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mais MERVEILLEUX, DIVIN, EXCELLENT ENTRE LES CHOSES EXCELLENTES. On dira fort bien en grec qu'Alexandre et Jules César étoient apiσTo: traduira-t-on qu'ils étoient de BONNES GENS? D'ailleurs, le mot de BONNE EAU en françois tombe dans le bas, à cause que cette façon de parler s'emploie dans des usages bas et populaires, A L'ENSEIGNE DE LA BONNE EAU, A LA BONNE EAU-DE-VIE. Le mot d'A LA VÉRITÉ en cet endroit est encore plus familier et plus ridicule, et n'est point dans le grec, où le pav et le de sont comme des espèces d'enclitiques qui ne servent qu'à soutenir la versification. « Et l'or qui brille. » Il n'y a point d'ET dans le grec, et qui n'y est point non plus. « Éclate merveilleusement parmi les richesses. » MERVEILLEUSEMENT est burlesque en cet endroit. Il n'est point dans le grec, et se sent de l'ironie que M. P*** a dans l'esprit, et qu'il tâche de prêter même aux paroles de Pindare en le traduisant 1. « Qui rendent l'homme superbe. » Cela n'est point dans Pindare, qui donne l'épithète de superbe aux richesses mêmes, ce qui est une figure très-belle; au lieu que dans la traduction, n'y ayant point de figure, il n'y a plus par conséquent de poésie. << Mais, mon esprit, » etc. C'est ici où M. P*** achève de perdre la tramontane; et, comme il n'a entendu aucun mot de cet endroit où j'ai fait voir un sens si noble, si majestueux et si clair, on me dispensera d'en faire l'analyse.

Je me contenterai de lui demander dans quel lexicon, dans quel dictionnaire ancien ou moderne, il a jamais trouvé que unde en grec, ou NE en latin, voulût dire CAR. Cependant c'est ce CAR qui fait ici toute la confusion du

1. « Personne ne se sert moins que moi de l'ironie. Je sais bien que c'était la figure favorite de Socrate; mais avec tout cela je ne l'aime point, elle est presque toujours offensante, et je ne veux offenser personne. M. Despréaux ajoute que j'ose prêter l'ironie que j'ai dans l'esprit même aux paroles de Pindare. Ce même est réjouissant; ne semble-t-il pas que les paroles de Pindare soient les paroles de l'Écriture sainte? Cela me fait souvenir de ce qu'on lit dans les notes du Pétrone de M. Nodot : « Il a paru depuis peu un poëme >> en notre langue, où il n'y a pas un vers qui ne soit un blasphème contre la » sacrée antiquité, et même contre Apollon. » O collége! ô collége! que tes impressions demeurent longtemps en de certains esprits!

raisonnement qu'il veut attribuer à Pindare. Ne sait-il pas qu'en toute langue, mettez un CAR mal à propos, il n'y a point de raisonnement qui ne devienne absurde? Que je dise, par exemple: « Il n'y a rien de si clair que le commencement de la première ode de Pindare, et M. P*** ne l'a point entendu,» voilà parler très-juste. Mais si je dis: « Il n'y a rien de si clair que le commencement de la première ode de Pindare, car M. P*** ne l'a point entendu, » c'est fort mal argumenté, parce que d'un fait très-véritable je fais une raison très-fausse, et qu'il est fort indifférent, pour faire qu'une chose soit claire ou obscure, que M. P*** l'entende ou ne l'entende point.

Je ne m'étendrai point davantage à lui faire connoitre une faute qu'il n'est pas possible que lui-même ne sente. J'oserai seulement l'avertir que, lorsqu'on veut critiquer d'aussi grands hommes qu'Homère et que Pindare, il faut avoir du moins les premières teintures de la grammaire, et qu'il peut fort bien arriver que l'auteur le plus habile devienne un auteur de mauvais sens entre les mains d'un traducteur ignorant, qui ne l'entend point, et qui ne sait pas même quelquefois que NI ne veut pas dire CAR.

