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long examen pour réussir autant qu'il le devoit. Il le retira donc du théâtre, et ne l'y reporta qu'un mois après avec son Fagotier.

Tant de gens s'opposoient à la haute réputation de Molière, qu'il étoit presque généralement décidé qu'on pouvoit espérer de lui quelques bouffonneries, mais qu'il présumoit trop de ses forces toutes les fois qu'il vouloit élever le ton.

les

Ses ennemis ne cessoient point de répandre que papiers de Gauthier Garguille, qu'il avoit achetés de la veuve de ce farceur, étoient la source où il puisoit. Il nous reste de ce saltimbanque un recueil de chansons imprimé chez Fr. Targa, en 1632, avec privilége du roi, quoique très indécent; nous l'avons scrupuleusement examiné, et nous n'y avons pas trouvé une seule plaisanterie, pas un seul mot de gaîté dont Molière ait profité. Ce bouffon ne semoit au plus que pour notre Opéra comique, et il est vrai que les auteurs de ce genre ont bien recueilli ses équivoques, ses jeux de mots et ses saletés. Nous devons même à ce Turlupin l'ingénieuse invention de nos amphigouris. Voyez la cinquantième chanson, page 143: Je m'en allai à Bagnolet, Où je trouvai un grand mulet Qui plantoit des carotes; Ma Madelon, je t'aime tant, Que quasi je radote.

Je m'en allai un peu plus loing,
Trouvai une botte de foing

Qui dansoit la Gavote.

Ma Madelon, etc.

Tel est le bouffon grossier dont on vouloit que

le père de la scène comique françoise empruntât tout

ce qu'il y avoit de plaisant et de gai dans ses ou

vrages.

Cette fausse idée, qu'avoient accréditée le mauvais goût et l'envie, lui rendit toujours difficile le succès de ses plus grands ouvrages; il venoit de l'éprouver pour le Misanthrope, et il se vit forcé de ramener le public à son théâtre par un moyen dont il étoit sûr, mais qu'il étoit bien loin de préférer au bonheur d'instruire en amusant.

La farce du Médecin malgré lui, composée à la hâte, et dans laquelle il ne daigna pas même s'asservir à la règle de l'unité de lieu, eut le plus grand succès, et soutint le Misanthrope, à la honte de l'esprit humain. C'étoit, dit M. de Voltaire, l'ouvrage d'un sage qui « écrivit pour les hommes éclairés, et il fallut que le sage se déguisât en farceur pour plaire à la multitude.

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Ce que nous disons ici du Médecin malgré lui, comparé avec le Misanthrope, n'empêche pas que cette première pièce ne soit, dans son genre, une des plus heureuses plaisanteries qui soient sorties des mains de Molière. La gaîté la plus franche, la plus vive et la plus spirituelle y est soutenue d'un bout à l'autre, et c'est une des folies charmantes qu'on revoit tous les jours sur nos théâtres avec le plaisir le plus vif. Quoique écrite en prose, elle abonde en traits qui ont fait proverbe, et qui se replacent sans cesse dans la conversation.

Molière avoit, dans cette bagatelle, des gens de la campagne à faire dialoguer, et il leur fit parler leur langage grossier, comme il l'avoit déjà fait dans quelques scènes du Festin de Pierre. C'est ce que Des

préaux, qui ne pouvoit souffrir qu'on blessât la langue, ne put jamais lui pardonner : le satirique croyoit à cet égard avoir pour lui les anciens auteurs comiques.

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« Vous ne voyez pas, disoit-il, que Plaute ' ni ses confrères estropient la langue en faisant parler des villageois. Il leur fait tenir des discours proportion« nés à leur état, sans qu'il en coûte rien à la pureté « de l'idiome. Otez cela à Molière, je ne lui connois point de supérieur pour l'esprit et pour le naturel: « ce grand homme l'emporte de beaucoup sur Corneille, sur Racine et sur moi. »

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La délicatesse de Despréaux sur ce point nous paroît exagérée, et nous ne croyons pas qu'il soit moins permis au poète de donner au paysan son langage grossier, qu'au peintre de le représenter avec ses vêtemens rustiques. Il seroit d'une difficulté presque invincible de conserver à un homme de la campagne la tournure naïve et plaisante de ses idées, avec une manière de parler plus pure que la sienne; et de toutes les bonnes scènes de villageois qui sont sur nos théâtres, il n'y en a pas une qui ne perdît presque tout son mérite à se montrer sous un style exact et châtié.

