous me faites concevoir qu'elle ne vaut rien, et, sans me dire ce que vous y trouvez

1. Les Mémoires de Trévoux, de février et de mars 1702.

2. « On voit que Boileau commençait à se lasser des sottes remarques de Brossette...» (Daunou.)

de défectueux, vous allez chercher dans M. Charpentier, c'est-à-dire dans les étables d'Augias, de quoi la rectifier. Ensuite vous vous avisez de trouver une équivoque dans un vers où il n'y en a jamais eu. En effet, où peut-il y en avoir dans cette façon de parler:

Approuve l'escalier tourné d'autre façon 1;

et qui est-ce qui n'entend pas d'abord que le médecin-architecte approuve l'escalier, moyennant qu'il soit tourné d'une autre manière? Cela n'est-il pas préparé par le vers précédent :

Au vestibule obscur il marque une autre place?

Il est vrai que dans la rigueur et dans les étroites règles de la construction, il faudroit dire: Au vestibule obscur il marque une autre place que celle qu'on lui veut donner, et approuve l'escalier tourné d'une autre manière qu'il n'est. Mais cela se sous-entend sans peine; et où en seroit un poëte si on ne lui passoit, je ne dis pas une fois, mais vingt fois dans un ouvrage ces subaudi? Où en seroit M. Racine, si on lui alloit chicaner ce beau vers que dit Hermione à Pyrrhus, dans l'Andromaque :

Je t'aimois inconstant, qu'eussé-je fait fidèle ??

qui dit si bien, et avec une vitesse heureuse: Je t'aimois lorsque tu étois inconstant, qu'eussé-je fait si tu avois été fidėle? Ces sortes de petites licences de construction, nonseulement ne sont pas des fautes, mais sont même assez souvent un des plus grands charmes de la poésie, principalement dans la narration, où il n'y a point de temps à perdre. Ce sont des espèces de latinismes dans la poésie françoise, qui n'ont pas moins d'agréments que les hellénismes dans la poésie latine. Jusqu'ici cependant, monsieur, vous n'avez été que trop scrupuleux et trop rigide; mais où étoient vos lumières quand vous avez douté si ce temple

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fameux, dont parle Thémis dans le Lutrin, est Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle? Est-il possible que vous n'ayez pas vu que ce temple qu'elle désigne à la Piété est ce même temple dont la Piété vient de lui parler quelques vers auparavant avec tant d'emphase, et où est arrivée la querelle du Lutrin?

J'apprends que dans ce temple où le plus saint des rois
Consacra tout le fruit de ses pieux exploits

Et signala pour moi sa pompeuse largesse,
L'implacable Discorde 1, etc.

Comment voulez-vous que le lecteur aille songer à NotreDame, qui n'a point été bâtie par saint Louis, et qui est si éloignée du Palais, y ayant entre elle et le Palais plus de douze fameuses églises, et principalement la célèbre paroisse de Saint-Barthélemy, qui en est beaucoup plus proche 2? Permettez-moi de vous dire que de se faire ces objections, c'est se chicaner soi-même mal à propos, et ne vouloir pas voir clair en plein midi. Je ne vous parle point de la difficulté que vous me faites sur ce vers:

Que votre esprit, vos mœurs, peints dans tous vos ouvrages;

puisqu'il m'est fort indifférent que vous mettiez celui-là,

ou

Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ouvrages.

Il n'est pas vrai pourtant que la construction grammaticale ne soit pas dans le premier de ces deux vers, où la noblesse du genre masculin l'emporte, et qu'on ne puisse fort bien dire en françois: Mars et les Grâces étoient peints dans ce tableau. On peut pourtant dire aussi étoient peintes, mais peints est plus régulier: et pour ce qui est de ce que vous prétendez qu'il s'agit là de l'âme et non point de l'esprit, trouvez bon que je vous fasse ressouvenir que le mot d'es

1. Le Lutrin, chant VI, vers 67-70.

2. Elle était en face du Palais de Justice, dans la rue de la Barillerie (Dulaure, Hist. de Paris, 1. 120), devenue aujourd'hui le boulevard de Sébastopol, et quelques parties en subsistaient encore dans le bâtiment connu sous le nom de Prado. M. CHERON.)

prit, joint avec le mot de mœurs, signifie aussi l'âme; et qu'un esprit bas, sordide, trigaud, etc., veut dire la même chose qu'une âme basse, sordide, etc... Avouez donc, monsieur, que dans toutes ces critiques vous vous montrez un peu trop subtil, et que vous êtes à mon égard en cela Patru patruissimus. Mais je commence à m'apercevoir que je suis moi-même bien peu subtil de ne pas reconnoître que vous les avez faites pour m'exciter à parler, et qu'il n'étoit pas nécessaire d'y répondre sérieusement. Que voulez-vous? Un auteur est toujours auteur, surtout quand on le blesse dans une partie aussi sensible que ses ouvrages, et ses ouvrages imprimés; mais laissons-les là.

Je ne saurois bien vous dire pourquoi M. de Lamoignon n'a point accepté la place qu'on lui vouloit donner dans l'Académie. Il m'a mandé qu'il ne pouvoit pas se résoudre à louer M. Perrault, auquel on le faisoit succéder, et dont, selon les règles, il auroit été obligé de faire l'éloge dans sa harangue; mais c'est une plaisanterie. Quoi qu'il en soit, l'Académie, à mon avis, a suffisamment réparé cet affront, en élisant à sa place M. le coadjuteur de Strasbourg, prince d'un très-grand mérite et d'une très-grande condition, qui en a témoigné une très-grande reconnoissance, jusqu'à aller rendre exactement visite à tous ceux qui lui ont donné leur voix, solatia victis '. Je suis ravi qu'un petit mot dans ma dernière lettre ait un peu contribué au rétablissement de la santé de l'illustre M. Puget. Si mes paroles ont cette vertu magique, je ne m'en applaudirai pas moins que si elles avoient le pouvoir de faire descendre la lune du ciel, sortir du tombeau manes responsa daturos 2. Je vous

1. Gaillard, dans la vie de Lamoignon, cite une lettre écrite en 1703 à ce magistrat par Despréaux, et qui se terminait ainsi : « Quelque mérite qu'ait ce prince (M. de Rohan), et quelque beau que soit le nom de Soubise, je doute que dans une compagnie de gens de lettres, comme l'Académie, il sonne plus agréablement à l'oreille que le nom de Lamoignon. » (DAUNOU.)

2.

Carmina vel cœlo possunt deducere lunam...

(VIRGILE, églogue VIII, vers 69.)
Ut inde

Manes elicerent, animas responsa daturas.

(HORACE, liv. I, satire vIII, vers 29.)

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