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XXXIV

POUR METTRE AU BAS D'UNE MÉCHANTE GRAVURE QU'ON A FAITE DE MOI (1704).

Du célèbre Boileau tu vois ici l'image.

Quoi! c'est là, diras-tu, ce critique achevé!
D'où vient le noir chagrin qu'on lit sur son visage?
C'est de se voir si mal gravé.

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Mes révérends pères en Dieu,

Et mes confrères en satire,

Dans vos écrits, en plus d'un lieu,
Je vois qu'à mes dépens vous affectez de rire.
Mais ne craignez-vous point que pour rire de vous,
Relisant Juvénal, refeuilletant Horace,

Je ne ranime encor ma satirique audace?
Grands Aristarques de***,

N'allez point de nouveau faire courir aux armes
Un athlète tout prêt à prendre son congé,
Qui, par vos traits malins au combat rengagé,
Peut encore aux rieurs faire verser des larmes.
Apprenez un mot de Regnier 2,
Notre célèbre devancier :

Corsaires attaquant corsaires
Ne font pas, dit-il, leurs affaires.

1. Les pères de Trévoux. 2. Vers de Régnier. B.

XXXVI

ÉPIGRAMME, OU RÉPONSE A DEUX RR. PP. CC. QUI AVOIENT DIT LA RAISON POUR LAQUELLE MON ÉPÎTRE DE L'AMOUR DE DIEU N'ÉTOIT PAS DE LA FORCE DE MES AUTRES ÉCRIts, c'est que JE N'AVOIS RIEN TROUVÉ SUR CETTE MATIÈRE DANS HORACE, DANS PERSE, NI DANS JUVÉNAL (1704).

Non, pour montrer que Dieu veut être aimé de nous,
Je n'ai rien emprunté de Perse ni d'Horace,

Et je n'ai point suivi Juvénal à la trace;

Car, bien qu'en leurs écrits ces auteurs mieux que vous Attaquent les erreurs dont nos âmes sont ivres,

La nécessité d'aimer Dieu

Ne s'y trouve jamais prêchée en aucun lieu,
Mes pères, non plus qu'en vos livres.

XXXVII

AUX RÉVÉRENDS PÈRES DE

** 1 SUR LE LIVRE DES FLAGELLANS,

COMPOSÉ PAR MON FRÈRE LE DOCTEUR DE SORBONNE (1703).

Non, le livre des Flagellans

N'a jamais condamné, lisez-le bien, mes pères,

Ces rigidités salutaires

Que, pour ravir le ciel, saintement violens,
Exercent sur leurs corps tant de chrétiens austères.
Il blâme seulement cet abus odieux

D'étaler et d'offrir aux yeux

Ce que leur doit toujours cacher la bienséance;
Et combat vivement la fausse piété,

Qui, sous couleur d'éteindre en nous la volupté,
Par l'austérité même et par la pénitence,

Sait allumer le feu de la lubricité.

1. Les pères de Trévoux.

XXXVIII

L'AMATEUR D'HORLOGES (1704).

Sans cesse autour de six pendules,
De deux montres, de trois cadrans,
Lubin, depuis trente et quatre ans,
Occupe ses soins ridicules.

Mais à ce métier, s'il vous plaît,

A-t-il acquis quelque science?

Sans doute; et c'est l'homme en France
Qui sait le mieux l'heure qu'il est.

XXXIX

CONTRE MAUROI.

Qui ne hait point tes vers, ridicule Mauroi,
Pourroit bien, pour sa peine, aimer ceux de Fourcroi.

XL

AU PRÉSIDENT DE LAMOIGNON CONTRE CHAPELAIN.

Chapelain vous renonce et se met en courroux
De ce qu'on me connoît chez vous.
Vous avez beau faire merveille;

Eussiez-vous, Lamoignon, enflé son revenu,
Vous n'auriez point de part à ses pénibles veilles.
Oh! qu'il eût été bon pour le bien des oreilles
Que Longueville m'eût connu!

