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Et mon cœur, irrité de sa longue souffrance,
Dans l'excès de son mal trouva sa guérison.

Depuis, mon âme, Iris, que vous aviez charmée,
N'a plus formé pour vous de désirs superflus,
Et je me tiens henreux de vous avoir aimée
Pour avoir le plaisir de ne vous aimer plus.

Conservez donc toujours cette humeur inflexible
Dont l'heureuse rigueur m'a su tirer des fers;
Le ciel, dont la bonté vous a faite insensible,
A peut-être par là sauvé tout l'univers.

Je sais que mille amans font gloire de vous suivre
Et ne condamne point leur amour ni leur choix :
Mais, pour n'être point las de vivre sous vos lois,
Il faut, cruelle, il faut être bien las de vivre.

VII

TRADUCTION D'UNE ÉPIGRAMME DE SANTEUL SUR LA TRANSLATION DU COEUR D'ARNAULD A PORT-ROYAL-DES-CHAMPS.

Chassé, quoique vainqueur, du sein de sa patrie,
Il revient habiter une maison chérie,

Cet arbitre des mœurs, par qui la vérité
Triompha du mensonge et de l'impiété.
Au port et dans le sein d'une terre sacrée
Il goûte après l'orage une paix assurée.
Qu'en des lieux inconnus le sort injurieux
Cache du corps d'ARNAULD les restes précieux,
Ici l'amour divin, sur ses rapides ailes,
Lui-même a transporté les dépouilles mortelles
De ce cœur que l'exil n'a jamais détaché

Des saints lieux dont ARNAULD fut par force arraché.

CHAPELAIN DÉCOIFFÉ

OU PARODIE DE QUELQUES SCÈNES DU CID

SCÈNE I1.

LA SERRE, CHAPELAIN.

LA SERRE.

Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi
Vous accable de dons qui n'étoient dus qu'à moi.
On voit rouler chez vous tout l'or de la Castille.

CHAPELAIN.

Les trois fois mille francs qu'il met dans ma famille
Témoignent mon mérite, et font connoître assez
Qu'on ne hait pas mes vers, pour être un peu forcés.

LA SERRE.

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :
Ils se trompent en vers comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu'à de méchants auteurs ils font de beaux présens.

CHAPELAIN.

Ne parlons point du choix dont votre esprit s'irrite :
La cabale l'a fait plutôt que le mérite.
Vous choisissant, peut-être on eût pu mieux choisir;
Mais le roi m'a trouvé plus propre à son désir.
A l'honneur qu'il m'a fait ajoutez-en un autre :
Unissons désormais ma cabale à la vôtre.

J'ai mes prôneurs aussi, quoiqu'un peu moins fréquens
Depuis que mes sonnets ont détrompé les gens.

Si vous me célébrez, je dirai que La Serre
Volume sur volume incessamment desserre.
Je parlerai de vous avec monsieur Colbert,
Et vous éprouverez si mon amitié sert.

Ma nièce même en vous peut rencontrer un gendre.

1. Le Cid, acte I, sc. Iv.

LA SERRE.

A de plus hauts partis Phlipote doit prétendre :
Et le nouvel éclat de cette pension

Lui doit bien mettre au cœur une autre ambition.
Exerce nos rimeurs, et vante notre prince;

Va te faire admirer chez les gens de province,
Fais marcher en tous lieux les rimeurs sous ta loi,
Sois des flatteurs l'amour, et des railleurs l'effroi.
Joins à ces qualités celles d'une âme vaine. :
Montre-leur comme il faut endurcir une veine,
Au métier de Phébus bander tous les ressorts,
Endosser nuit et jour un rouge justaucorps,
Pour avoir de l'encens donner une bataille,
Ne laisser de sa bourse échapper une maille;
Surtout sers-leur d'exemple, et ressouviens-toi bien
De leur former un style aussi dur que le tien.

CHAPELAIN.

