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et leurs chapeaux, marchant à pas sourds. Ils tiennent un long conciliabule et finissent par élire, au scrutin secret, celui d'entre eux qui doit assassiner le roi. C'est le nom de Hernani qui sort de l'urne. En vain le vieux duc Ruy Gomez offre-t-il au brigand de lui rendre avec son cor la terrible promesse qu'il lui a faite jadis, s'il lui cède sa place. Hernani tient plus à sa vengeance qu'à la vie. Tous les conspirateurs jurent sur l'épée du duc, de frapper le roi, si Hernani périssait, avant d'avoir pu accomplir sa vengeance. Dans ce moment, on entend un coup de canon, la porte du tombeau s'entr'ouvre, et le roi Charles paraît sur le seuil. Second coup de canon, le roi se montre davantage. Troisième coup de canon, le roi ouvre tout à fait la porte du tombeau et salue les conspirateurs par l'allocution suivante:

Messieurs, allez plus loin: l'empereur vous entend.

En un clin d'œil tous les flambeaux s'éteignent, mais l'empereur frappe de la clef de fer sur la porte de bronze du tombeau. A ce bruit, toutes les profondeurs du souterrain se remplissent de soldats portant des torches. Charles-Quint s'écrie:

Accourez, mes faucons! j'ai le nid, j'ai la proie!

Cependant il veut faire grâce aux conspirateurs obscurs, et dit aux gardes: Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte.

Le reste. . . .!

A ces mots, doña Sol, qui, sur l'ordre de don Carlos avait été conduite au caveau, croit son amant sauvé, mais c'est le moment où l'honneur castillan doit éclater plus que jamais.

ACTE IV, SCÈNE IV.

HERNANI (sortant du groupe des conjurés).

(A don Carlos.)

Je prétends qu'on me compte!

Puisqu'il s'agit de hache ici, que Hernani,

Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni,

Puisque son front n'est plus au niveau de ton glaive,
Puisqu'il faut être grand pour mourir, je me lève.
Dieu, qui donne le sceptre et qui te le donna,
M'a fait duc de Segorbe et duc de Cardona,
Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomte
De Gor, seigneur de lieux dont j'ignore le compte.1
Je suis Jean d'Aragon, grand-maître d'Avis, né
Dans l'exil, fils proscrit d'un père assassiné
Par sentence du tien, roi Carlos de Castille!
Le meurtre est entre nous affaire de famille.
Vous avez l'échafaud, nous avons le poignard.
Donc le ciel m'a fait duc, et l'exil montagnard.
Mais puisque j'ai sans fruit aiguisé mon épée
Sur les monts et dans l'eau des torrents retrempée,

(Aux autres conjurés.)

Couvrons-nous, grands d'Espagne!

(Il met son chapeau.)

1 C'est le pendant de la locution familière: Cet homme ne connait pas sa fortune, pour dire qu'il est excessivement riche. Hernani est si noble qu'il ne connaît pas toute sa noblesse.

(Tous les Espagnols se couvrent.)
(A don Carlos.)

Oui, nos têtes, ô roi,

Ont le droit de tomber couvertes devant toi!

(Aux prisonniers.)

Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race, Place à Jean d'Aragon! ducs et comtes, ma place! (Aux courtisans et aux gardes.)

Je suis Jean d'Aragon, roi, bourreaux et valets!
Et si vos échafauds sont petits, changez-les!

(Il vient se joindre au groupe des seigneurs prisonniers.)

DONA SOL. Ciel!

DON CARLOS. En effet, j'avais oublié cette histoire.

HERNANI. Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire.

L'affront que l'offenseur oublie en insensé

Vit, et toujours remue au cœur de l'offensé!

DON CARLOS. Donc je suis, c'est un titre à n'en point vouloir d'autres, Fils de pères qui font choir la tête des vôtres!

DONA SOL (se jetant à genoux devant l'empereur).

Sire, pardon! pitié! sire, soyez clément!
Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant,
Mon époux! en lui seul je respire. Oh! je tremble.
Sire, ayez la pitié de nous tuer ensemble!
Majesté! je me traîne à vos sacrés genoux!
Je l'aime! il est à moi, comme l'empire à vous!
Oh! grâce!

(Don Carlos la regarde immobile.)
Quel penser sinistre vous absorbe? . . .
DON CARLOS. Allons! relevez-vous, duchesse de Segorbe,
Comtesse Albatera, marquise de Monroy. . .

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DON CARLOS. Non, l'empereur.

DOÑA SOL. (se relevant). Grand Dieu!

DON CARLOS (la montrant à Hernani). Duc, voilà ton épouse.

Ainsi l'empereur inaugure son règne en Allemagne par un grand acte de générosité, d'autant plus méritoire qu'il triomphe de sa propre passion pour doña Sol.

