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BARTHÉLEMY ET MÉRY.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

AUGUSTE BARTHÉLEMY naquit à Marseille, en 1796. Il avait à peine terminé ses études au collège, qu'il se fit connaître dans le monde littéraire de sa ville natale par quelques essais poétiques, notamment par une satire. Venu à Paris, il y débuta comme journaliste par un article ultra-royaliste, et comme poète par une Ode sur le sacre de Charles X (1825), qui lui valut les bonnes grâces de la cour. S'étant lié avec Méry, il tourna bientôt son talent contre le gouvernement.

JOSEPH MÉRY naquit en 1798, dans une île près de Marseille. Il fit ses études classiques au collège de cette ville. En 1820, il se fit connaître par une satire en vers qui lui valut quinze mois de prison. Il vint se fixer à Paris en 1824, et, l'année suivante, il associa ses haines politiques à celles de Barthélemy.

Dès lors les deux poètes travaillèrent ensemble et après quelques petites satires, ils publièrent, en 1826, la Villéliade, poème héroïcomique en quatre chants sur le ministère Villèle. Cette satire, qui étincelait d'esprit, eut un immense succès et fut suivie de plusieurs autres aussi favorablement accueillies du public.

Renonçant à la satire sous le ministère libéral de M. de Martignac, ils écrivirent, en 1828, Napoléon en Egypte, poème épique en huit chants, remarquable par la richesse de ses descriptions. Après avoir tenté inutilement à Vienne de remettre un exemplaire de ce poème au duc de Reichstadt, fils de Napoléon Ier, Barthélemy publia le Fils de l'homme ou Souvenir de Vienne, relation poétique de son voyage, laquelle fut poursuivie en justice. Le poète eut l'idée originale de présenter sa défense en vers; elle fut très goûtée de l'auditoire, mais elle n'empêcha pas les juges de le condamner à trois mois de prison et à mille francs d'amende.

Sorti de prison après les journées de Juillet (1830), Barthélemy chanta avec Méry la révolution dans un poème dédié aux Parisiens et intitulé l'Insurrection.

Méry, bientôt déçu dans les espérances qu'il avait fondées sur l'établissement de la dynastie de Juillet, se promit de renoncer à la politique et se retira quelque temps à Marseille. Barthélemy, quoiqu'il eût accepté de Louis-Philippe une petite pension, poursuivit bientôt les ministres de ce monarque des mêmes attaques que les ministres de la dynastie déchue. Il rappela de Marseille son ami Méry, et, le 1er mars 1831, commença à paraître la Némésis, feuille hebdomadaire écrite en vers, dans laquelle éclatèrent 52 satires politiques, les plus véhémentes peut-être qui aient jamais été écrites en français, et qui acquirent bientôt une popularité inexplicable aujourd'hui. Des traits brûlants tombèrent sur tous les hommes du pouvoir, et, vérités ou injures, restèrent longtemps attachés à leurs noms. L'année suivante,

1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains.

la Némésis, trop pauvre pour payer le cautionnement exigé par la nouvelle loi sur la presse, cessa de paraître.

A cette époque finit la collaboration régulière des deux poètes. Méry partit pour l'Italie, où l'appelaient la reine Hortense et les autres exilés de la famille impériale. Il rapporta de ce voyage une foule de notes qu'il transporta dans une suite de nouvelles et de romans écrits avec une facilité de style qui les fit bien accueillir. Cependant la prose de l'écrivain pålit à côté de ses productions poétiques. Méry est mort à Paris, au mois de juin 1866.

Quant à Barthélemy, ses convictions politiques subirent, en 1832, une métamorphose si subite que le public en soupçonna vite les causes secrètes, qui ruinèrent à tout jamais la popularité du poète. L'ancien détracteur du pouvoir, après avoir hardiment pris la défense du gouvernement, publia sa Justification, qui souleva une nuée de réponses en vers et en prose, sous forme de satires et de pamphlets. Le poète, dont le silence était justement ce que désirait le gouvernement, se retira pour quelque temps de l'arène politique et consacra une partie des loisirs que lui faisaient les largesses ministérielles à une Traduction en vers de l'Eneide. En 1844, Barthélemy reprit, au grand étonnement du public, le fouet de la satire politique et publia une nouvelle Némésis; mais l'autorité morale manqua à cette renaissance du poète satirique dans le poète courtisan. Après 1848, il se fit le chantre du bonapartisme ressuscité; toutefois ses dithyrambes insérés dans les journaux officiels ou semi-officiels ne trouvèrent que de rares lecteurs. Barthélemy est mort en 1867.