Que chez les Grecs une femme du marché public ait assez bien connu sa langue pour dire au fameux Théophraste qu'il n'étoit pas citoyen, cela n'est pas étonnant dans une nation libre, dont tous les actes,

I

Plaute, dans sa comédie du Panulus, introduit un Carthaginois, qui, dans sa langue, prie les dieux de lui faire retrouver ses filles; mais Plaute lui fait répéter la même prière en latin. Comment le sieur Ruzante, un des premiers corrupteurs du Théâtre italien, en 1530, osa-t-il se défendre, par cet exemple, d'avoir introduit dans ses drames tous les jargons de l'Italie?

toutes les cérémonies, tous les jeux étoient de la plus grande publicité; mais que chez nous le peuple, espèce passive, qui n'est de rien, qui ne voit rien, et n'entend rien, se soit fait un langage particulier, et qu'il soit nécessaire, pour le bien faire connoître, de lui faire parler son jargon, il n'y a rien à cela que de naturel.

que

Dans nos églogues, où nous donnons à nos habitans de la campagne des mœurs de convention, des goûts, et surtout des sentimens aussi éloignés de la nature les nôtres, nous sommes aussi scrupuleux que les Latins; notre langue est respectée, et Corydon, chez Fontenelle, parle aussi bien qu'un académicien; mais quand l'ouvrier, le laboureur ou le jardinier doivent paroître ce qu'ils sont véritablement, pourquoi ne s'énonceroient-ils pas de la manière qui leur est propre?

Le fond du conte qui avoit guidé Molière le ramenoit bien naturellement à la petite guerre qu'il avoit déclarée aux médecins de son temps. Les saignées de précaution, le vin émétique, ne furent pas oubliés; et quoique Sganarelle ne fût pas un vrai médecin, il ne jeta pas moins de ridicule sur l'abus de la profession qu'on l'avoit forcé de prendre.

Molière avoit eu l'adresse de faire dire, dès la première scène, à Sganarelle, qu'il avoit servi six ans un fameux médecin, et qu'il avoit su, dans son jeune âge, son rudiment par cœur; ce qui donnoit à cette farce un peu plus de vraisemblance qu'elle n'en auroit eu sans cette précaution.

Il est difficile d'apercevoir, dans ces sortes de drames, le moindre but d'utilité, et c'est le cas de dire ce que le bon Rabelais disoit de son ouvrage :

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Vrai est qu'ici peu de perfection

Vous apprendrez, sinon en cas de rire.

Ce que Molière a composé dans ce genre, dit M. Riccoboni, dans ses Observations sur la Comédie, а ce me semble, un mérite singulier..... On retrouve toujours le maître de l'art, soit dans l'intrigue de la pièce, soit dans la liaison et l'arrangement des scènes, soit dans les idées, qui, pour être comiques, ne sont ni basses ni grossières.... Si l'esprit humain est borné, et si un écrivain semble n'être destiné en général par la nature, qu'à réussir dans un seul genre, combien est-il surprenant de voir un même génie exceller en tous, et faire rire le connoisseur et l'ignorant dans la farce du Médecin malgré lui, après avoir si pleinement satisfait l'homme d'esprit dans la comédie du Misanthrope?

Ce que nous avons dit du peu d'importance que Molière mettoit cependant aux ouvrages de cette espèce, est confirmé par le comédien Subligny, auteur de la gazette rimée, sous le nom de Muse Dauphine. où ce gazetier termine ce qu'il dit du Médecin

Voici par

malgré lui:

Molière, dit-on, ne l'appelle

Qu'une petite bagatelle;

Mais cette bagatelle est d'un esprit si fin,

Que s'il faut que je vous le die,

L'estime qu'on en fait est une maladie

Qui fait que dans Paris tout court au Médecin.

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