Le cinquième acte, qui est intitulé la Noce, nous montre les heureux époux le jour où ils ont reçu la bénédiction nuptiale. Ils célèbrent leur bonheur dans de beaux vers, lorsque tout à coup ils entendent de loin le son d'un cor. Hernani le reconnaît et tressaille. Ce cor, c'est le sien, et d'après sa propre promesse, il lui annonce la mort. Doña Sol s'agenouille devant le vieillard et demande la grâce de son époux. Le vieux gentilhomme reste inexorable. Hernani hésite un moment, mais don Ruy Gomez lui dit:

Puisque je n'ai céans affaire qu'à deux femmes,
Don Juan, il faut qu'ailleurs j'aille chercher des âmes.

Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts!

Ces paroles lui rappellent son devoir de gentilhomme. Hernani et doña Sol boivent le poison d'une fiole que don Ruy Gomez a eu la précaution d'apporter. Après les avoir vus mourir, le vieillard se tue à son tour.

VI. FEUILLES D'AUTOMNE.

SOLEILS COUCHANTS.
(Juin 1828.)

J'aime les soirs sereins et beaux, j'aime les soirs,
Soit qu'ils dorent le front des antiques manoirs
Ensevelis dans les feuillages;

Soit que la brume au loin s'allonge en bancs de feu,
Soit que mille rayons brisent1 dans un ciel bleu
A des archipels de nuages.

Oh! regardez le ciel! cent nuages mouvants,
Amoncelés là-haut sous le souffle des vents,
Groupent leurs formes inconnues;

Sous leurs flots par moments flamboie un pâle éclair,
Comme si tout à coup quelque géant de l'air
Tirait son glaive dans les nues.

Le soleil, à travers leurs ombres, brille encor;
Tantôt fait, à l'égal des larges dômes d'or,
Luire le toit d'une chaumière;

Ou dispute aux brouillards les vagues horizons;
Ou découpe, en tombant sur les sombres gazons,
Comme des grands lacs de lumière.

Puis voilà qu'on croit voir, dans le ciel balayé,
Pendre un grand crocodile au dos large et rayé,
Aux trois rangs de dents acérées;
Sous son ventre plombé glisse un rayon du soir;
Cent nuages ardents luisent sous son flanc noir
Comme des écailles dorées.

Puis se dresse un palais. Puis l'air tremble et tout fuit.
L'édifice effrayant des nuages détruit

S'écroule en ruines pressées;

Il jonche au loin le ciel, et ces cônes vermeils
Pendent, la pointe en bas, sur nos têtes, pareils
A des montagnes renversées.

Ces nuages de plomb, d'or, de cuivre, de fer,
Où l'ouragan, la trombe, et la foudre, et l'enfer
Dorment avec de sourds murmures,

C'est Dieu qui les suspend en foule aux cieux profonds,
Comme un guerrier qui pend aux poutres des plafonds
Ses retentissantes armures.

1 Briser, comme verbe neutre se dit de la mer qui heurte contre les rochers. Le fracas des vagues qui brisent au loin sur les récifs.'

BERNARDIN DE ST. PIERRE.

Tout s'en va! Le soleil, d'en haut précipité,
Comme un globe d'airain qui, rouge, est rejeté
Dans les fournaises remuées,

En tombant sur leurs flots, que son choc désunit,
Fait en flocons de feu jaillir jusqu'au zénith
L'ardente écume des nuées.

Oh! contemplez le ciel! et, dès qu'a fui le jour,
En tout temps, en tout lieu, d'un ineffable amour,
Regardez à travers ses voiles;

Un mystère est au fond de leur grave beauté,1
L'hiver quand ils sont noirs comme un linceul, l'été,
Quand la nuit les brode d'étoiles.

VII. LES CONTEMPLATIONS.

(1880-1856.)

4 SEPTEMBRE 1843.'

I.

(4 septembre 1844.)

Quand nous habitions tous ensemble Sur nos collines d'autrefois,

Où l'eau court, où le buisson tremble,
Dans la maison qui touche au bois!

Elle avait dix ans, et moi trente,
J'étais pour elle l'univers.
Oh! comme l'herbe est odorante
Sous les arbres profonds et verts!

Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me disait: Mon père,
Tout mon cœur s'écriait: Mon Dieu!

A travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,
Et mon front s'éclairait dans l'ombre
A la lumière de ses yeux.

Elle avait l'air d'une princesse,
Quand je la tenais par la main;
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu'à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle,
Que son bonjour était charmant!
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin!
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin!

Quand la lune claire et sereine Brillait aux cieux, dans ces beaux mois, Comme nous allions dans la plaine! Comme nous courions dans les bois!

Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée

En tournant le coin du vieux mur!

1 C'est-à-dire une beauté qui porte au recueillement.

2

Date de la mort de la fille du poète. Voyez page 594, note 1.

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