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nissons-les de la manière la plus terrible. Je crois l'avoir trouvée. C'est qu'ils soient obligés désormais à lire exactement les vers les uns des autres. Horace, faites-leur savoir ma volonté.

HORACE. De la part d'Apollon, il est ordonné, etc.

SANTEUL. Que je lise le galimatias de Dupérier! Moi! je n'en ferai rien. C'est à lui de lire mes vers.

DUPÉRIER. Je veux que Santeul commence par me reconnoître pour son maître, et après cela je verrai si je puis me résoudre à lire quelque chose de son phébus.

Ces poètes continuent à se quereller; ils s'accablent réciproquement d'injures, et Apollon les fait chasser honteusement du Parnasse.

ARRÊT BURLESQUE

DONNÉ EN LA GRAND'CHAMBRE DU PARNASSE,

EN FAVEUR DES MAITRES ÈS ARTS, MÉDECINS ET PROFESSEURS DE L'UNIVERSITÉ DE STAGIRE1, AU PAYS DES CHIMÈRES,

POUR LE MAINTIEN DE LA DOCTRINE D'ARISTOTE.

Vu par la cour la requête présentée 2 par les régens, maître ès arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maître en blanc, Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collége du Lycée, et précepteur du feu roi de querelleuse mémoire, Alexandre dit le Grand, acquéreur de l'Asie, Europe, Afrique et autres lieux; contenant que, depuis quelques années, une inconnue, nommée la Raison, auroit entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université, et pour cet effet, à l'aide de certains quidams factieux, prenant les surnoms de Gassendistes,

1. Ville de Macédoine sur la mer Egée, et patrie d'Aristote. B.

2. L'Université avoit présenté requête au parlement pour empêcher qu'on enseignât la philosophie de Descartes. La requête fut supprimée, et Bernier en fit imprimer une de sa façon. B.

3. C'est-à-dire : pas de nom de baptême.

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Cartésiens, Malebranchistes et Pourchotistes, gens sans aveu, se seroit mise en état d'en expulser ledit Aristote, ancien et paisible possesseur desdites écoles, contre lequel elle et ses consorts auroient déjà publié plusieurs livres, traités, dissertations et raisonnemens diffamatoires, voulant assujettir ledit Aristote à subir devant elle l'examen de sa doctrine, ce qui seroit directement opposé aux lois, us et coutumes de ladite Université, où ledit Aristote auroit toujours été reconnu pour juge sans appel et non comptable de ses opinions. Que même, sans l'aveu d'icelui, elle auroit changé et innové plusieurs choses en et au dedans de la nature, ayant ôté au cœur la prérogative d'être le principe des nerfs, que ce philosophe lui avait accordée libéralement et de son bon gré, et laquelle elle auroit cédée et transportée au cerveau. Et ensuite, par une procédure nulle de toute nullité, auroit attribué audit cœur la charge de recevoir le chyle, appartenant ci-devant au foie, comme aussi de faire voiturer le sang par tout le corps, avec plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et artères, n'ayant autre droit ni titre, pour faire lesdites vexations, que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles. Auroit aussi attenté ladite Raison, par une entreprise inouïe, de déloger le feu de la plus haute région du ciel, et prétendu qu'il n'avoit là aucun domicile, nonobstant les certificats dudit philosophe, et les visites et descentes faites par lui sur les lieux. Plus, par un attentat et voie de fait énorme contre la Faculté de médecine, se seroit ingérée de guérir, et auroit réellement et de fait guéri quantité de fièvres intermittentes, comme tierces, doubles tierces, quartes, triples quartes, et même continues, avec vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues inconnues audit Aristote et à Hippocrate son devancier, et ce sans saignée, purgation ni évacuation précédentes; ce qui est non-seulement irrégulier, mais tortionnaire et abusif; ladite Raison n'ayant jamais été admise ni agrégée au corps de ladite Faculté, et ne pouvant par conséquent consulter avec les

docteurs d'icelle, ni être consultée par eux, comme elle ne l'a en effet jamais été. Nonobstant quoi, et malgré les plaintes et oppositions réitérées des sieurs Blondel, Courtois, Denyau et autres défenseurs de la bonne doctrine, elle n'auroit pas laissé de se servir toujours desdites drogues, ayant eu la hardiesse de les employer sur les médecins mêmes de ladite Faculté, dont plusieurs, au grand scandale des règles, ont été guéris par lesdits remèdes : ce qui est d'un exemple très-dangereux, et ne peut avoir été fait que par mauvaises voies, sortiléges et pactes avec le diable. Et non contente de ce, auroit entrepris de diffamer et de bannir des écoles de philosophie les formalités, matérialités, entités, identités, virtualités, eccéités, pétréités, polycarpéités et autres êtres imaginaires, tous enfans et ayans cause de défunt maître Jean Scot, leur père; ce qui porteroit un préjudice notable et causeroit la totale subversion de la philosophie scolastique, dont elles font tout le mystère, et qui tire d'elles toute sa subsistance, s'il n'y étoit par la cour pourvu. Vu les libelles intitulés Physique de Rohault, Logique de Port-Royal, Traités du Quinquina, même l'ADVERSUS ARISTOTELEOS de Gassendi, et autres pièces attachées à ladite requête, signée CHICANEAU, procureur de ladite Université: Ouï le rapport du conseiller commis, tout considéré :

