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D. O. M.

<< Ici.repose le corps de messire JEAN RACINE, trésorier de » France, secrétaire du roi, gentilhomme ordinaire de sa cham>> bre, et l'un des quarante de l'Académie françoise qui, après >> avoir longtemps charmé la France par ses excellentes poésies >> profanes, consacra ses muses à Dieu, et les employa unique>>ment à louer le seul objet digne de louange. Les raisons in>> dispensables qui l'attachoient à la cour, l'empêchèrent de >> quitter le monde; mais elles ne l'empêchèrent pas de s'acquit>>ter, au milieu du monde, de tous les devoirs de la piété et de » la religion. Il fut choisi avec un de ses amis 1 par le roi Louis >> le Grand pour rassembler en un corps d'histoire les merveilles >> de son règne et il étoit occupé à ce grand ouvrage, lorsque >> tout à coup il fut attaqué d'une longue et cruelle maladie, qui » à la fin l'enleva de ce séjour de misères, en sa cinquante-neu>> vième année. Bien qu'il eût extrêmement redouté la mort » lorsqu'elle étoit encore bien loin de lui, il la vit de près sans » s'étonner, et mourut beaucoup plus rempli d'espérance que de >> crainte, dans une entière résignation à la volonté de Dieu. Sa >> perte toucha sensiblement ses amis, entre lesquels il pouvoit >> compter les premières personnes du royaume, et il fut re» gretté du roi même. Son humilité, et l'affection particulièreR >> qu'il eut toujours pour cette maison de Port-Royal-des>> Champs, lui firent souhaiter d'être enterré sans aucune pompe » dans ce cimetière avec les humbles serviteurs de Dieu qui » y reposent; et auprès desquels il a été mis, selon qu'il l'avoit » ordonné par son testament.

>> O toi, qui que tu sois, que la piété attire en ce saint lieu, >> plains dans un si excellent homme la triste destinée de tous >> les mortels; et, quelque grande idée que puisse te donner de >> lui sa réputation, souviens-toi que ce sont des prières et » non pas des éloges qu'il te demande. >>

1. Boileau lui-même.

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Mais c'est à la charge, mon cher Térentianus, que nous reverrons ensemble exactement mon ouvrage, et que vous m'en direz votre sentiment avec cette sincérité que nous devons naturellement à nos amis. (Paroles de Longin, ch. 1.)

Longin nous donne ici, par son exemple, un des plus importants préceptes de la rhétorique, qui est de consulter nos amis sur nos ouvrages, et de les accoutumer de bonne heure à ne nous point flatter. Horace et Quintilien nous donnent le même conseil en plusieurs endroits, et Vaugelas, le plus sage, à mon avis, des écrivains de notre langue, confesse que c'est à cette salutaire pratique qu'il doit ce qu'il a de meilleur dans ses écrits. Nous avons beau être éclairés par nous-mêmes, les yeux d'autrui voient toujours plus loin que nous dans nos défauts, et un esprit médiocre fera quelquefois apercevoir le plus habile homme d'une méprise qu'il ne voyoit pas. On dit que Malherbe consultoit sur ces vers jusqu'à l'oreille de sa servante; et je me souviens que Molière m'a montré aussi plusieurs fois une vieille servante, qu'il avoit chez lui, à qui il lisoit, disoit-il, quelquefois ses comédies, et il m'assuroit que lorsque des endroits de plaisanterie ne l'avoient point frappée, il les corrigeoit, parce qu'il avoit plusieurs fois éprouvé sur son théâtre que ces

1. « A proprement parler, les Réflexions sur Longin sont un répertoire des bévues de Perrault. Boileau n'y aborde aucune question, il n'y soutient aucune doctrine: il y relève les contre-sens, les fautes de style, et même les fautes d'orthographe... On a critiqué le style de Boileau dans les réflexions sur Longin il est lourd, a-t-on dit, grand défaut dans la polémique; ce n'est pas la pesanteur que j'y reprendrai: même quand l'expression de Boileau manque de légèreté, sa pensée est assez vive pour aiguillonner l'attention. Ce qui me paraît regrettable, c'est l'accent dédaigneux, c'est la dureté des termes, bévue, ignorance, ineptie ridicule, que Boileau prodigue en parlant de Perrault.» (H. RIGAULT, Histoire de la querelle des Anciens et Modernes, ch. xv.)

endroits n'y réussissoient point. Ces exemples sont un peu singuliers, et je ne voudrois pas conseiller à tout le monde de les imiter. Ce qui est de certain, c'est que nous ne saurions trop consulter nos amis.

Il paroît néanmoins que M. P*** n'est pas de ce sentiment. S'il croyoit ses amis, on ne les verroit pas tous les jours dans le monde nous dire comme ils font : « M. P*** est de mes amis, et c'est un fort honnête homme; je ne sais pas comment il s'est allé mettre en tête de heurter si lourdement la raison, en attaquant dans ses Parallèles tout ce qu'il y a de livres anciens estimés et estimables. Veut-il persuader à tous les hommes que depuis deux mille ans ils n'ont pas eu le sens commun 1? Cela fait pitié. Aussi se garde-t-il bien de nous montrer ses ouvrages. Je souhaiterois qu'il se trouvât quelque honnête homme qui lui voulût sur cela charitablement ouvrir les yeux. »>

