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CASSAIGNE.

Mes pareils avec toi sont dignes de combattre,

Et pour des coups d'essai veulent des Henri quatre 1!

Sais-tu bien qui je suis?

LA SERRE.

CASSAIGNE.

Oui, tout autre que moi, En comptant tes écrits, pourroit trembler d'effroi. Mille et mille papiers, dont la table est couverte, Semblent porter écrit le destin de ma perte. J'attaque en téméraire un gigantesque auteur; Mais j'aurai trop de force, ayant assez de cœur. Je veux venger mon maître; et ta plume indomptable, Pour ne se point lasser, n'est point infatigable.

LA SERRE.

Ce phébus, qui paroît au discours que tu tiens,
Souvent par les écrits se découvrit aux miens,
Et, te voyant encor tout frais sorti de classe,
Je disois Chapelain lui laissera sa place.
Je sais ta pension, et suis ravi de voir
Que ces bons mouvemens excitent ton devoir;
Qu'ils te font sans raison mettre rime sur rime,
Étayer d'un pédant l'agonisante estime;
Et que, voulant pour singe un écolier parfait,
Il ne se trompoit point au choix qu'il avoit fait.
Mais je sens que pour toi ma pitié m'intéresse;
J'admire ton audace, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal;
Dispense un vieux routier d'un combat inégal.
Trop peu de gain pour moi suivroit cette victoire :
A moins d'un gros volume, on compose sans gloire;
Et j'aurois le regret de voir que tout Paris
Te croiroit accablé du poids de mes écrits.

CASSAIGNE.

D'une indigne pitié ton orgueil s'accompagne:

1. Allusion au poëme de Cassaigne, Henri IV.

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Viens, tu fais ton devoir. L'écolier est un traitre,
Qui souffre sans cheveux la tête de son maître.

LA MÉTAMORPHOSE

DE LA PERRUQUE DE CHAPELAIN EN COMÈTE

La plaisanterie que l'on va voir est une suite de la parodie précédente. Elle fut imaginée par les mêmes auteurs, à l'occasion de la comète qui parut à la fin de l'année 1664. Ils étoient à table chez M. Hessein, frère de l'illustre madame La Sablière.

On feignoit que Chapelain, ayant été décoiffé par La Serre, avoit laissé sa perruque à calotte dans le ruisseau, où La Serre l'avoit jetée.

Dans un ruisseau bourbeux la calotte enfoncée
Parmi de vieux chiffons alloit être entassée,
Quand Phébus l'aperçut, et du plus haut des airs
Jetant sur les railleurs un regard de travers:
Quoi! dit-il, je verrai cette antique calotte,
D'un sale chiffonnier remplir l'indigne hotte!

Ici devoit être la description de cette fameuse perruque,

Qui de tous ses travaux la compagne fidèle,
A vu naître Guzman et mourir la Pucelle;
Et qui de front en front passant à ses neveux
Devoit avoir plus d'ans qu'elle n'eut de cheveux.

Enfin Apollon changeoit cette perruque en comète. Je veux, disoit ce dieu, que tous ceux qui naîtront sous ce nouvel astre soient poëtes,

Et qu'ils fassent des vers, même en dépit de moi.

Furetière, l'un des auteurs de la pièce, remarqua pourtant que cette métamorphose manquoit de justesse en un point: C'est, dit-il, que les comètes ont des cheveux, et que la perruque de Chapelain est si usée, qu'elle n'en a plus. Cette badinerie n'a jamais été achevée.

Chapelain souffrit, dit-on, avec beaucoup de patience les satires que l'on fit contre sa perruque. On lui a attribué l'épigramme suivante, qui n'est pas de lui :

Railleurs, en vain vous m'insultez,

Et la pièce vous emportez;

En vain vous découvrez ma nuque :
J'aime mieux la condition

D'être défroqué de perruque

Que défroqué de pension.

DISCOURS

SUR LE DIALOGUE SUIVANT

Le dialogue qu'on donne ici au public a été composé à l'occasion de cette prodigieuse multitude de romans qui parurent vers le milieu du siècle précédent, et dont voici en peu de mots l'origine. Honoré d'Urfé, homme de fort grande qualité dans le Lyonnois, et très-enclin à l'amour, voulant faire valoir un grand nombre de vers qu'il avoit composés pour ses maîtresses, et rassembler en un corps plusieurs aventures amoureuses qui lui étoient arrivées, s'avisa d'une invention très-agréable. Il feignit que dans le Forez, petit pays contigu à la Limagne d'Auvergne, il y avoit eu, du temps de nos premiers rois, une troupe de bergers et de bergères qui habitoient sur les bords de la rivière du Lignon, et qui, assez accommodés des biens de