FRAGMENT D'UN PROLOGUE D'OPÉRA

AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Madame de M*** et madame de T*** 1. sa sœur, lasses des opéras de M. Quinault, proposèrent au roi d'en faire faire un par M. Racine, qui s'engagea assez légèrement à leur donner cette satisfaction, ne songeant pas dans ce momentlà à une chose, dont il étoit plusieurs fois convenu avec moi, qu'on ne peut jamais faire un bon opéra, parce que la musique ne sauroit narrer; que les passions n'y peuvent être peintes dans toute l'étendue qu'elles demandent; que d'ailleurs elle ne sauroit souvent mettre en chant les expressions vraiment sublimes et courageuses. C'est ce que je lui représentai, quand il me déclara son engagement; et il m'avoua que j'avois raison; mais il étoit trop avancé pour reculer. Il commença dès lors en effet un opéra, dont le sujet étoit la chute de Phaéton. Il en fit même quelques vers qu'il récita au roi, qui en parut content. Mais comme M. Racine n'entreprenoit cet ouvrage qu'à regret, il me témoigna résolument qu'il ne l'achèveroit point que je n'y travaillasse avec lui, et me déclara avant tout qu'il falloit que j'en composasse le prologue. J'eus beau lui représenter mon peu de talent pour ces sortes d'ouvrages, et que je n'avois jamais fait de vers d'amourette, il persista dans sa résolution, et me dit qu'il me le ferait ordonner par le roi. Je songeai donc en moi-même à voir de quoi je serois capable, en cas que je fusse absolument obligé de travailler à un ouvrage si opposé à mon génie et à mon inclination. Ainsi, pour m'essayer, je traçai, sans en rien dire à personne, non pas même à M. Racine, le canevas d'un prologue; et j'en composai une première scène. Le sujet de cette scène étoit une dispute de la Poésie et de la Musique, qui se querelloient sur l'excellence de leur art, et étoient enfin toutes

1. Mesdames de Montespan et de Thiange.

prêtes à se séparer, lorsque tout à coup la déesse des accords, je veux dire l'Harmonie, descendoit du ciel avec tous ses charmes et ses agrémens, et les réconcilioit. Elle devoit dire ensuite la raison qui la faisoit venir sur la terre, qui n'étoit autre que de divertir le prince de l'univers le plus digne d'être servi, et à qui elle devoit le plus, puisque c'était lui qui la maintenoit dans la France, où elle régnoit en toutes choses. Elle ajoutoit ensuite que, pour empêcher que quelque audacieux ne vint troubler, en s'élevant contre un si grand prince, la gloire dont elle jouissoit avec lui, elle vouloit que dès aujourd'hui même, sans perdre de temps, on représentât șur la scène la chute de l'ambitieux Phaéton. Aussitôt tous les poëtes et tous les musiciens, par son ordre, se retiroient, et s'alloient habiller. Voilà le sujet de mon prologue, auquel je travaillai trois ou quatre jours avec un assez grand dégoût, tandis que M. Racine, de son côté, avec non moins de dégoût, continuoit à disposer le plan de son opéra, sur lequel je lui prodiguois mes conseils. Nous étions occupés à ce misérable travail, dont je ne sais si nous nous serions bien tirés, lorsque tout à coup un heureux incident nous tira d'affaire. L'incident fut que M. Quinault s'étant présenté au roi les larmes aux yeux, et lui ayant remontré l'affront qu'il alloit recevoir s'il ne travailloit plus au divertissement de Sa Majesté, le roi, touché de compassion, déclara franchement aux dames dont j'ai parlé qu'il ne pouvoit se résoudre à lui donner ce déplaisir. Sic nos servavit Apollo. Nous retournâmes donc, M. Racine et moi à notre premier emploi, et il ne fut plus mention de notre opéra, dont il ne resta que quelques vers de M. Racine, qu'on n'a point trouvés dans ses papiers après sa mort, et que vraisemblablement il avoit supprimés par délicatesse de conscience, à cause qu'il y étoit parlé d'amour. Pour moi, comme il n'étoit point question d'amourette dans la scène que j'avois composée, non-seulement je n'ai pas jugé à propos de la supprimer, mais je la donne ici au public, persuadé qu'elle fera plaisir aux lecteurs, qui ne seront peut-être pas fâchés de voir de quelle manière je m'y étois pris pour adoucir l'amertume

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