Je veux bien être cet homme charitable. M. P*** m'a prié de si bonne grâce lui-même de lui montrer ses erreurs, qu'en vérité je ferois conscience de ne lui pas donner sur cela quelque satisfaction. J'espère donc de lui en faire voir plus d'une dans le cours de ces remarques. C'est la moindre chose que je lui dois, pour reconnoître les grands services que feu monsieur son frère le médecin m'a, dit-il, rendus, en me guérissant de deux grandes maladies. Il est certain pourtant que monsieur son frère ne fut jamais mon médecin. Il est vrai que lorsque j'étois encore tout jeune, étant tombé malade d'une fièvre assez peu dangereuse, une de mes parentes chez qui je logeois, et dont il étoit médecin, me l'amena, et qu'il fut appelé deux ou trois fois en consultation par le médecin qui avoit soin de moi. Depuis, c'est-à-dire trois ans après, cette même parente me l'amena une seconde fois, et me força de le consulter sur une diffi

1. Voici le jugement que Saint-Évremond portait sur le livre de Perrault : << Perrault a mieux trouvé les défauts des anciens, qu'il n'a prouvé l'avantage des modernes. A tout prendre, son livre me semble très bon, curieux, utile, capable de nous guérir de beaucoup d'erreurs. >> (La vie de M. de SaintÉvremond par Des Maiseaux, t. I, p. 259.)

culté de respirer que j'avais alors, et que j'ai encore; il me tâta le pouls, et me trouva la fièvre, que sûrement je n'avois point. Cependant il me conseilla de me faire saigner du pied, remède assez bizarre pour l'asthme dont j'étois menacé. Je fus toutefois assez fou pour faire son ordonnance dès le soir même. Ce qui arriva de cela, c'est que ma difficulté de respirer ne diminua point, et que le lendemain, ayant marché mal à propos, le pied m'enfla de telle sorte, que j'en fus trois semaines dans le lit. C'est là toute la cure qu'il m'a jamais faite, que je prie Dieu de lui pardonner en l'autre monde 1.

Je n'entendis plus parler de lui depuis cette consultation, sinon lorsque mes Satires parurent, qu'il me revint, de tous côtés que, sans que j'en aie jamais pu savoir la raison, il se déchaînoit à outrance contre moi, ne m'accusant pas simplement d'avoir écrit contre des auteurs, mais d'avoir glissé dans mes ouvrages des choses dangereuses et qui regardoient l'État. Je n'appréhendais guère ces calomnies, mes satires n'attaquant que les méchants livres, et étant toutes pleines des louanges du roi, et ces louanges mêmes en faisant le plus bel ornement. Je fis néanmoins avertir M. le médecin qu'il prît garde à parler avec un peu plus de retenue; mais cela ne servit qu'à l'aigrir encore davantage. Je m'en plaignis même alors à monsieur son frère l'académicien, qni ne me jugea pas digne de réponse. J'avoue que c'est ce qui me fit faire dans mon Art poétique la métamorphose du médecin de Florence en architecte; vengeance assez médiocre de toutes les infamies que ce médecin avoit dites de moi. Je ne nierai pas cependant qu'il ne fût homme de très-grand mérite et fort savant, surtout dans les matières de physique. Messieurs de l'Académie des sciences, néanmoins, ne conviennent pas tous de l'excellence de sa traduction de Vitruve, ni de toutes les choses avantageuses que monsieur son frère rapporte de lui. Je puis même nommer un des plus célèbres de l'Aca

1. Claude Perrault était mort six ans auparavant, le 9 d'octobre 1688.

démie d'architecture, qui s'offre de lui faire voir, quand il voudra, papiers sur table, que c'est le dessin du fameux -M. Le Vau qu'on a suivi dans la façade du Louvre, et qu'il n'est point vrai que ni ce grand ouvrage d'architecture, ni l'Observatoire, ni l'Arc de triomphe, soient des ouvrages d'un médecin de la Faculté. C'est une querelle que je leur laisse démêler entre eux, et où je déclare que je ne prends aucun intérêt, mes vœux mêmes, si j'en fais quelques-uns, étant pour le médecin. Ce qu'il y a de vrai, c'est que ce médecin étoit de même goût que monsieur son frère sur les anciens, et qu'il avoit pris en haine, aussi bien que lui, tout ce qu'il y a de grands personnages dans l'antiquité. On assure que ce fut lui qui composa cette belle Défense de l'opéra d'Alceste où, voulant tourner Euripide en ridicule, il fit ces étranges bévues que M. Racine a si bien relevées dans la préface de son Iphigénie. C'est donc de lui et d'un autre frère encore qu'ils avoient, grand ennemi comme eux de Platon, d'Euripide et de tous les autres bons auteurs, que j'ai voulu parler, quand j'ai dit qu'il y avoit de la bizarrerie d'esprit dans leur famille, que je reconnois d'ailleurs pour une famille pleine d'honnêtes gens, et où il y en a même plusieurs, je crois, qui souffrent Homère et Virgile.

On me pardonnera, si je prends encore ici l'occasion de désabuser le public d'une autre fausseté que M. P*** a avancée dans la Lettre bourgeoise qu'il m'a écrite, et qu'il a fait imprimer, où il prétend qu'il a autrefois beaucoup servi à un de mes frères auprès de M. Colbert, pour lui faire avoir l'agrément de la charge de contrôleur de l'argenterie. Il allègue pour preuve, que mon frère, depuis qu'il eut cette charge, venoit tous les ans lui rendre une visite, qu'il appeloit de devoir, et non pas d'amitié. C'est une vanité dont il est aisé de faire voir le mensonge, puisque mon frère mourut dans l'année qu'il obtint cette charge, qu'il n'a possédée, comme tout le monde sait, que quatre mois, et que même, en considération de ce qu'il n'en avoit point joui, mon autre frère, pour qui nous ob

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