Plus le talent poétique de Barthélemy est grand et incontestable, plus on doit regretter l'usage qu'il en a fait, et flétrir l'immoralité qui tantôt a mis sa voix éloquente au service de rancunes particulières, tantôt en a vendu le silence au pouvoir.

Nous ne reproduisons des œuvres des deux poètes qu'un fragment de Napoléon en Egypte.

I. NAPOLÉON EN ÉGYPTE.

(1828.)

1. FRAGMENT DU PREMIER CHANT: ALEXANDRIE.
Comme un camp voyageur peuplé de bataillons,
Qui dans l'immense plaine étend ses pavillons,
A la brise du Nord une flotte docile

Sillonnait lentement les eaux de la Sicile;
Sur les canons de bronze et sur les poupes d'or,
Brille un premier soleil du brûlant messidor:
Où vont-ils? on l'ignore; en ces mers étonnées
Un bras mystérieux pousse leurs destinées,
Et le pilote même, au gouvernail assis,
Promène à l'horizon des regards indécis.1
Qu'importe aux passagers le secret du voyage?
Celui qui vers le Tibre entraîna leur courage,

1 C'est la vérité historique; l'armée ignorait entièrement le but de l'expédition. (Note des auteurs.)

Sous les mêmes drapeaux les rallie aujourd'hui,
Et leur noble avenir repose tout en lui.
Parfois, des sons guerriers la magique harmonie
Appelait sur les ponts l'immense colonie:

Aux accords des clairons, des timbales d'airain,
Dix mille voix chantaient le sublime refrain
Qu'aux moments des assauts, ivres d'idolâtrie,
Répétaient nos soldats, enfants de la patrie;
C'était l'hymne du soir . . . . et sur les vastes flots
Les héroïques chants expiraient sans échos.1

La flotte cependant, dans la mer agrandie,
Laissant Malte vaincue et la blanche Candie,
Pour la dernière fois a vu tomber la nuit.
A la cime des mâts dès que l'aube reluit
On voit surgir des flots la pierre colossale
Qu'éleva l'Orient au vaincu de Pharsale,

Et les hauts minarets dont le riche Croissant
Reflète dans son or les feux du jour naissant;
Sur le pont des vaisseaux un peuple armé s'élance.
Immobile et pensif, il admire en silence

Ces déserts sans abris, dont le sol abaissé
Semble un pâle ruban à l'horizon tracé,

Les palmiers qui, debout sur ces tièdes rivages,
Apparaissent de loin comme des pins sauvages,
Et l'étrange cité qui meurt dans le repos,
Entre un double océan de sables et de flots.3

Dans ce moment, l'escadre, en ceinture formée,
Entoure le vaisseau qui commande l'armée.
De chefs et de soldats de toutes parts pressé,
Sur la haute dunette un homme s'est placé:
Ses traits, où la rudesse à la grandeur s'allie,
Portent les noirs reflets du soleil d'Italie;
Sur son front soucieux ses cheveux partagés,
Tombent négligemment sur la tempe allongés;
Son regard, comme un feu qui jaillit dans la nue,
Sillonne au fond des cœurs la pensée inconnue;
De l'instinct de sa force il semble se grandir,
Et sa tête puissante est pleine d'avenir! . .
Debout, les bras croisés, l'œil fixé sur la rive,
Le héros va parler, et l'armée attentive

1 Le soir, quand le temps était beau et la mer calme, la musique des régiments exécutait les airs guerriers de l'époque, auxquels se joignaient les chants de l'armée républicaine. (Note des auteurs.)

2 Le 10 juin (1798) les chevaliers de l'ordre de Malte avaient capitulé après un simulacre de résistance. Le général Caffarelli, admirant les fortifications de la place, dit ce mot: „Il est heureux qu'il se soit trouvé quelqu'un dans Malte pour nous en ouvrir les portes; car sans cela nous n'y serions jamais entrés."

* Alexandrie, vue de la pleine mer, offre un aspect des plus désolés.

Se tait pour recueillir ces prophétiques mots,
Que mêle la tempête au son rauque des flots:
>Soldats, voilà l'Égypte! Aux lois du cimeterre1
Les beys ont asservi cette héroïque terre;
De l'odieux Anglais ces dignes favoris
A notre pavillon prodiguent le mépris,
Et feignent d'ignorer que notre république
Peut étendre son bras jusqu'aux sables d'Afrique:
L'heure de la vengeance approche; c'est à vous
Que la France outragée a confié ses coups;
Compagnons! cette ville où vous allez descendre,
Esclave de Mourad, est fille d'Alexandre;

Ces lieux, que le Coran opprime sous ses lois,
Sont pleins de souvenirs, grands comme vos exploits.
Le Nil longtemps captif attend sa délivrance;
Montrons aux Mamelouks2 les soldats de la France,
Et du Phare3 à Memphis retrouvons les chemins
Où passaient avant nous les bataillons romains!<1
Il se tait à ces mots; mais ses lèvres pressées
Semblent garder encor de plus hautes pensées."