Après avoir ainsi convaincu M. Perrault sur le grec et sur le latin, il trouvera bon que je l'avertisse aussi qu'il y a une grossière faute de françois dans ces mots de sa traduction: «Mais, mon esprit, ne contemples point, » etc., et que CONTEMPLE, à l'impératif, n'a point d's. Je lui conseille donc de renvoyer cette s au mot de CASUITE, qu'il écrit toujours ainsi, quoiqu'on doive toujours écrire et prononcer CASUISTE. Cette s, je l'avoue, y est un peu plus nécessaire qu'au pluriel du mot d'OPÉRA: car bien que j'aie toujours entendu prononcer des opéras, comme on dit des factums et des totons, je ne voudrois pas assurer qu'on le doive écrire, et je pourrois bien m'être trompé en l'écri

vant de la sorte.

RÉFLEXION VI.

Les mots bas sont comme autant de marques honteuses qui flétrissent l'expression. (Paroles de Longin, ch. xxxiv.)

Cette remarque est vraie dans toutes les langues. Il n'y a rien qui avilisse davantage un discours que les mots bas. On souffrira plutôt, généralement parlant, une pensée basse exprimée en termes nobles, que la pensée la plus noble exprimée en termes bas. La raison de cela est que tout le monde ne peut pas juger de la justesse et de la force d'une pensée; mais qu'il n'y a presque personne, surtout dans les langues vivantes, qui ne sente la bassesse des mots. Cependant il y a peu d'écrivains qui ne tombent quelquefois dans ce vice. Longin, comme nous voyons ici, accuse Hérodote, c'est-à-dire le plus poli de tous les historiens grecs, d'avoir laissé échapper des mots bas dans son histoire. On en reproche à Tite-Live, à Salluste et à Virgile.

N'est-ce donc pas une chose fort surprenante qu'on n'ait jamais fait sur cela aucun reproche à Homère, bien qu'il ait composé deux poëmes, chacun plus gros que l'Énéide, et qu'il n'y ait point d'écrivain qui descende quelquefois dans un plus grand détail que lui, ni qui dise si volontiers les petites choses, ne se servant jamais que de termes nobles, ou employant les termes les moins relevés avec tant d'art et d'industrie, comme remarque Denys d'Halicarnasse, qu'il les rend nobles et harmonieux? Et certainement, s'il y avoit eu quelque reproche à lui faire sur la bassesse des mots, Longin ne l'auroit pas vraisemblablement plus épargné ici qu'Hérodote. On voit donc par là le peu de sens de ces critiques modernes, qui veulent juger du grec sans savoir de grec, et qui, ne lisant Homère que dans des traductions latines très-basses, ou dans des traductions françoises encore plus rampantes, imputent à Homère les bassesses de ses traducteurs, et l'accusent de ce qu'en parlant grec il n'a pas assez noblement parlé latin ou françois. Ces messieurs doivent savoir que les mots des langues ne répondent pas

toujours juste les uns aux autres, et qu'un terme grec trèsnoble ne peut souvent être exprimé en françois que par un terme très-bas. Cela se voit par les mots d'ASINUS en latin et d'ANE en françois, qui sont de la dernière bassesse dans l'une et dans l'autre de ces langues, quoique le mot qui signifie cet animal n'ait rien de bas en grec ni en hébreu, où on le voit employé dans les endroits même les plus magnifiques. Il en est de même du mot MULET et de plusieurs autres 1.

En effet, les langues ont chacune leur bizarrerie: mais la françoise est principalement capricieuse sur les mots; et, bien qu'elle soit riche en beaux termes sur de certains sujets, il y en a beaucoup où elle est fort pauvre; et il y a un très-grand nombre de petites choses qu'elle ne sauroit dire noblement ainsi, par exemple, bien que dans les endroits les plus sublimes elle nomme sans s'avilir un mouton, une chèvre, une brebis, elle ne sauroit, sans se diffamer, dans un style un peu élevé, nommer un veau, une truie, un cochon. Le mot de GÉNISSE en françois est fort beau, surtout dans une églogue; VACHE ne s'y peut pas souffrir. Pasteur et BERGER y sont du plus bel usage, GARDEUR DE POURCEAUX

1. C'est ainsi qu'Homère, Iliade, XI, 556, compare Ajax à un âne :

ὣς Αἴας τότ' ἀπὸ Τρώων τετιημένος ἦτορ

Ἤϊε, πόλλ ̓ ἀέκων· περὶ γὰρ δίε νηυσσὶν ̓Αχαιών.
Ως δ ̓ ὅτ ̓ ὄνος παρ' ἄρουραν ἰὼν ἐβιήσατο παῖδας
Νωθὴς, ᾧ δὴ πολλὰ περὶ ῥόπαλ ̓ ἀμφίς ἐάγη,
Κείρει τ' ἰεσελθὼν βαθὺ λήϊον· οἶδέ τε παῖδες
Τύπτουσιν ῥοπάλοισι· βιὴ δέ τε νηπίη αὐτῶν.

