Le pauvre homme ! 6 ORGON. DORINE. Le soir, elle eut un grand dégoût, Et ne put, au souper, toucher à rien du tout, ORGON. Et Tartufe? DORINE. Il soupa, lui tout seul, devant elle; Et fort dévotement il mangea deux perdrix, Le pauvre homme! ORGON. DORINE. La nuit se passa tout entière Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière; Des chaleurs l'empêchoient de pouvoir sommeiller, Et jusqu'au jour, près d'elle, il nous fallut veiller. Et Tartufe? ון ORGON. DORINE. Pressé d'un sommeil agréable, passa dans sa chambre, au sortir de la table; Et dans son lit bien chaud, il se mit tout soudain, Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain. Le pauvre homme ! ORGON. DORINE. A la fin, par nos raisons gagnée, Elle se résolut à souffrir la saignée, Et le soulagement suivit tout aussitôt. Et Tartufe? ORGON. DORINE. Il reprit courage comme il faut; Et contre tous les maux fortifiant son âme, Le pauvre homme ! ORGON. DORINE. Tous deux se portent bien enfin, Et je vais à madame annoncer, par avance, SCÈNE VI. ORGON, CLÉANTE. CLÉANTE. A votre nez, mon frère, elle se rit de vous; Et, sans avoir dessein de vous mettre en courroux, Je vous dirai tout franc c'est avec justice. que A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice? Et se peut-il qu'un homme ait un charme aujourd'hui ORGON. Alte là, mon beau-frère; Vous ne connoissez pas celui dont vous parlez. Je ne le connois pas, puisque vous le voulez; ORGON. Mon frère, vous seriez charmé de le connoître, Et vos ravissemens ne prendroient point de fin. Et comme du fumier regarde tout le monde. Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien; Et je verrois mourir frère, enfans, mère et femme, CLÉANTE. Les sentimens humains, mon frère, que voilà! ORGON. Ah! si vous aviez vu comme j'en fis rencontre, Je lui faisois des dons; mais, avec modestie, Et quand je refusois de le vouloir reprendre, Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre. Enfin, le ciel chez moi me le fit retirer, Et, depuis ce temps-là, tout semble y prospérer; CLEANTE. Parbleu, vous êtes fou, mon frère, que je croi. ORGON. Mon frère, ce discours sent le libertinage; CLEANTE. Voilà de vos pareils le discours ordinaire. Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin que d'avoir de bons yeux; N'a ni respect, ni foi pour les choses sacrées. Entre l'hypocrisie et la dévotion? Vous les voulez traiter d'un semblable langage, Confondre l'apparence avec la vérité, Estimer le fantôme autant que la personne, Et la fausse monnoie à l'égal de la bonne? ORGON. Oui, vous êtes, sans doute, un docteur qu'on révère, Tout le savoir du monde est chez vous retiré, Vous êtes le seul sage et le seul éclairé, |