Pour s'instruire d'exemple, en dépit de Linière,
Ils liront seulement ma Jeanne tout entière,
Là, dans un long tissu d'amples narrations,
Ils verront comme il faut berner les nations,
Duper d'un grave ton gens de robe et d'armée,
Et sur l'erreur des sots bâtir sa renommée.

LA SERRE.

L'exemple de La Serre a bien plus de pouvoir :
Un auteur dans ton livre apprend mal son devoir
Et qu'a fait après tout ce grand nombre de pages,
Que ne puisse égaler un de mes cent ouvrages?
Si tu fus grand flatteur, je le suis aujourd'hui,
Et ce bras de la presse est le plus ferme appui.
Bilaine et de Sercy sans moi seroient des drilles;
Mon nom seul au Palais nourrit trente familles :
Les marchands fermeroient leurs boutiques sans moi,
Et, s'ils ne m'avoient plus, ils n'auroient plus d'emploi.
Chaque heure, chaque instant, fait sortir de ma plume
Cahiers dessus cahiers, volume sur volume.
Mon valet, écrivant ce que j'aurois dicté,

Feroit un livre entier, marchant à mon côté;

Et loin de ces durs vers qu'à mon style on préfère, Il deviendrait auteur en me regardant faire.

CHAPELAIN.

Tu me parles en vain de ce que je connoi:
Je t'ai vu rimailler et traduire sous moi.
Si j'ai traduit Gusman, si j'ai fait sa préface,
Ton galimatias a bien rempli ma place.
Enfin, pour épargner ces discours superflus,
Si je suis grand flatteur, tu l'es et tu le fus.
Tu vois bien cependant qu'en cette concurrence
Un monarque entre nous met de la différence.

LA SERRE.

Ce que je méritois, tu me l'as emporté.

CHAPELAIN.

Qui l'a gagné sur toi l'avoit mieux mérité.

LA SERRE.

Qui sait mieux composer en est bien le plus digne.

CHAPELAIN.

En être refusé n'en est pas un bon signe.

LA SERRE.

Tu l'as gagné par brigue, étant vieux courtisan.

CHAPELAIN.

L'éclat de mes grands vers fut seul mon partisan.

LA SERRE.

Parlons-en mieux : le roi fait honneur à ton âge.

CHAPELAIN.

Le roi, quand il en fait, le mesure à l'ouvrage.

LA SERRE.

Et par là je devois emporter ces ducats.

CHAPELAIN.

Qui ne les obtient point ne les mérite pas.

Ne les mérite pas, moi?

LA SERRE.

CHAPELAIN.

Toi.

LA SERRE.

Ton insolence,

Téméraire vieillard, aura sa récompense!

Il lui arrache sa perruque.

CHAPELAIN.

Achève, et prends ma tête après un tel affront,
Le premier dont ma muse a vu rougir son front.

LA SERRE.

Et que penses-tu faire avec tant de foiblesse ?

CHAPELAIN.

O dieux! mon Apollon en ce besoin me laisse.

LA SERRE.

Ta perruque est à moi; mais tu serois trop vain,
Si ce sale trophée avoit souillé ma main.
Adieu; fais lire au peuple, en dépit de Linière,
De tes fameux travaux l'histoire tout entière;
D'un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d'un petit ornement.

CHAPELAIN.

Rends-moi donc ma perruque.

LA SERRE.

Elle est trop malhonnête.

De tes lauriers sacrés va te couvrir la tête.

CHAPELAIN.

Rends la calotte au moins.

LA SERRE.

Va, va, tes cheveux d'ours

Ne pourroient sur ta tête encor durer trois jours.

SCÈNE II.

CHAPELAIN, seul1.

O rage! ô désespoir! ô perruque ma mie!
N'as-tu donc tant vécu que pour cette infamie?

1. Le Cid, acte I, sc. v. Monologue de don Diègue.

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