Soudain mille signaux, élevés sur les mâts,
Au rivage d'Égypte appellent nos soldats.

Sur le pont des vaisseaux, dans leurs vastes entrailles,
Retentit un bruit sourd, précurseur des batailles,
Et de longs cris de joie élancés dans les airs
Troublent le lourd sommeil de ces mornes déserts.
On eût dit, aux transports de l'armée attendrie,
Qu'un peuple voyageur saluait sa patrie:
Par les sabords ouverts, par les câbles tendus,
Tous de la haute poupe en foule descendus,
Pressés de conquérir ces rives étrangères,
Tombent en rangs épais dans les barques légères,
Et les canots, croisant leurs bleuâtres sillons,
Couvrent la vaste mer de flottants bataillons.

1 C'est-à-dire du sabre des Musulmans.

2 Les Mamelouks ou Mameluks (composés d'abord de jeunes esclaves. surtout de Circassiens) formaient une légion des meilleurs soldats, qui dominait en Égypte. Ils étaient alors commandés, par Mourad-Bey, chef né en Circassie. Le sultan n'était représenté en Égypte que par un pacha

sans autorité réelle.

3 Le Phare (Þágos), petite île voisine du port d'Alexandrie, jointe au continent par un môle, ornée d'une haute tour, où l'on entretenait la nuit des feux pour guider les vaisseaux.

Toutes ces paroles sont historiques. (Note des auteurs.)

5 Tout le monde sait que Bonaparte, en tentant la conquête de l'Égypte, en voulait à la domination anglaise aux Indes; Barthélemy et Méry n'ont envisagé l'expédition que sous son côté poétique et humani taire, la destruction des Mamelouks et l'affranchissement de l'Égypte.

2. FRAGMENT DU TROISIÈME CHANT: LES PYRAMIDES.
C'était l'heure où jadis l'aurore au feu précoce
Animait de Memnon l'harmonieux colosse;1
Elle se lève encor sur les champs de Memphis,
Mais la voix est éteinte aux lèvres de son fils;
Les siècles l'ont vaincu: l'œil reconnaît à peine
Le géant de granit, étendu sur l'arène;

Il semble un de ces rocs que, de sa forte main,
La nature a taillés en simulacre humain!

L'Arabe en ce moment, le front dans la poussière,
Saluait l'Orient, berceau de la lumière;
Elle dorait déjà les vieux temples d'Isis,
Et les palmiers lointains des fraîches oasis;
Une blanche vapeur, lentement exhalée,
Traçait le cours du Nil dans sa longue vallée:
Le brouillard fuit; alors apparaissent aux yeux
Ces monts où Pharaon dort avec ses aïeux;
Sur l'océan de sable, archipel funéraire,

Ils gardent dans leurs flancs un poudreux reliquaire,
Et, cercueils immortels de ce peuple géant,
Élèvent jusqu'aux cieux la pompe du néant.
Cependant le tambour, au roulement sonore,
Annonce que l'armée arrive avec l'aurore:
A l'aspect imprévu des merveilleux débris,
Un saint recueillement pénétra les esprits;
Et nos fiers bataillons, par des cris unanimes,
Des tombeaux de Chéops saluèrent les cimes.
Inspiré par ces lieux, le chef parle, et ses mots
Dans l'armée attentive ont trouvé mille échos:
>Soldats, l'heure est venue où votre forte épée
Doit briser de Mourad la puissance usurpée;
Des tyrans Mamelouks le dernier jour a lui!
Dans le feu du combat songeons tous aujourd'hui
Que, sur ces monuments si vieux de renommée,
Quarante siècles morts contemplent notre armée!<
Il a dit; aux longs cris qui résonnent dans l'air,
Se mêle un bruit d'airain froissé contre le fer:
Et ce fracas guerrier, perçant la plaine immense,
Révèle à Mourad-Bey les soldats de la France.

Le chef des Mamelouks, de leur approche instruit,
Sur les dunes de sable a campé cette nuit;
Embabeh voit briller sur la cime des tentes
L'étendard du Prophète aux crinières flottantes:
Et ce camp populeux, sur les hauteurs tracé,
Semble un vaste croissant de canons hérissé.

1 On sait aujourd'hui que le monument égyptien appelé par les Grecs du nom de Memnon, était une statue du roi Aménophis III.

C. Platz, Manuel de Littérature française. 100 éd.

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