La cour, ayant égard à ladite requête, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Aristote en la pleine et paisible possession et jouissance desdites écoles. Ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigné par les régens, docteurs, maîtres ès arts et professeurs de ladite Université, sans que pour cela ils soient obligés de le lire, ni de savoir sa langue et ses sentimens. Et sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers. Enjoint au cœur de continuer d'être le principe des nerfs, et à toutes personnes, de quelque condition et profession qu'elles soient, de le

1. Blondel a écrit que le bon effet du quinquina venoit des pactes que les Américains avoient faits avec le diable. Courtois, médecin, aimoit fort la saignée. Denyau, autre médecin, nioit la circulation du sang. B.

croire tel, nonobstant toute expérience à ce contraire. Ordonne pareillement au chyle d'aller droit au foie, sans plus passer par le cœur, et au foie de le recevoir. Fait défenses au sang d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. Défend à la Raison et à ses adhérens de plus, s'ingérer à l'avenir de guérir les fièvres tierces, doubles tierces, quartes, triples quartes ni continues, par mauvais moyens et voies de sortiléges, comme vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues non approuvées ni connues des anciens. Et en cas de guérisons irrégulières par icelles drogues, permet aux médecins de ladite Faculté de rendre, suivant leur méthode ordinaire, la fièvre aux malades, avec casse, séné, sirops, juleps et autres remèdes propres à ce, ei de remettre lesdits malades en tel et semblable état qu'ils étoient auparavant, pour être ensuite traités selon les règles, et, s'ils n'en réchappent, conduits du moins en l'autre monde suffisamment purgés et évacués. Remet les entités, identités, virtualités, eccéités et autres pareilles formules scotistes, en leur bonne fame et renommée. A donné acte aux sieurs Blondel, Courtois et Denyau de leur opposition au bon sens. A réintégré le feu dans la plus haute région du ciel, suivant et conformément aux descentes faites sur les lieux. Enjoint à tous régens, maîtres ès arts et professeurs d'enseigner comme ils ont accoutumé, et de se servir, pour raison de ce, de tel raisonnement qu'ils aviseront bon être, et aux répétiteurs hibernois et autres leurs suppôts de leur prêter main-forte, et de courir sus aux contrevenans, à peine d'être privés du droit de disputer sur les prolégomènes de la logique. Et afin qu'à l'avenir il n'y soit contrevenu, a banni à perpétuité la Raison des écoles de ladite Université; lui fait défenses d'y entrer, troubler ni inquiéter ledit Aristote en la possession et jouissances d'icelles, à peine d'être déclarée janséniste et amie des nouveautés. Et à cet effet sera le présent arrêt lu et publié aux Mathurins de Stagire, à la première assemblée qui sera faite pour la

procession du recteur1, et affiché aux portes de tous les colléges du Parnasse el partout où besoin sera. Fait le trentehuitième jour d'août onze mil six cent soixante et quinze. COLLATIONNÉ AVEC PARAPHE.

DISSERTATION CRITIQUE

SUR L'AVENTURE DE JOCONDE

RACONTÉE PAR L'ARIOSTE, PAR LA FONTAINE

ET PAR BOUILLON

A M. FRANÇOIS LA MOTTE LE VAYER DE BOUTIGNY

MONSIEUR,

Votre gageure est sans doute fort plaisante, et j'ai ri de tout mon cœur de la bonne foi avec laquelle votre ami soutient une opinion aussi peu raisonnable que la sienne. Mais cela ne m'a point du tout surpris: ce n'est pas d'aujourd'hui que les plus méchants ouvrages ont trouvé de sincères protecteurs, et que des opiniâtres ont entrepris de combattre la raison à force ouverte. Et, pour ne vous point citer ici d'exemples du commun, il n'est pas que vous n'ayez oui parler du goût bizarre de cet empereur 2 qui préféra les écrits d'un je ne sais quel poëte aux ouvrages d'Homère, et qui ne vouloit pas que tous les hommes ensemble, pendant près de vingt siècles, eussent eu le sens commun.

Le sentiment de votre ami a quelque chose d'aussi monstrueux. Et certainement quand je songe à la chaleur avec laquelle il va, le livre à la main, défendre le Joconde de M. Bouillon, il me semble voir Marfise, dans l'Arioste, puisque Arioste il y a, qui veut faire confesser à tous les chevaliers que cette vieille qu'elle a en croupe est un chef

1. Quand le recteur faisoit ses processions, l'Université de Paris s'assembloit aux Mathurins. Brossette.

2. Caligula. (Voy. Suétone, Vie de Caligula, § 34.)

3. Saint-Gilles, qui avoit parié pour le Joconde de Bouillon.

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