la fortune, ne laissoient pas néanmoins, par un simple amusement, et pour leur seul plaisir, de mener paître eux-mêmes leurs troupeaux. Tous ces bergers et toutes ces bergères étant d'un fort grand loisir, l'amour, comme on le peut penser, et comme il le raconte lui-même, ne tarda guère à les y venir troubler, et produisit quantité d'événemens considérables. D'Urfé y fit arriver toutes ses aventures, parmi lesquelles il en mêla beaucoup d'autres, et enchâssa les vers dont j'ai parlé, qui, tout méchans qu'ils étoient, ne laissèrent pas d'être soufferts et de passer à la faveur de l'art avec lequel il les mit en œuvre : car il soutint tout cela d'une narration également vive et fleurie, de fictions très-ingénieuses et de caractères aussi finement imaginés qu'agréablement variés et bien suivis. Il composa ainsi un roman qui lui acquit beaucoup de réputation, et qui fut fort estimé, même des gens du goût le plus exquis, bien que la morale en fût fort vicieuse, ne prêchant que l'amour et la mollesse, et allant quelquefois jusqu'à blesser un peu la pudeur. Il en fit quatre volumes qu'il intitula Astrée, du nom de la plus belle de ses bergères; et sur ces entrefaites étant mort, Baro, son ami, et, selon quelquesuns, son domestique, en composa sur ses mémoires un cinquième tome qui en formoit la conclusion, et qui ne fut guère moins bien reçu que les quatre autres volumes. Le grand succès de ce roman échauffa si bien les beaux esprits d'alors, qu'ils en firent à son imitation quantité de semblables, dont il y en avoit même de dix et de douze volumes; et ce fut quelque temps comme une espèce de débordement sur le Parnasse. On vantoit surtout ceux de Gomberville, de La Calprenède, de Desmarets et de Scudéri. Mais ces imitateurs s'efforçant mal à propos d'enchérir sur leur original, et prétendant ennoblir ses caractères, tombèrent, à mon avis, dans une très-grande puérilité; car, au lieu de prendre, comme lui, pour leurs héros, des bergers occupés du seul soin de gagner le cœur de leurs maîtresses, ils prirent, pour leur donner cette étrange occupation, non-seulement des princes et des rois, mais les plus fameux capi

taines de l'antiquité, qu'ils peignirent pleins du même esprit que ces bergers, ayant, à leur exemple, fait comme une espèce de vœu de ne parler jamais et de n'entendre jamais parler que d'amour. De sorte qu'au lieu que d'Urfé dans son Astrée, de bergers très-frivoles avoit fait des héros de roman considérables, ces auteurs, au contraire, des héros les plus considérables de l'histoire firent des bergers très-frivoles, et quelquefois même des bourgeois, encore plus frivoles que ces bergers. Leurs ouvrages néanmoins ne laissèrent pas de trouver un nombre infini d'admirateurs, et eurent longtemps une fort grande vogue. Mais ceux qui s'attirèrent le plus d'applaudissemens ce furent le Cyrus et la Clélie de mademoiselle de Scudéri, sœur de l'auteur du même nom. Cependant non-seulement elle tomba dans la même puérilité, mais elle la poussa encore à un plus grand excès. Si bien qu'au lieu de représenter, comme elle le devoit, dans la personne de Cyrus, un roi promis par les prophètes, tel qu'il est exprimé dans la Bible, ou, comme le peint Hérodote, le plus grand conquérant que l'on eût encore vu, ou enfin tel qu'il est figuré dans Xénophon, qui a fait aussi bien qu'elle un roman de la vie de ce prince; au lieu, dis-je, d'en faire un modèle de toute perfection, elle en composa un Artamène plus fou que tous les Céladons et tous les Sylvandres; qui n'est occupé que du seul soin de sa Mandane, qui ne sait du matin au soir que lamenter, gémir et filer le parfait amour. Elle a encore fait pis dans son autre roman intitulé Clélie, où elle représente tous les héros de la république romaine naissante, les Horatius Coclès, les Mutius Scévola, les Clélie, les Lucrèce, les Brutus, encore plus amoureux qu'Artamène, ne s'occupant qu'à tracer des cartes géographiques d'amour, qu'à se proposer les uns aux autres des questions et des énigmes galantes; en un mot, qu'à faire tout ce qui paroît le plus opposé au caractère et à la gravité héroïque de ces premiers Romains.

Comme j'étois fort jeune dans le temps que tous ces romans, tant ceux de mademoiselle de Scudéri, que ceux de

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