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Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture 1.
Son livre est d'agrémens un fertile trésor :
Tout ce qu'il a touché se convertit en or.
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce;
Partout il divertit et jamais il ne lasse.

Une heureuse chaleur anime ses discours :
Il ne s'égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet de soi-même et s'arrange et s'explique;
Tout, sans faire d'apprêts, s'y prépare aisément;
Chaque vers, chaque mot court à l'événement.
Aimez donc ses écrits, mais d'un amour sincère;
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

Un poëme excellent, où tout marche et se suit,
N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit:
Il veut du temps, des soins; et ce pénible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage.
Mais souvent parmi nous un poëte sans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hasard,
Enflant d'un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque :
Sa muse déréglée, en ses vers vagabonds,
Ne s'élève jamais que par sauts et par bonds:
Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,
S'éteint à chaque pas faute de nourriture.
Mais en vain le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser;
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l'encens qu'on lui dénie:
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention;
Homère n'entend point la noble fiction.

Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
A la postérité d'abord il en appelle.
Mais attendant qu'ici le bon sens de retour
Ramène triomphans ses ouvrages au jour,

1. Iliade, 1. XIV. B.

Leur tas, au magasin, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière.
Laissons-les donc entre eux s'escrimer en repos,
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la comédie antique.
Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisans,
Distilla le venin de ses traits médisans.
Aux accès insolens d'une bouffonne joie,
La sagesse, l'esprit, l'honneur, furent en proie.
On vit, par le public un poëte avoué
S'enrichir aux dépens du mérite joué; ̧

Et Socrate par lui, dans «< un chœur de Nuées 1,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrêta le cours :

Le magistrat, des lois emprunta le secours,
Et, rendant par édit les poëles plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages.
Le théâtre perdit son antique fureur;
La comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir :
L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D'un avare souvent tracé sur son modèle;
Et mille fois un fat, finement exprimé,
Méconnut le portrait sur lui-même formé.

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Que la nature donc soit votre étude unique, Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. Quiconque voit bien l'homme, et d'un esprit profond, De tant de cœurs cachés a pénétré le fond;

Qui sait bien ce que c'est qu'un prodigue, un avare, Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre, Sur une scène heureuse il peut les étaler,

1. Les Nuées, comédie d'Aristophane. B.

Et les faire à nos yeux vivre, agir et parler.
Présentez-en partout les images naïves;

Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.
La nature, féconde en bizarres portraits,

Dans chaque âme est marquée à de différens traits;
Un geste la découvre, un rien la fait paroître :
Mais tout esprit n'a pas des yeux pour la connoître.
Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs:
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l'impression des vices;
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.

L'âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l'avenir.

La vieillesse chagrine incessamment amasse;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse;
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé;
Toujours plaint le présent et vante le passé;
Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.
Ne faites point parler vos acteurs au hasard,
Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.
Étudiez la cour et connoissez la ville;

L'une et l'autre est toujours en modèles fertile.
C'est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures,
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.

Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnois plus l'auteur du Misanthrope '.

1. Comédie de Molière. B.

Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs, N'admet point en ses vers de tragiques douleurs; Mais son emploi n'est pas d'aller, dans une place, De mots sales et bas charmer la populace.

Il faut que ses acteurs badinent noblement;
Que son nœud bien formé se dénoue aisément;
Que l'action, marchant où la raison la guide,
Ne se perde jamais dans une scène vide;
Que son style humble et doux se relève à propos;
Que ses discours, partout fertiles en bons mots,
Soient pleins de passions finement maniées,
Et les scènes toujours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon sens gardez de plaisanter:
Jamais de la nature il ne faut s'écarter.
Contemplez de quel air un père dans Térence 1
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence;
De quel air cet amant écoute ses leçons,

Et court chez sa maîtresse oublier ces chansons.
Ce n'est pas un portrait, une image semblable;
C'est un amant, un fils, un père véritable.

1

J'aime sur le théâtre un agréable auteur
Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,
Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque.
Mais pour un faux plaisant, à grossière équivoque,
Qui, pour me divertir, n'a que la saleté,

Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux tréteaux monté,
Amusant le pont Neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades.

CHANT IV

Dans Florence jadis vivoit un médecin, Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin. Lui seul y fit longtemps la publique misère : Là le fils orphelin lui redemande un père;

1. Voyez Simon dans l'Andrienne, et Demée dans les Adelphes. B.

Ici le frère pleure un frère empoisonné.
L'un meurt vide de sang, l'autre plein de séné;
Le rhume à son aspect se change en pleurésic,
Et par lui la migraine est bientôt frénésie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
De tous ses amis morts un seul ami resté
Le mène en sa maison de superbe structure :
C'étoit un riche abbé, fou de l'architecture.
Le médecin d'abord semble né dans cet art.
Déjà de bâtimens parle comme Mansart:
D'un salon qu'on élève il condamne la face;
Au vestibule obscur il marque une autre place;
· Approuve l'escalier tourné d'autre façon,
Son ami le conçoit et mande son maçon.
Le maçon vient, écoute, approuve et se corrige.
Enfin, pour abréger un si plaisant prodige,
Notre assassin renonce à son art inhumain;
Et désormais, la règle et l'équerre à la main,
Laissant de Galien la science suspecte,

De méchant médecin devient bon architecte.
Son exemple est pour nous un précepte excellent.
Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu'écrivain du commun et poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrés différens,
On peut avec honneur remplir les seconds rangs;
Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire,
Il n'est point de degrés du médiocre au pire.
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.
Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur;
On ne lit guère plus Rampale et Mesnardière 1
Que Magnon, du Souhait, Corbin et La Morlière 2
Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer;

1. Auteurs médiocres. B.

Corbin avoit traduit la Bible

2. Magnon a composé un poëme fort long intitulé : l'Encyclopédie. B. Du Souhait avoit traduit l'Iliade en prose. B. mot à mot. B.- La Morlière, méchant poète. B.

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