Σπουδῆ τ' ἐξήλασσαν, ἔπείτ ̓ ἐκορέσσατο φορβῆς.

Cette comparaison excitait la colère et les rires de La Motte et de Fontenelle. Sur cette question de la noblesse des termes dans Homère, c'était madame Dacier qui avait raison quand elle disait : « J'aime à voir les héros d'Homère faire ce que faisoient les patriarches, plus grands que les rois et les héros. J'aime à voir Junon s'ajuster elle-même, sans cet attirail de toilette, sans coiffeuse et sans dame d'atour. Hipp. Rigault ajoute : « Ce n'est pas un médiocre honneur pour madame Dacier d'avoir compris dans Homère, à force de l'aimer, les beautés que le xvIIe siècle estimoit le moins en lui. C'est l'amour d'Homère qui instruit madame Dacier de ce que le goût ne lui révélerait pas. Qui avait plus de goût que Racine et Boileau? Et pourtant Boileau découvre dans Homère la noblesse qu'Homère n'a jamais cherchée, et

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OU GARDEUR DE BŒUFS y seroient horribles. Cependant il n'y a peut-être pas dans le grec deux plus beaux mots que συβώτης et βουκόλος, qui répondent à ces deux mots françois; et c'est pourquoi Virgile a intitulé ses Églogues de ce doux nom de BUCOLIQUES, qui veut pourtant dire en notre langue, à la lettre, les ENTRETIENS DES BOUVIERS OU DES GAR

DEURS DE BOEUFS.

Je pourrois rapporter encore ici un nombre infini de pareils exemples. Mais, au lieu de plaindre en cela le malheur de notre langue, prendrons-nous le parti d'accuser Homère et Virgile de bassesse, pour n'avoir pas prévu que ces termes, quoique si nobles et si doux à l'oreille en leur langue, seroient bas et grossiers étant traduits un jour en françois? Voilà en effet le principe sur lequel M. P*** fait le procès à Homère. Il ne se contente pas de le condamner sur les basses traductions qu'on en a faites en latin pour plus grande sûreté, il traduit lui-même ce latin en françois; et avec ce beau talent qu'il a de dire bassement toutes choses, il fait si bien, que, racontant le sujet de l'Odyssée, il fait d'un des plus nobles sujets qui ait jamais été traité un ouvrage aussi burlesque que l'OVIDE EN BELLE HUMEUR '.

Racine invente Arcas, un de ces gentilshommes, comme dit madame Dacier, qu'Agamemnon n'a jamais eus. Après Fénelon, cette amante d'Homère est l'esprit le plus antique du siècle de Louis XIV. » (Hist. de la querelle des anciens et des modernes, p. 360.) Cependant elle n'a pas osé hasarder le nom propre dans sa traduction : « Comme on voit l'animal patient et robuste, mais lent et paresseux. » Elle a eu recours à la périphrase, dit M. Egger, "car il faut toujours, c'est elle qui parle, s'accommoder, surtout pour les expressions, aux idées et aux usages de son siècle, même en les condamnant. »

Sauf les traducteurs Salel et Certon qui traduisent nettement « un asne paresseux, »> « un asne par les champs, » tous les autres sont dans un grand embarras. Bitaubé regrette de ne pouvoir pas nommer l'àne, la monture des rois, que l'éloquent éloge qu'en a fait Buffon devrait réhabiliter, armi nous. Lebrun traduit : « Tel est cet animal utile qu'outragent nos dédains. » Il faut donner pourtant la palme à Dobremès (1794):

Comme on voit cet objet de nos mépris injustes,
Cet esclave de l'homme, aux accents si robustes,
Ce quadrupede utile, obstiné, paresseux,
Compagnon dédaigné de nos coursiers fougueux,
Que l'avare Cybèle, en des bords aquatiques,
Nourrit de roseaux verts on de charbons rustiques.

1. Voyez Art poétique, chant I.

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