Page images
PDF
EPUB

Et Dieu, sourd à nos cris, s'il ne l'y trouve pas,
Ne l'y rallume plus après notre trépas.

Rendez-vous donc enfin à ces clairs syllogismes;
Et ne prétendez plus, par vos confus sophismes,
Pouvoir encore aux yeux du fidèle éclairé
Cacher l'amour de Dieu dans l'école égaré.
Apprenez que la gloire où le ciel nous appelle
Un jour des vrais enfans doit couronner le zèle,
Et non les froids remords d'un esclave craintif,
Où crut voir Abély 1 quelque amour négatif.

1

Mais quoi! j'entends déjà plus d'un fier scolastique
Qui, me voyant ici sur ce ton dogmatique,
En vers audacieux traiter ces points sacrés,
Curieux, me demande où j'ai pris mes degrés;
Et si, pour m'éclairer sur ces sombres matières,
Deux cents auteurs extraits m'ont prêté leurs lumières.
Non. Mais pour décider que l'homme, qu'un chrétien
Est obligé d'aimer l'unique auteur du bien,

Le Dieu qui le nourrit, le Dieu qui le fit naître,
Qui nous vint par sa mort donner un second être,
Faut-il avoir reçu le bonnet doctoral,

Avoir extrait Gamache, Isambert et Du Val 2?

Dieu, dans son livre saint, sans chercher d'autre ouvrage,
Ne l'a-t-il pas écrit lui-même à chaque page?
De vains docteurs encore, ô prodige honteux!
Oseront nous en faire un problème douteux!
Viendront traiter d'erreur digne de l'anathème
L'indispensable loi d'aimer Dieu pour lui-même,
Et, par un dogme faux dans nos jours enfanté,
Des devoirs du chrétien rayer la charité!

1. Misérable défenseur de la fausse attrition. Auteur de la Mouëlle théologique, qui soutient la fausse attrition par les raisons réfutées dans cette épitre. Louis Abelly, né en 1603, dans le Vexin français, mort le 4 d'octobre

B.

1691. 2. Philippe de Gamaches, docteur et professeur de Sorbonne, né en 1568, mort le 21 de juillet 1625. -Nicolas Isambert, célèbre docteur et professeur de Sorbonne, mort en 1642, âgé de soixante-dix-sept ans. André Duval, docteur et premier professeur de théologie en Sorbonne, doyen de la Faculté de théologie, né à Pontoise en 1664, mort à Paris le 9 de septembre 1638.

Si j'allois consulter chez eux le moins sévère,
Et lui disois: Un fils doit-il aimer son père?
Ah! peut-on en douter? diroit-il brusquement.
Et, quand je leur demande en ce même moment,
L'homme, ouvrage d'un Dieu seul bon et seul aimable,
Doit-il aimer ce Dieu, son père véritable?

Le plus rigide auteur 1 n'ose le décider,

Et craint, en l'affirmant, de se trop hasarder!

Je ne m'en puis défendre; il faut que je t'écrive
La figure bizarre, et pourtant assez vive,
Que je sus l'autre jour employer dans son lieu,
Et qui déconcerta ces ennemis de Dieu.
Au sujet d'un écrit qu'on nous venoit de lire,
Un d'entre eux 2 m'insulta sur ce que j'osai dire
Qu'il faut, pour être absous d'un crime confessé,
Avoir pour Dieu du moins un amour commencé.
Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme,

O ciel! me voilà donc dans l'erreur, dans le schisme,
Et partant réprouvé! Mais, poursuivis-je alors,
Quand Dieu viendra juger les vivans et les morts,
Et des humbles agneaux, objet de sa tendresse,
Séparera des boucs la troupe pécheresse,

A tous il nous dira, sévère ou gracieux,
Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux.
Selon vous donc, à moi réprouvé, bouc infâme,
Va brûler, dira-t-il, en l'éternelle flamme,
Malheureux qui soutins que l'homme dut m'aimer,
Et qui, sur ce sujet trop prompt à déclamer,
Prétendis qu'il falloit, pour fléchir ma justice,
Que le pécheur, touché de l'horreur de son vice,
De quelque ardeur pour moi sentît les mouvemens,
Et gardât le premier de mes commandemens!
Dieu, si je vous en crois, me tiendra ce langage:

1. Brossette dit qu'il est ici question de Jean Burlugay, docteur en théologie de la faculté de Paris, mort le 17 de janvier 1702.

2. Ce théologien était le P. Cheminais, jésuite, prédicateur distingué, né à Paris le 3 de janvier 1652, mort le 15 de septembre 1689.

Mais à vous, tendre agneau, son plus cher héritage,
Orthodoxe ennemi d'un dogme si blâmé,

Venez, vous dira-t-il, venez, mon bien-aimé :
Vous qui, dans les détours de vos raisons subtiles,
Embarrassant les mots d'un des plus saints conciles
Avez délivré l'homme, ô l'utile docteur!

De l'importun fardeau d'aimer son créateur;
Entrez au ciel; venez, comblé de mes louanges,
Du besoin d'aimer Dieu désabuser les anges.
A de tels mots, si Dieu pouvoit les prononcer,
Pour moi je répondrois, je crois, sans l'offenser:

[ocr errors]

Oh! que pour vous mon cœur moins dur et moins farouche,
Seigneur, n'a-t-il, hélas! parlé comme ma bouche!
Ce seroit ma réponse à ce Dieu fulminant.

Mais vous, de ces douceurs objet fort surprenant,
Je ne sais pas comment, ferme en votre doctrine,
Des ironiques mots de sa bouche divine

Vous pourriez, sans rougeur et sans confusion,
Soutenir l'amertume et la dérision.

L'audace du docteur, par ce discours frappée,
Demeura sans réplique à ma prosopopée.
Il sortit tout à coup, et murmurant tout bas
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas,
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Basile Ponce 2,
Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse.

1. Le concile de Trente. B.

2. Deux défenseurs de la fausse attrition. Le premier était chanoine de Trèves, et l'autre était de l'ordre de Saint-Augustin. B. - Pierre Binsfeld, théologien flamand, mourut de la peste le 24 de novembre 1598. Basile Pons de Léon, professeur de théologie à l'université d'Alcala, mourut à Salamanque en 1629.

[ocr errors]

L'ART POÉTIQUE'

CHANT I

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur:
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif:
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.
O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,

N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer:
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellens,
Sait entre les auteurs partager les talens:
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme;
L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme;
Malherbe d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois :
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime
Méconnoît son génie, et s'ignore soi-même.
Ainsi tel 2 autrefois qu'on vit avec Faret 3
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,

1. L'Art poétique fut composé de 1669 à 1674.

2. Saint-Amant, auteur de Moïse sauvé. B.

3. Faret, auteur du livre intitulé l'Honnete homme, et ami de Saint-Amant Nicolas Faret, de Bresse, un des premiers de l'Académie française en 1633, mourut le 21 de novembre 1646, âgé de cinquante ans.

B.

S'en va, mal à propos, d'une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime :
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée:
Ils croiroient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensoient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès: laissons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.

Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir;

Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt l'on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face;
Il me promène après de terrasse en terrasse;
Ici s'offre un perron; là règne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales;

« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales '.

1. Vers de Scudéri. B.

On lit dans Alaric, 1. III :

Ce ne sont que festons, ce ne sont que couronnes.

« PreviousContinue »